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Reconnecter syndicats et salariés, une urgence

À l’instar du champ politique, les syndicats vont devoir prendre acte des transformations numériques et de leur pouvoir mobilisateur s’ils veulent être en mesure de répondre aux besoins, considérables, des salariés.

Les élections présidentielle et législatives de cette année 2017 ont tout d’un bouleversement politique, d’un chamboule-tout comme rarement vu dans notre histoire. Ainsi, « En Marche », une structure inexistante il y a un an, a pu de manière fulgurante prendre tous les leviers du pouvoir exécutif et législatif, fracassant au passage les partis de gouvernement. Bien sûr, cette « performance » réalisée par Emmanuel Macron doit beaucoup à son audace, à de solides appuis comme à l’usure du pouvoir socialiste, aux circonstances qui ont permis l’élimination de ses adversaires. Mais il n’en reste pas moins que cette fulgurante ascension ne vient pas de nulle part.

MACRON, MÉLENCHON : DE NOUVELLES TECHNIQUES DE MOBILISATION CITOYENNE VIA LE NUMÉRIQUE

Cette « ubérisation » de l’espace politique, pour reprendre le jargon managérial en vogue, s’est bien sûr appuyée sur le numérique et les nouveaux outils technologiques mais surtout sur des attentes fortes et anciennes des citoyens, auxquelles les partis traditionnels n’ont pas su ou pas voulu répondre. Dès 2005 et le débat sur la constitution européenne puis lors de la campagne présidentielle de 2007, ces attentes étaient perceptibles et perçues. Dès lors, les Français expriment à la fois une insatisfaction grandissante vis-à-vis de l’action politique qui a viré peu à peu au dégoût, et paradoxalement une envie de politique. Cette dernière est avant tout un besoin de participation active aux décisions, une volonté de comprendre et un désir de transparence.
En 2016, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont répondu à ces attentes en reprenant les initiatives et moyens mis en œuvre au fil des années par les mouvements allant d’ATTAC à Podemos, par les campagnes de Ségolène Royal et de Barack Obama, mais aussi grâce à des outils numériques et de terrain, à l’instar de ceux testés en 2012 et professionnalisés par le trio Liegey-Muller-Pons issu du Parti Socialiste. Ainsi, on « adhère » à En Marche en un clic et le mouvement s’est déployé et développé sur l’ensemble du territoire en laissant se constituer partout des comités locaux, rappelant furieusement les comités Désirs d’Avenir qui avaient vu le jour 10 ans plus tôt.

De la même manière, la France Insoumise s’est constituée en accueillant les « insoumis » dans des « groupes d’appui », eux aussi librement crées et estimés par le mouvement à plus de 2800 comités en mars 2017. Et sillonnant la France, de meeting en réunion publique, Jean-Luc Mélenchon a multiplié les occasions de faire de la « pédagogie », en transformant ces moments de campagnes en autant d’« universités populaires », quand il n’utilisait pas YouTube pour des cours d’économie. On se souvient par exemple de ce #JLMChiffrage, un direct vidéo de 5h30 sur la plateforme de Google où le candidat « insoumis », accompagné des économistes Jacques Généreux et Liêm Hoang-Ngoc, exposait son programme économique dans un format d’émission de télévision.

Le champ syndical peut être bouleversé par la possible émergence d’organisations qui, comme En Marche ou la France Insoumise en politique, pourront mieux et plus vite répondre aux besoins des salariés.

Beaucoup auront moqué les helpers d’Emmanuel Macron ou les longues confidences face caméra de Jean-Luc Mélenchon dans sa #RDLS ou revue de la semaine. Ils seront passés à côté des attentes de participation, de compréhension et d’engagement de nombre de leurs concitoyens, à côté de l’enjeu essentiel consistant à ramener vers les formations républicaines une jeunesse qui risquait de sombrer avec Marine Le Pen. C’est l’autre bouleversement de la présidentielle de 2017. Jean-Luc Mélenchon aura été le candidat préféré des 18-24 ans, attirant 30 % de leurs suffrages, loin devant Marine Le Pen qui recueillera 21% des votes dans cette tranche d’âge.

Le Président Macron a annoncé la signature, ce vendredi 22 septembre, des ordonnances Pénicaud, une véritable cure de flexibilité pour les salariés dont il faut espérer, pour la cohésion nationale, qu’elle ne vire pas à la cure de précarité. Dans un paysage syndical anémique où seuls 8% des salariés sont syndiqués, deux fois moins qu’en Allemagne et trois fois moins qu’au Royaume-Uni, le risque est grand pour les ces derniers. Il le sera d’autant plus s’ils ne sont ni formés, ni soutenus par des syndicats agiles, capables de s’adresser aux salariés des petites entreprises.

L’entrée en vigueur de cette « loi travail XXL » est susceptible bouleverser le champ syndical comme l’a été le champ politique en 2017. Pas seulement parce FO et la CFDT voient dans cette réforme l’opportunité de renforcer leur influence syndicale en s’emparant des nouvelles possibilités de négociation, FO dans les branches et la CFDT dans les entreprises.

LA NÉCESSAIRE RÉVOLUTION NUMÉRIQUE DES SYNDICATS

Le champ syndical peut être bouleversé par la possible émergence d’organisations qui, comme En Marche ou la France Insoumise en politique, pourront mieux et plus vite répondre aux besoins des salariés. Après « l’ubérisation » des partis assistera-t-on  à celle des syndicats ? Un scénario tout à fait envisageable, quand bien même les règles de représentativité syndicale peuvent limiter les évolutions. Le bouleversement est possible si les syndicats en place, à l’instar des partis traditionnels, ne répondent pas aux attentes des salariés.

Des attentes qui sont proches que celles des citoyens : une demande de soutien et de protection efficace, une envie de participation active aux décisions, une volonté de comprendre les tenants et les aboutissants et un désir de transparence. À mesure que les chefs d’entreprise, et notamment dans les petites entreprises, vont vouloir faire évoluer primes, durée et autres conditions de travail, les besoins de formation, d’appui, d’échanges de bonnes pratiques entre salariés de différentes entreprises vont être importants. Pour ne pas être balayés, les syndicats vont devoir être attentifs à ces attentes que les partis traditionnels, PS et LR n’ont pas su prendre en compte, laissant d’autres, plus rapides, plus audacieux et mieux outillés, prendre le pas.

La force de la contestation anti #loitravail et la bataille remportée dans l’opinion contre la loi El Khomri doivent beaucoup à la vitesse de réaction et à la mise en œuvre très efficace d’outils numériques de mobilisation par de jeunes militants. Très rapidement, Caroline de Haas lance sur Change.org une pétition qui va rencontrer un très grand succès. Tout aussi vite, la même Caroline De Haas, Sophie Binet de la CGT, toutes deux anciennes dirigeantes du syndicat étudiant UNEF, Karl Stoeckel et David Van Der Vlist, alors à l’Union nationale lycéenne du temps de la mobilisation anti-CPE, montent avec l’aide de l’entrepreneur et militant Elliot Lepers un site web de décryptage, « loitravail.lol ». Et ils investissent ainsi massivement les réseaux sociaux. Le succès de la pétition et cet activisme particulièrement efficace ouvrent à Caroline de Haas les plateaux de télévision et de radio, ce qui a pour effet d’accélérer la diffusion de la pétition et la prise en compte des arguments anti-loi travail que la militante développe. Grâce à ces relais, la pétition recueille en quelques semaines plus d’un million de signatures. Du jamais vu. La bataille de l’opinion est perdue par le gouvernement.

Pourtant, au départ de la mobilisation et comme le rapporte alors le journal Les Echos, les confédérations regardaient avec méfiance ce type d’initiatives horizontales, craignant de perdre la maîtrise du mouvement. Or, c’est avec ces outils numériques entrés depuis bien longtemps dans la vie des gens que les syndicats vont pouvoir répondre aux attentes considérables des salariés. Les syndicats ont été conçus pour des individus qui travaillaient une vie durant pour la même grande entreprise. Ils vont devoir se réinventer pour le monde dans lequel nous vivons. Celui des TPE, PME, des changements fréquents d’employeurs, de la formation tout au long de la vie, des délocalisations et des pressions à la baisse sur les salaires et les protections.

Mais aussi pour ce monde où les connexions et les créations de communautés n’ont jamais été plus faciles et rapides. Les syndicats ont ainsi la possibilité de mettre sur pied des stratégies numériques permettant d’unir les salariés, de partager largement l’information, de diffuser les bonnes pratiques, pour faire progresser les droits et faciliter l’engagement syndical et citoyen. Les outils et les attentes sont là pour permettre une protection efficace des salariés, redonner vie à un syndicalisme de transformation sociale et concrétiser enfin un syndicalisme de services en France. Il y a urgence. Urgence à créer des réseaux vraiment sociaux.

© Photo : Wikimedia commons

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