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La laïcité n’est pas à géométrie variable

Un récent arrêt du Conseil d’État établit qu’une statue de Jean-Paul II située sur une place publique, en Bretagne, ne peut être ornée d’une croix. Il rappelle ainsi le principe de séparation entre les Églises et l’État, en référence à la loi de 1905. Certains, que l’on n’entend pas quand il s’agit d’autres cultes, s’en sont offusqués, occasionnant une polémique sur la laïcité qui n’a pas lieu d’être.

Le 25 octobre, le Conseil d’État a jugé contraire à la loi du 9 décembre 1905 (« concernant la séparation des Églises et de l’État ») l’installation d’une croix en surplomb d’une statue du pape Jean-Paul II érigée sur une place de la commune de Ploërmel, dans le Morbihan. Comme il le rappelle, il ne s’agit là que de l’application classique de l’article 28 de cette loi : « Il est interdit, à l’avenir [à partir du 9 décembre 1905 donc, puisque les signes ou emblèmes religieux datant d’avant cette loi peuvent toujours restés en place et même être entretenus], d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions. »

Cet article 28, qui a pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes (parce qu’elles représentent l’administration impartiale qui doit servir la nation dans sa diversité convictionnelle, sans discriminer ni favoriser quiconque), fait obstacle à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’il ménage (ce qui explique que certaines crèches de Noël reconnues « traditionnelles, locales ou festives » puissent être admises dans l’espace public).

Si l’on peut affirmer que l’Église catholique a eu une influence considérable sur l’histoire de notre pays, cela ne signifie pas que les racines de la France ne seraient que « chrétiennes. »

Dès lors, cet arrêt du Conseil d’État est des plus communs en la matière et ne fait qu’ordonner l’application de la loi, sans adopter de posture ni « souple » ni « rigoriste ». Ce d’autant plus que le Conseil d’État n’ordonne ni le retrait de l’arche, ni celui de la statue du pape Jean-Paul II, qui, bien que religieuse, est une personnalité historique internationale évidente. Quant à l’arche, elle ne saurait être regardée comme un signe ou emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. Il en est évidemment différemment d’une grande croix catholique la surplombant.

Décision évidente donc, mais semble-t-il pas pour tout le monde. De nombreux élus, la plupart classés à droite et à l’extrême-droite (mais pas seulement), ont dénoncé une décision qui s’oppose « à notre héritage culturel », qui « ouvre une boîte de Pandore » et qui demain permettrait « le retrait de toutes les croix des églises » (sic).

Les emplacements publics sont soumis à la neutralité

Outre l’illustration, de leur part, d’une profonde méconnaissance de la loi de 1905 (laquelle impose la neutralité de l’administration publique et des emplacements publics, aucunement des emplacements privés ou des bâtiments religieux comme les églises), ces réactions tranchent nettement avec celles que l’on peut entendre lorsque d’autres cultes sont en cause. Qu’aurait-on entendu s’il ne s’agissait, non d’une croix, mais d’un croissant, symbole de l’islam, surplombant une personnalité de la religion musulmane ?

Pourtant, la décision aurait été la même. À l’inverse de ce que l’on a pu lire et entendre, nul « laxisme » pour tel culte et « rigorisme » pour tel autre (d’ailleurs, qui sait qu’aujourd’hui encore, les dépenses nécessaires à l’entretien des églises catholiques sont à la charge des collectivités locales quand celles concernant les autres cultes sont d’abord à la charge des associations les organisant ?).

S’ils dénoncent ici un « un laïcisme sectaire », beaucoup d’entre eux ne verront qu’une application « juste » de la laïcité lorsqu’il s’agit d’interdire toute visibilité de l’islam (et parfois du judaïsme) dans l’espace public. La justification courante est connue : « Les racines de la France sont chrétiennes, il est normal de privilégier les signes et symboles chrétiens. »

Ni majorité, ni minorité dans un État laïque

Cette affirmation est, pourtant, totalement anti-laïque en plus d’être caricaturale. Tout d’abord, si l’on peut affirmer que l’Église catholique a eu une influence considérable sur l’histoire de notre pays, cela ne signifie pas que les racines de la France ne seraient que « chrétiennes. » À quand date-t-on l’histoire de France ? Cette influence a-t-elle toujours été choisie ? De quelle unité « chrétienne » parle-t-on et que dire des guerres de religion et des persécutions des protestants par la monarchie catholique ? Quelle place enfin laissée ici aux Outre-mer et à la diversité convictionnelle qui y a toujours résidé ?

C’est justement pour sortir d’un État sous influence de l’Église où des droits distincts s’imposaient aux uns et aux autres que la laïcité s’est imposée peu à peu à partir de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (même si le mot n’existait pas encore).

Dans un État laïque, il n’y a ni majorité, ni minorité, il n’y a pas de « racines » à mettre plus en avant ou à opposer à d’autres, il n’y a que des Français, à égalité de droits et de devoirs, quelles que soient leurs appartenances propres. Dire cela, ce n’est pas nier notre histoire et les influences, plus ou moins fortes, qui l’ont traversée. C’est bien au contraire en tirer les leçons, pour ne pas faire de notre diversité une source de divisions violentes, mais pour en faire une richesse et ainsi construire un avenir commun.

© Photo : Wikimedia Commons

 

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Nicolas Cadene

Nicolas Cadene

Nicolas Cadène est le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, juriste et ancien militant au Samu social, à la Croix rouge, à la Ligue des droits de l’Homme, etc. Il est l’auteur aux éditions First de La laïcité pour les Nuls, en 50 notions clés. En savoir plus ...