Après George W. Bush et Barack Obama, ce sont trois sénateurs républicains qui, ces derniers jours, ont publiquement critiqué l’action du président Trump. En coulisses se joue cependant une partie difficile pour les modérés : la droitisation du parti se poursuit, et la tentation anti-démocratique ne faiblit pas.
Depuis son élection, Donald Trump multiplie les auto-satisfecits. Devant le think tank et lobby ultra-conservateur Heritage Foundation, il a, le 17 octobre dernier, estimé avoir fait, « davantage en neuf mois qu’aucun président dans l’histoire. » Excusez du peu. Le surlendemain, George W. Bush et Barack Obama, le premier à New York, le second à Richmond, ont fait part de leurs inquiétudes quant à la politique menée à Washington, accusant à mots couverts – mais sans le nommer – Trump d’attiser les divisions et de menacer l’unité nationale.
Il est rarissime que d’anciens présidents critiquent l’action du locataire en place de la Maison blanche. C’est d’autant plus remarquable dans le cas de Bush, qui est lui-même républicain et qui s’exprime très peu depuis qu’il a quitté le pouvoir. Pour lui, aujourd’hui, « l’intolérance semble gagner en confiance. Nos débats politiques semblent plus vulnérables aux théories du complot et aux manipulations ». Bush, proche des néoconservateurs, a aussi fustigé l’isolationnisme, le « nationalisme dénaturé en nativisme » et le repli sur soi de son pays. Venu soutenir le candidat démocrate au poste de gouverneur de Virginie, Obama s’est pour sa part inscrit en faux par rapport à l’ambition passéiste et nostalgique de son successeur, insistant sur l’impératif d’« élever tout le monde ensemble » et non pas de « rabaisser les gens. »
Le « pacte faustien » du parti républicain
Moins symbolique mais plus préoccupant a priori pour la bonne marche du pouvoir, ce sont, ces derniers jours, trois parlementaires républicains qui ont attaqué Trump et sa conception de la présidence. Le sénateur de l’Arizona, John McCain, a dit regretter le nationalisme « qui ne tient pas debout » et « sans fondement » de la politique étasunienne actuelle.
Le 24 octobre, le sénateur républicain d’Arizona, Jeff Flake, a annoncé dans un discours de dix-sept minutes devant le Sénat qui a fait grand bruit aux États-Unis, ne pas se représenter aux élections de mi-mandat de 2018 pour ne pas trahir ses principes. Il a accusé le président d’avoir un comportement « imprudent, outrancier et indigne. » Pour Flake, les idéaux démocratiques ont été mis à mal et « les attaques personnelles, les menaces contre (…) les libertés et les institutions, le mépris flagrant pour la vérité et la décence » sont désormais la norme politique à Washington.
Si les désaccords entre Trump et des élus républicains ont, jusqu’ici, empêché d’importantes réformes d’aboutir, le parti pourrait en sortir davantage perdant que le président.
Sans citer le président mais en parlant du « sommet du gouvernement », Flake a dit regretter l’isolationnisme et la fermeture sur soi. Flake est un conservateur au sens traditionnel du terme : faborable au small government, à la baisse des dépenses fédérales et au libre-échange, mais aussi à l’immigration – comme un nombre non négligeable de ses collègues qui y voient un intérêt pour l’économie et l’emploi – et à l’engagement des États-Unis dans le monde.
Mais, en s’exprimant devant ses collègues au Sénat, c’est aussi au parti républicain qu’il a adressé ses reproches. Dans un livre paru l’été dernier, Conscience for Conservatives, il accusait déjà le Grand Old Party d’avoir, en accordant en 2016 l’investiture au milliardaire new-yorkais, « conclu un pacte faustien », autrement dit avec le diable.
La partie difficile des élus modérés
Ce même 24 octobre, Trump a de son côté réitéré ses attaques, par tweet, contre un autre sénateur républicain qui ne souhaite pas non plus remettre son siège en jeu en 2018, Bob Corker. De l’avis du président, il « n’y a pas de place pour lui » dans son État, le Tennessee, car il est « incompétent » ; c’est « poids plume. » Corker, ancien soutien de Trump pendant la campagne contrairement à Flake, avait affirmé que le président « abaissait le pays », qu’il avait « intentionnellement détruit les relations » entre les États-Unis et le reste monde, et qu’il entretenait « de grandes difficultés avec la vérité, sur de nombreux sujets. » Pour lui, Trump n’est pas « digne de confiance. »
Aller plus loin : « Le fossé se creuse entre Trump et les républicains ».
Dans toutes ces déclarations, les mots sont sans équivoque, le ton est dur. Or, malgré leur brio, ces sorties publiques tombent mal pour le parti républicain qui doit se mettre d’accord en vue du vote de plusieurs réformes importantes, dont celle, et non des moindres, de la fiscalité. La bataille entre les républicains de l’establishment et des idées très droitières rappellent les grandes heures, pas si lointaines, du Tea Party, entre 2009 et 2014, dont le jusque-boutisme avait fini par bloquer les institutions. Pour autant, ces divisions, qui ont servi Trump pour parvenir au pouvoir, continuent de lui être profitables. Et si les désaccords qu’il entretient avec certains élus républicains ont, jusqu’ici, empêché d’importantes réformes d’aboutir, comme le remplacement de l’Obamacare, le parti pourrait en sortir davantage perdant que le président.
La majorité des congressistes conservateurs le savent et, même s’ils n’aiment pas Trump, quoi qu’ils pensent du Russiagate ou des fake news érigées en système de communication, ils sont avec lui dans un système de dépendance réciproque.
Le président en joue, qui accuse le Congrès de ses propres échecs et s’en remet à lui le plus souvent possible, avec par exemple la question épineuse du statut des « Dreamers », ces immigrés arrivés clandestinement aux États-Unis avec leurs parents lorsqu’ils étaient mineurs, et qui aujourd’hui sont étudiants ou travaillent.
Steve Bannon et l’obsession du « marigot »
En Arizona, ces derniers mois, la popularité du sénateur Flake diminuait à mesure qu’il critiquait le président. D’un côté les électeurs républicains se détournaient de lui, de l’autre il ne parvenait pas à attirer les démocrates. Sa principale opposante conservatrice en vue des primaires sénatoriales de 2018 était une populiste, Kelli Ward, soutenue par Donald Trump, par une journaliste ultra-conservatrice de Fox News, Laura Ingraham, et surtout par Steve Bannon, l’ancien conseiller stratégique du président, redevenu patron de Breitbart News. L’abandon de Flake est donc à mettre au crédit des ultras. Breitbart menaçait depuis des semaines de le faire battre aux primaires ou de le pousser à se retirer. L’opposition à Trump, au sein du parti, n’est donc pas aisée, elle semble même suicidaire à moyen terme, tant Bannon et ses partisans se sont promis de conduire à la défaite les élus républicains qui critiquent Trump.
Bannon ne compte pas s’arrêter là. Il a Mitch McConnell, le leader républicain du Sénat, en ligne de mire, qu’il considère comme l’incarnation parfaite de l’establishment, du « marigot » qu’il prévoit toujours d’« assécher. » Bannon s’appuie sur le fait que la confiance des électeurs dans leurs élus au Congrès n’est toujours pas rétablie. Il ne s’est jamais caché de vouloir droitiser le parti, voire de renverser les institutions. Ces dernières semaines, il s’est fendu de plusieurs déclarations dans le cadre des primaires en vue des midterms de 2018, il a critiqué G. W. Bush et poussé ses pions pour renverser la table républicaine. Bannon s’en prend aussi à la Silicon Valley, à sa politique pro-immigration et environnementale.
Au-delà des idées, c’est une bataille entre deux visions de la politique qui se joue à droite aux États-Unis. La tentation anti-démocratique est forte chez Bannon, elle l’est aussi chez Trump. Ce dernier a déjà fait montre de son mépris des institutions – trop compliquées, trop bureaucratiques, trop difficiles à contrôler – et intensifie ces derniers temps ses attaques contre la presse. Gagner à tout prix, en 2018, en 2020 ? Oui, dit Bannon, qui annonce une « season of war. »
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