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Après les politiques, les entreprises face à l’interpellation citoyenne

Le monde de l’entreprise et de ses dirigeants est entré, comme celui des politiques, dans une ère nouvelle et rien ne permettra de revenir en arrière. Toutes les organisations vivent désormais sous la surveillance permanente des associations, des médias et de lanceurs d’alertes ayant directement accès aux réseaux sociaux. De Lactalis à Apple, plusieurs affaires récentes en sont la preuve.

Pas une semaine ne passe sans que l’on échange et débatte à l’envi sur la défiance et la détestation de la « classe politique », qui s’appuient sur une exigence toujours plus grande de transparence. Le sujet inquiète à juste titre, car le populisme extrémiste et l’anti-parlementarisme en sortent renforcés. Mais rares sont les articles et tribunes évoquant la même défiance et la même exigence de transparence qui touchent les entreprises et leurs dirigeants.

Pourtant, la mise sous surveillance permanente de la classe politique n’épargne pas le monde économique, loin de là. Un scanner qui vise les entreprises les plus « discrètes » pour ne pas dire les plus fermées. Les exemples les plus frappants étant Lactalis ou encore Servier, pour citer d’emblée ces cas emblématiques.

Ainsi, face à des pratiques économiques qui tardent à prendre en compte les aspirations éthiques, écologiques et citoyennes, la pugnacité des associations est montée d’un cran. Hop et Attac contre Apple, Foodwatch contre Lactalis, mais aussi L214 contre les abattoirs ou encore Sherpa contre de fausses déclarations de Samsung sur sa responsabilité sociale : elles sont toujours plus nombreuses à monter au front médiatique et à judiciariser leurs combats pour toucher le plus grand nombre.

UNE DEMANDE DÉMOCRATIQUE ENCORE PEU AUDIBLE DU MONDE ÉCONOMIQUE

Les associations se font aussi le relais des citoyens qui n’en peuvent plus d’un double discours où social washing et gender washing rivalisent désormais avec le green washing. Des citoyens qui s’emparent des réseaux sociaux ou prennent la parole dans les médias pour dénoncer manquements à l’éthique, pratiques où la recherche du profit prime sur l’intérêt général ou la santé publique, et plus récemment pour dénoncer un patriarcat, synonyme de violences d’un autre âge.

C’est #BalanceTonPorc et #MeToo, bien sûr. Mais c’est aussi Mélodie, intérimaire et mère de famille, qui ne supporte pas de rester silencieuse face à Lactalis, son ancien employeur, et qui dénonce des problèmes d’hygiène pouvant être à l’origine de la crise de la salmonelle qui a contaminé de nombreux lots de lait infantile.

Alerter l’opinion et les citoyens n’est plus l’apanage d’experts, de médecins. On assiste depuis plusieurs années à une démocratisation du lancer d’alerte citoyen.

Aux États-Unis, le choc de la victoire de Donald Trump, facilitée par la diffusion de messages de haine, de manipulation de l’opinion et autres fake news a amené des citoyens à interpeller les entreprises qui diffusent des publicités sur des sites de l’extrême-droite américaine, l’« alt-right », ou sur des plateformes telles que YouTube ou Facebook jusque là peu regardantes sur les contenus qu’elles diffusent.

Ainsi interpellée, la chaine de magasins US Nordstrom a annoncé le retrait de ses publicités qui pouvaient, « à l’insu de son plein gré », apparaitre sur le site BreitbartNews. Les entreprises AT&T, Johnson & Johnson, Coca-Cola, PepsiCo et Walmart ont aussi décidé au printemps dernier de retirer leurs publicités apparaissant sur You Tube ou Google. Plus récemment, c’est Unilever, deuxième annonceur mondial à la tête d’un budget publicitaire de 8 milliards de dollars, qui a menacé Google et Facebook de leur retirer ses publicités pour les mêmes motifs, l’incapacité ou le manque de volonté de ces géants du numérique à faire le ménage dans les contenus extrémistes ou d’appel à la haine.

Ces entreprises n’ont pas été soudain prises de remords. Elles ont réagi à des interpellations sur les réseaux sociaux, relayées notamment par des enquêtes de presse, par exemple dans le Times et le Guardian, à Londres. Alerter l’opinion et les citoyens n’est plus l’apanage d’experts, de médecins. On assiste depuis plusieurs années à une démocratisation du lancer d’alerte citoyen. Autant de signaux véhiculant les attentes de la population.

Tout comme les politiques, les entreprises et leurs dirigeants doivent être à l’écoute et tirer les conséquences de ces demandes de transparence, de probité. Aujourd’hui, il semble cependant que nombre d’entreprises traitent ces situations dans l’urgence ou comme un problème de communication. Des batteries d’outils surveillent les réseaux pour détecter le bad buzz et l’atteinte à la réputation de l’entreprise et des actions sont prises dans l’espoir de limiter la casse, a posteriori.

L’ENTREPRISE N’A D’AUTRE CHOIX QUE D’ÊTRE DANS LA CITÉ

Les 25 milliards qu’ont coûtés le scandale du « dieselgate » à Volkswagen devraient pourtant faire réfléchir. Sur le front de la corruption, il a cependant fallu attendre que la justice américaine s’en mêle et déclenche en série les enquêtes anti-corruption frappant les grands noms du capitalisme français, d’Alstom à BNP Paribas en passant par Airbus, pour que les choses bougent. La loi Sapin II est alors votée et impose aux entreprises, en moins de 6 mois, la mise en place de dispositifs anti-corruption, avec notamment la création de postes « Ombudsman », chargés de cette lutte. Et l’État contrôle aujourd’hui la mise en place effective de ces dispositifs.

Face à la demande citoyenne d’un renforcement éthique, d’une responsabilité sociale effective, les entreprises ont tout intérêt à agir en amont, à prévenir, à être à l’écoute de cette demande, des évolutions de la société. Une première piste pourrait être de placer les responsables RSE au cœur de la démarche de production et d’exploitation de l’entreprise. De cesser d’en faire une fonction annexe, reléguée. De comprendre et d’intégrer que  « les frontières de l’entreprise ne s’arrêtent pas aux portes de l’usine », comme le professait Antoine Riboud, fondateur de Danone, et de porter un projet social autant qu’économique.

Cette prise en compte des attentes citoyennes, sociales et écologiques est vitale. Elle passe par des actions symboliques comme la fin du « chiffon rouge des inégalités salariales » que représente le salaire des grands dirigeants, pour reprendre l’expression de la journaliste Christine Kerdellant. Mais aussi par des changements en profondeur, de l’abandon des stratégies de management « barbares » au traitement équitable des petits producteurs et fournisseurs, en passant par une attention sans faille à la santé publique et à l’environnement.

 

L’annonce par Renault de la baisse de 30 % du salaire de son président Carlos Ghosn aurait pu être le signe avant-coureur d’une certaine prise de conscience. Mais outre que cette baisse n’est pas aussi spectaculaire qu’annoncée, les vrais tests sont à venir et multiples.

 

Dans la manière dont les entreprises vont se saisir de la loi travail par exemple, ainsi que dans leur manière de répondre aux interpellations des associations. Cependant, elles ont pour l’heure choisi de riposter devant les tribunaux, comme Apple qui cherche à faire condamner Attac.

Un autre test sera aussi dans la manière dont la majorité d’Emmanuel Macron va transposer dans le droit français la directive européenne « Secret des affaires ». Cette transposition inquiète journalistes, associations et lanceurs d’alerte. Une inquiétude renforcée par la condamnation du magazine Challenges par la justice commerciale à la suite de la révélation des conséquences des difficultés financières d’une grande entreprise française.

Le renforcement de la démocratie face à la montée des populismes et des extrêmistes n’est pas du seul ressort des politiques. Ils ne sont pas seuls à subir la défiance et à être l’objet d’une exigence de transparence, d’éthique et de responsabilité sociale. Le renforcement de la démocratie est aussi et directement la conséquence des choix réalisés par les chefs d’entreprises qui ont une éminente responsabilité éthique et sociale.

© Pixabay, Flickr et www.CGPGrey.com

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