Matthieu Orphelin est l’un des députés issus de la vague LREM qui a déferlé sur l’Assemblée en juin dernier. Son profil est pourtant atypique. Ingénieur environnemental, diplômé de l’École des mines, il a fait ses premières armes chez les Verts, œuvré pour la campagne de Nicolas Hulot lors de la primaire écologiste de 2011, avant de devenir porte-parole de sa fondation. Pour Chronik, il revient sur les raisons qui l’ont incité à rejoindre la majorité, et sur sa vision actuelle de l’écologie politique.
Qu’est-ce qui pousse un écologiste convaincu à rejoindre « En marche ! » ?
C’était il y a tout juste un an, au moment où Fillon était au plus haut dans les sondages. Il sort son programme « écolo », qui équivaut juste à vingt ans de reculs, et là je me dis que c’est trop grave. J’avais abandonné depuis plusieurs années le monde politique. La dynamique d’« En marche ! » était déjà initiée, Macron parlait de renouveler le lien entre les citoyens et la politique. C’est alors que je me dis qu’il y a peut-être une solution pour éviter le scénario catastrophe d’un second tour Fillon-Le Pen. J’ai mûri l’idée pendant les vacances de Noël, et début janvier, j’ai envoyé un texto à Emmanuel Macron pour lui dire que j’étais à sa disposition s’il avait besoin de quelqu’un pour travailler sur les aspects écologiques de son programme.
Je me suis donc retrouvé dans le groupe d’experts qui planchaient pour lui sur les thématiques écologiques et énergétiques. Le 9 février, il s’exprime lors du Forum WWF et je me retrouve bien dans son discours, sur la fiscalité écologique, l’alimentation… Dès ce moment-là, il fait des annonces qui sont restées assez invisibles dans la campagne, mais qui sont très fortes : le zéro véhicule essence et diésel en 2040, cela date du programme, la fin des hydrocarbures également. Et puis au fil des meetings il y a toute une cohérence qui se construit autour de ces questions, le 100% économie circulaire lors du meeting de Toulon, le grand plan d’investissement pour la transition écologique.
Il faut faire décroître tout ce qui a un impact sur l’environnement et sur la solidarité, et faire croître les énergies renouvelables, la consommation durable, l’agriculture biologique.
Sur le CETA, vers la fin de la campagne, il a ces mots : « j’ai entendu les doutes, les questionnements. » Pour moi on est dans l’écologie concrète, et je n’ai jusqu’à présent jamais regretté un seul jour ma décision. Emmanuel Macron est de plain-pied dans ce mouvement, or c’est la première fois en France qu’un président porte l’écologie aussi fort. Après c’est un peu plus lent dans l’appareil d’État, il y a beaucoup de résistances, mais lui est dans ce mouvement-là. Et il l’a découvert avant son élection, il a fait ce chemin-là pendant la campagne, contrairement à François Hollande dont la prise de conscience a eu lieu à l’Élysée. Sarkozy aussi a découvert l’écologie durant son mandat, avant d’ailleurs de l’oublier.
Je ne dis pas qu’Emmanuel Macron est parfait, mais il porte cette écologie réelle. Il a encore ses contradictions, mais quand on me dit qu’on avale des couleuvres, j’aimerais bien savoir lesquelles. Le 50 % nucléaire ? Tout le monde savait que c’était infaisable d’ici à 2025. L’objectif est juste décalé de quelques années, cela étant possible avant 2030.
Et puis cette urgence à agir, elle s’est imposée à moi. C’était impossible de rester les bras croisés, et j’assume complètement d’avoir poussé Nicolas Hulot à y aller. C’était maintenant ou jamais. Il est trop simple de rester en dehors, dans la tentation du jamais-content, pour moi c’est le plus grand danger de l’écologie politique. C’est forcément beaucoup plus simple d’être dans la position du commentateur que dans celle de l’acteur.
Sans avoir de regrets, a-t-il pu vous arriver d’être séduit par les prises de position de Jean-Luc Mélenchon ou de Benoît Hamon, qui avaient fait de l’écologie une dimension importante de leurs programmes respectifs ?
Outre le ton clivant de Mélenchon – et je pense que dans une optique de transition ça ne peut pas marcher -, son programme était aussi détaillé que celui de Macron, avec d’ailleurs, de mémoire, des hypothèses de croissance plus fortes que les nôtres. Pour ce qui est de Benoît Hamon, j’ai été finalement assez déçu du programme ; il y avait les mots, mais pas assez de concret. Or c’est fondamental en écologie. L’exemple du 100 % bio dans les cantines scolaires est complètement irréaliste en 5 ans, là où nous proposions 50% de bio, couplés avec d’autres labels et du local de qualité. Pour moi, c’était un programme de slogans, sans les modalités de mise en œuvre.
Vous avez évoqué le CETA, quelle est votre position sur le sujet et sur l’attitude de la majorité à son propos ?
Ma position est connue depuis le début. Je pense que, sur l’agriculture et sur l’alimentation, le CETA pose problème, tout comme sur le climat. Or, j’étais conscient que Macron, qui comme je l’ai dit a pourtant fait évoluer sa position dès la fin de la campagne, n’allait pas en changer radicalement, et que le CETA entrerait en vigueur provisoirement.
En conséquence, nous avons décidé de monter un groupe de travail avec une quinzaine de députés LREM, permettant de dégager des préconisations qui ont été intégrées dans le plan gouvernemental, et à ce jour je peux dire que si ce plan est mis en œuvre en l’état, je pourrais voter le CETA. Et que dans le cas contraire, je ne le voterais pas. Mais faisons le pari que ça marche, et que la France puisse convaincre le Canada et les autres pays européens.
Comment mettez-vous en œuvre, en tant que député, le renouvellement des pratiques et des modes d’action, qui a été moteur dans votre choix de rejoindre « En marche ! » ?
Par la mise en place d’un « Parlement ouvert » dans ma circonscription, sur le principe d’une démocratie participative, avec des ateliers thématiques pour faire le lien, au-delà du public du parti. Mes actions en circonscription ne sont généralement pas siglées « En Marche ! », car de fait cela en freine certains, alors que mon but est de parler à tout le monde. L’idée, c’est de partir des citoyens, pour faire remonter leurs idées auprès de l’exécutif. Et ça marche.
Envisagez-vous que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes voie le jour ?
D’abord, je pense que la décision d’Emmanuel Macron n’est pas prise. Sa position pendant la campagne sur le sujet, c’était de la pure pensée complexe appliquée à un projet complexe. À ce stade, je me réjouis qu’il y ait eu un vrai rapport, avec une expertise de qualité qui a été menée, et qu’on donne une chance à l’alternative. Et si ça doit se faire, on verra le moment venu.
Mais bien sûr que j’espère que l’aéroport ne verra pas le jour. Ma conviction est qu’il ne pourrait en être autrement, et je ne botterai pas en touche le moment venu, je prendrai mes responsabilités, pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot. Ce n’est pas le temps des ultimatums, et au moins les deux options sont sur la table.
Quel rapport entretenez-vous au concept de décroissance ?
Je ne suis ni pour la croissance aveugle, ni pour la décroissance. Je plaide pour une croissance sélective. J’ai été dans le bêtisier de la Revue de la décroissance quand je parlais de croissance verte, tout comme d’autres de mes opposants m’ont accusé d’être le pire des décroissants. Il faut faire décroître tout ce qui a un impact sur l’environnement, mais aussi sur la solidarité, et faire croître beaucoup d’autres choses, comme les énergies renouvelables, la consommation durable, l’agriculture biologique…
Peut-on être écolo et posséder six voitures et trois motos ?
On a vu tout d’abord la démesure des réactions. Je connais la BMW de Nicolas Hulot, je l’ai branchée, elle est électrique, tout comme son scooter. Je veux bien qu’on soit particulièrement exigeant envers Nicolas Hulot, mais la polémique pour la polémique… On a même dit que ses véhicules électriques étaient alimentés au nucléaire, or je suis désolé, mais lui comme moi, il se trouve que nous sommes clients d’Enercoop.
Mais ce qui peut poser problème ne réside-t-il pas surtout dans une forme d’accumulation superflue, qui s’oppose de fait à une certaine dimension de frugalité contenue dans la notion d’écologie ?
C’est une question. En même temps, Nicolas Hulot n’a jamais caché qu’il avait gagné beaucoup d’argent, il l’a toujours assumé. C’est quelqu’un que je n’ai jamais vu mentir, ça lui joue d’ailleurs des tours. Et c’est cette sincérité absolue que les Français lui reconnaissent. On sait tous que le jour où ça n’ira pas, il partira.
Vous contestez le fait qu’il ait récemment été sur le point de quitter le gouvernement ?
Il ne partage pas ses doutes avec la presse. Mais bien sûr qu’il en a, et à mon avis tous les deux jours. C’est quelqu’un qui se pose des questions en permanence. Je pense qu’il a constamment en tête la somme des avancées par rapport aux reculs. Notre-Dame-des-Landes est un dossier important, et aura forcément une incidence.
Mais, jusqu’à présent, vous n’avez pas eu besoin de le convaincre de rester au gouvernement ?
Je ne suis pas là pour ça. On a effectivement ce lien fort de pouvoir tout se dire, qui est plus que de l’amitié. Et pourtant, si jamais ce moment-là arrive, il n’y aura qu’une personne qui maîtrisera Nicolas Hulot, c’est Nicolas Hulot lui-même.
À l’instar de votre majorité, vous revendiquez-vous « et de droite et de gauche » ?
J’ai toujours voté à gauche ou écolo, et j’ai parfois eu des tentations centristes. Sur l’écologie, il y a eu des personnalités de droite qui ont été majeures, comme Jean-Louis Borloo et Chantal Jouanno. Une fois que cela est dit, s’il y a deux jambes, j’ai plutôt envie d’aider la jambe gauche à avancer. Mais j’aimerais aussi qu’on dépasse les clans, tout comme je ne me reconnais pas dans l’opposition « ancien monde » versus « nouveau monde ». En revanche, parler d’anciennes pratiques et de nouvelles pratiques, oui, ça me parle.
Nous sommes à la veille d’un week-end de fêtes, quels conseils donneriez-vous pour qu’elles soient plus « écolo-responsables » ?
Sans être dans une écologie punitive, surtout à cette période, il y a plein de petites choses pour passer des fêtes plus responsables. Sur le choix des cadeaux, dans la société d’hyperconsommation qui est la nôtre, penser aux cadeaux immatériels est une bonne chose, offrir des places pour un spectacle, par exemple. Si, malgré cela, on décide de faire des cadeaux matériels, essayer de ne pas les sur-emballer, utiliser la récup’. Concernant les repas, éviter le gaspillage alimentaire, qui est un fléau : la France perd 15 milliards d’euros par an. Essayer également de consommer des produits bio, labellisés. Et ne pas hésiter à profiter des congés pour aller se balader dans la nature, faire un break, se concentrer sur l’essentiel.
© Photo : Matthieu Orphelin