Il y a tout juste un an, le 8 novembre 2016, Donald Trump était élu 45e président des États-Unis. L’heure est venue d’un premier bilan et les sujets sont nombreux, tant sur sa politique intérieure que sur ses options géopolitiques et sa communication. L’occasion de proposer une analyse de cette présidence au prisme du genre.
La sidération n’est toujours pas retombée. Le soir de sa victoire, il y a un an, Trump lui-même n’y croyait pas. Il ne triomphait pas, au contraire d’un Mike Pence, tout sourire derrière lui, au moment où il faisait sa première déclaration de président élu. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, y compris chez les républicains, demeurent incrédules face à un président qui, en dehors de ses conseillers et de ses ministres, s’informe essentiellement sur Fox News, refuse de se plonger dans la complexité des dossiers et insulte régulièrement médias, joueurs de football et chefs d’État étrangers sur ses deux comptes Twitter.
Pour autant, le parti comme les élus républicains ont, à un an des élections de mi-mandat, besoin d’un Trump qui galvanise ses supporters et qui conserve, malgré une impopularité record, une base solide de soutiens, contre vents et marées – enquête du procureur spécial Mueller, échec des principales réformes législatives, non-tenue de nombreuses promesses de campagne, etc.
Car il ne faut jamais oublier que la victoire de Trump tient à un projet, celui de restaurer une Amérique blanche et patriarcale, ou du moins d’en retarder la disparition. Ce projet, c’est ce qui a séduit les « hommes blancs en colère », qui lui accordent encore leur confiance, et qui ont fait basculer l’élection dans les États-clés – même si Trump, pour l’emporter l’an passé, a aussi pu compter sur l’électorat républicain traditionnel des catégories sociales supérieures et des évangélistes.
Un old white man pour défendre les angry white men
Trump est avant tout un président clivant. Il attise les divisions socio-économiques, religieuses, raciales, genrées, et même politiques au sein du camp conservateur, d’une part parce qu’il se soucie peu de l’intérêt général, d’autre part parce que le chaos l’entretient dans son ambition d’homme providentiel. Seul contre tous, Trump rêve d’une démocratie plébiscitaire. Il prétend camper un chef autoritaire.
La dimension genrée de la présidence Trump va au-delà de son machisme.
Ses options et décisions politiques, son agenda, le choix de ses collaborateurs (ministres, conseillers, responsables d’agences gouvernementales sont essentiellement des hommes blancs), le style et l’iconographie de sa présidence donnent à voir une « masculinité hégémonique ». Celle-ci, selon la définition des sociologues Raewyn Connell et James W. Messerschmidt, consiste dans l’ambition de la perpétuation d’un système patriarcal, d’une domination des hommes hétérosexuels (en occurrence, blancs) sur les autres catégories de la population du pays – femmes, immigrés, musulmans, gays et transgenres, Africains-Américains, etc.
De manière théâtrale, Trump prétend faire corps avec cette masculinité hégémonique. Car son machisme ne se limite ni aux commentaires sur l’apparence physique des femmes politiques et des journalistes, ni aux soupçons d’agressions sexuelles et de viols dont il fait l’objet – et que le scandale Weinstein a réactivés. La dimension genrée de la présidence Trump va au-delà.
La politique identitaire, c’est aussi le genre
La promesse identitaire de Trump, c’est bien sûr la race et la religion. C’est aussi le genre. Lorsque le sociologue Michael Kimmel publie, en 2013, son célèbre ouvrage Angry White Men, il décrit les frustrations de ces hommes blancs qui n’acceptent pas les évolutions démographiques et sociologiques de leur pays. Ces frustrations, l’élection de Barack Obama les a cristallisées et Donald Trump a su les saisir et les instrumentaliser.
Si les réseaux masculinistes, que l’on retrouve beaucoup à l’extrême droite et notamment chez les suprémacistes blancs, ont fait de Trump leur héros, leur sauveur, la politique qu’il mène, et qu’il donne à voir, ne consiste pas seulement à satisfaire ces groupuscules comme après Charlottesville : elle est, de part et d’autre, en faveur des hommes blancs. Trump, qui veut être l’anti-Obama, ce président « faible », « qui s’excuse », cet intellectuel, homme de compromis plus que d’action, ne cache pas sa nostalgie des États-Unis patriarcaux et dominateurs des années 1950, où chacune et chacun « était à sa place »… y compris les Noirs.
L’ambition de diminuer un peu plus les impôts des plus aisés, le soutien à l’économie productiviste, la destruction de l’environnement, les coupes dans les budgets sociaux (éducation, culture, santé), la remise en cause des droits des femmes (diminution drastique des subventions fédérales au Planned Parenthood, suppression des subventions aux associations internationales œuvrant pour la santé sexuelle des femmes dans les pays pauvres) s’ajoutent à la rupture avec le multilatéralisme international. Les slogans « America first » et « Make America Great Again » sont, à eux seuls, les symboles d’un pouvoir dominateur, égoïste et d’un président égotique.
L’Amérique de Trump, c’est aussi une Amérique où le port d’armes ne doit pas être limité, y compris pour les individus souffrant de graves troubles mentaux – Trump a signé une loi en ce sens en février 2017. Un pays où chaque jour se déroule une tuerie de masse, où 13000 personnes sont mortes par arme à feu depuis le début de l’année, où les femmes ont 16 fois plus de risque d’être tuées par balles que dans les autres pays développés.
Mais un pays dont le président regarde ailleurs quand les études démontrent que les tueurs de masse ont, à l’instar de Devin P. Kelley, l’auteur du massacre de Sutherland Springs, très souvent un passé de violence domestique, autrement dit contre des femmes et/ou des enfants.
Marie-Cécile Naves publie, chez Textuel, un livre sur ce sujet en janvier 2018.
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