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Régis Meyran : « Face à l’extrême droite, on a besoin, plus que jamais, des sciences sociales »

Régis Meyran est docteur de l’EHESS en anthropologie sociale et ethnologie, chercheur HDR associé à l’université de Nice et journaliste. Il travaille notamment pour « Le Courrier de l’UNESCO », « Sciences Humaines », « Alternatives économiques » et anime la collection « Conversations pour demain » aux éditions Textuel. Il a publié, entre autres, « Le mythe de l’identité nationale » (Berg, 2009) et dirigé, avec Laurence De Cock, « Paniques identitaires » (Le Croquant, 2017).

Chronik.fr : Vous venez de signer deux livres d’entretiens aux éditions Textuel, l’un avec Michel Wieviorka, l’autre avec Rony Brauman. Comment travaillez-vous avec les auteurs ? Ce format permet-il une parole plus libre, plus spontanée, plus immédiate de ces derniers ?

R.M. : J’ai commencé à travailler pour cette collection en 2011 et, depuis, 11 titres ont été publiés. Je sélectionne des auteurs en accord avec la directrice des éditions Textuel, Marianne Théry. Nous nous entendons alors sur un sujet encore inexploré par l’interviewé.e et nous élaborons un conducteur. S’ensuit une dizaine d’heures de dialogue enregistré, prenant parfois une tournure imprévue. Nous essayons de penser à deux. Le format de l’entretien permet probablement à l’interviewé.e de délivrer une parole plus libre, moins académique, mais aussi, dans le meilleur des cas, de préciser des idées dont il.elle n’avait en tête qu’une ébauche.

Chronik.fr : Vous êtes à la fois chercheur et journaliste, ce qui vous permet d’avoir des regards multiples sur le réel. Comment ces deux approches se complètent-elles, s’enrichissent-elles, se heurtent-elles parfois ? Vous définiriez-vous comme un auteur engagé et si oui, quelle signification donnez-vous à cet épithète ?

R.M. : Journalisme et recherche se complètent souvent, dans mon cas. Il y a des points communs dans la démarche de ces deux métiers. Et la frontière n’est pas toujours évidente à tracer : d’abord parce que journalisme et recherche englobent un très large éventail de pratiques différentes, ensuite parce qu’il existe tout un continuum entre les deux, surtout en sciences humaines.

Les paniques identitaires sont le symptôme à la fois d’un journalisme de plus en plus idéologisé ou paresseux, et du contexte des attentats et de la crise.

Pour moi, être un auteur engagé ne signifie pas militer dans un parti, mais lutter, par les idées, contre l’oppression, la domination, la violence instituée. Cela signifie notamment analyser les mécanismes du racisme, la domination de classe et de sexe, et défaire les mythologies identitaires, qui menacent la cohésion de la société. Depuis deux décennies, l’extrême droite a renouvelé en profondeur son idéologie, qui connaît – grâce aux réseaux sociaux et à son implantation médiatique – un grand succès dans l’espace public. C’est pourquoi on a besoin, plus que jamais, des sciences sociales et de leur capacité d’analyse des faits sociaux et culturels.

Chronik.fr : Comment définiriez-vous les « paniques identitaires » dont vous parlez avec Laurence De Cock ? En quoi sont-elles constitutives de notre époque et de notre pays – même si la question traverse l’ensemble des nations occidentales ? De quoi sont-elles le symptôme ? Mais également, comment opposer un contre-discours ?

R.M. : Un bon exemple est le supposé café « interdit aux femmes » de Sevran, présenté sur France 2 en décembre 2016 comme un lieu emblématique de ces quartiers où l’islam prendrait le pas sur la laïcité, alors qu’il s’agissait d’un banal PMU, où comme dans tous les PMU viennent une majorité d’hommes. On peut citer aussi les polémiques autour du burkini (été 2016), ou encore l’épisode du quartier de la Chapelle où, à cause des migrants, les femmes n’avaient supposément plus droit de cité (mai 2017). Il y a eu de nombreuses affaires de ce genre, vite reprises en boucle par les médias. Les paniques identitaires sont un phénomène complexe : c’est au départ un récit flou ou exagéré, mettant en scène des identités figées et désignant un ennemi stéréotypé menaçant la nation – le musulman, le Rom, le migrant. Ce récit devient viral tout en restant volatil, et acquiert une structure par le biais des politiques et des médias.

Les paniques identitaires sont lancées et relayées par des entrepreneurs identitaires, des personnes qui ont un intérêt, politique ou de carrière, à ce que ces récits se diffusent le plus largement possible. De tels récits sont une aubaine pour l’extrême droite nationaliste et populiste : soit elle les fabrique (comme dans le cas du Nouvel an 2017 à Francfort, où des viols collectifs supposément commis par des hommes arabes ont été inventés de toutes pièces par des militants identitaires – je parle ici de Francfort et non du cas plus complexe de Cologne), soit elle les instrumentalise – sa stratégie étant de jouer sur les affects négatifs (peur, angoisse, ressentiment) pour amener à soi de nouveaux convertis.

Elles sont le symptôme à la fois d’un journalisme de plus en plus idéologisé ou paresseux (je rappelle toutefois qu’une enquête du Bondy blog a permis de dégonfler la baudruche du café de Sevran), et du contexte : pour la France, c’est celui des attentats de 2015 et 2016, mais aussi et tout autant la crise économique et sociale qui génère depuis des années chômage, déclassement, baisse du niveau de vie, et qui fabrique un ressentiment et une grande inquiétude dans la population. C’est enfin le signe que les nouveaux nationalistes disposent de relais puissants dans les médias. La seule réponse possible est de démonter un par un les mécanismes de ces paniques, et de toucher le plus de médias possibles pour en stopper l’effet viral.

© Photo : Dailymotion

La rédaction

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