L’« Héritage » des Jeux de Paris 2024 a déjà placé l’éducation au centre de son projet sportif. Au-delà, à l’heure de l’intelligence artificielle et des bouleversements du rapport au savoir, toute une réflexion sur la reconnaissance, dès l’enfance, des compétences formelles et informelles acquises grâce au sport devra s’engager.
L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 est l’occasion de voir le sport au-delà du sport, autrement dit hors de la stricte compétition sportive. Pour les sciences sociales, le sport constitue un point d’entrée original de l’analyse de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les discriminations liées à l’origine ou à l’orientation sexuelle, mais aussi des enjeux éducatifs de notre pays, aujourd’hui et de manière prospective. Pour le politique, mettre le sport, sujet transpartisan et transversal s’il en est, sur l’agenda est un moyen de rompre avec l’action publique en silos. C’est primordial dans le champ de l’éducation et de la formation.
Depuis quelques mois, les ouvrages, travaux de recherche et articles de presse se multiplient qui annoncent que le nombre et la diversité des savoir-faire des machines dotées d’une intelligence artificielle sont bien plus considérables que l’on avait pu imaginer. La collecte de données, qui alimentent les algorithmes des robots, est susceptible de les rendre plus performants, non seulement que des hôte(esse)s de caisse dans les supermarchés, mais aussi que des chirurgien(ne)s, des radiologues ou encore des avocat(e)s.
« Une société de compétences » impliquant fortement le sport
Dès lors, dans un monde professionnel où, moins que jamais, les métiers d’aujourd’hui seront ceux de demain, comment acquérir, mais aussi savoir qu’on l’on a acquis, et faire valoir, continuellement, de nouvelles compétences ? Or, nous ne sommes pas égaux face à la formation continue, à l’accès au savoir, à l’adaptation nécessaire au changement. Le sport, que l’on parle de pratiques ou d’engagement bénévole, est une fois encore un terreau de réflexion et d’inspiration particulièrement fertile pour le chercheur et le décideur. C’est d’autant plus vrai que toutes les générations, les femmes et les hommes, les individus valides comme les personnes en situation de handicap ou souffrant de pathologies sont concernés.
En soi, le sport n’est ni positif, ni négatif. C’est ce que l’on choisit d’en faire qui est décisif.
Le sport, s’il est bien encadré, s’il est bien enseigné, transmet des compétences humaines de tolérance, d’empathie, de respect de l’autre et de soi-même, d’invention de soi. Il transmet tout simplement des émotions et des savoir-être que les machines ne sont pas capables de reproduire. S’il est mal encadré ou mal enseigné, ce sont au contraire des habitudes de violences verbales, physiques ou symboliques qui peuvent prendre l’ascendant. En soi, le sport n’est ni positif, ni négatif. C’est ce que l’on choisit d’en faire qui est décisif. La responsabilité politique est donc grande. Si un tel volontarisme existe, les politiques publiques peuvent agir pour que le sport soit un levier de changement social vertueux. Souhaitons que ce soit le leitmotiv de la future loi olympique, présentée le 15 novembre par la ministre des Sports, Laura Flessel, en conseil des ministres.
La partie « Héritage » du projet de Paris 2024 propose d’appréhender le sport comme un sujet de société global. Elle concerne les retombées, matérielles et immatérielles, des Jeux. Or celles-ci vont de pair : le sociétal n’est pas séparé de l’économique. Les arguments consistant à dire qu’il s’agit de régler le chômage avant que de se pencher sur les enjeux de société comme les inégalités socio-économiques ou culturelles, et les discriminations liées au genre ou à l’origine, sont spécieux, dépassés, défaitistes.
Pour la jeunesse en particulier, et notamment la jeunesse populaire, qu’elle vive dans les banlieues défavorisées, le monde rural ou en centre-ville, le but est de faire du sport un moyen d’éducation et de formation pour tou(te)s, sans perdre de vue l’épanouissement de chacun(e). Cette « Génération 2024 », chez les athlètes en devenir comme chez les autres enfants et adolescents, le sport lui fait, avec les JOP, une promesse d’émancipation et d’égalité qu’il va devoir tenir. Quels leviers, quelles bonnes pratiques, quelles expérimentations et quelles évaluations vont être retenus ?
L’École ne peut, ni ne doit, tout faire
Contrairement à certains discours mal informés, l’Éducation nationale est extrêmement engagée dans la pratique sportive pour tou(te)s, dès la maternelle, autrement dit avant même la scolarisation obligatoire. La France est en effet le premier pays en Europe en nombre d’heures de cours d’Éducation physique et sportive (EPS) obligatoire, à laquelle il faut ajouter la pratique facultative du sport scolaire.
Preuve que le sport est au-delà des clivages politiques, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a prolongé, en septembre dernier, des mesures antérieures pour faire de l’École une actrice importante des Jeux de 2024 : nomination prochaine d’un référent du ministère pour les JOP, appel à projets labellisés « génération 2024 » en partenariat avec le ministère des Sports pour les écoles et les établissements scolaires, création de 1 000 nouvelles sections sportives au collège, organisation des Olympiades scolaires en 2022, formation de 10 000 nouveaux jeunes officiels de l’UNSS d’ici 2024 pour nourrir le vivier de bénévoles du sport français, etc. Le ministre devait annoncer, le 17 novembre, la pérennisation de la « semaine olympique et paralympique », de la maternelle à l’université, dont la première édition a eu lieu en janvier 2017.
Comme nous l’a confié Laurent Pétrynka, directeur national de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS) et président de la Fédération internationale du sport scolaire (ISF), « l’originalité de cette semaine olympique et paralympique réside dans l’idée d’avoir pensé, dès la phase de candidature de Paris 2024, un ensemble d’actions en faveur de la jeunesse. C’est un héritage anticipé. »
Pour autant, les collaborations entre l’EPS et les fédérations du sport scolaire, d’une part, et les fédérations sportives olympiques, d’autre part – entre ligues et régions, entre écoles, collèges, lycées et universités et clubs sportifs – devront s’intensifier et inciter les jeunes éloignés du sport en-dehors de l’École à inverser la courbe de la sédentarité et de l’inactivité physique qui s’accroissent. Afin que les synergies interministérielles, largement impulsées ces dernières années pour penser l’ambition olympique, se poursuivent, la mise en œuvre de projets éducatifs transversaux et promouvant la mixité sociale et sexuée, par le sport, gagnerait à devenir un réflexe au sein de toutes les fédérations et du Comité national olympique et sportif français.
L’éducation populaire peut aussi jouer un rôle important, en créant davantage de ponts entre le sport et la culture, par exemple, et en mettant en place des accompagnements éducatifs interdisciplinaires, d’autant que l’on sait que les inégalités d’apprentissage se construisent très tôt mais peuvent être palliées également très tôt.
L’étape suivante consistera dans la valorisation et la reconnaissance de ces savoirs, dès le plus jeune âge. Construire une société de la connaissance, une société apprenante ne se décrète pas. Faire du sport un outil éducatif et citoyen, non plus. Les attentes sont grandes mais, avec Paris 2024 et ses partenaires, les bases d’un engagement partagé semblent solides.
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