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La nouvelle génération féministe change la donne

Les manifestations « MeToo » du 29 octobre sont l’occasion de revenir sur l’actualité des féminismes. Une nouvelle génération prend acte d’une complexification des enjeux, d’un croisement des luttes contre les discriminations, et forge son fer dans le feu d’Internet, démultipliant ainsi son audience et ses leviers d’action. Le combat féministe est-il à un tournant ?

Le scandale des accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles visant le producteur américain Harvey Weinstein qui enflamme les réseaux sociaux depuis deux semaines est révélateur d’une nouvelle forme de contestation et d’engagement de nombreuses femmes (et hommes), dont beaucoup appartiennent aux nouvelles générations. L’utilisation des hashtags #BalanceTonPorc et #MeToo – d’inspiration anglo-saxonne – est devenue un véritable phénomène de société. Elle révèle en chaîne des affaires de violences contre les femmes et s’accompagne de la médiatisation de chiffres et d’enquêtes qui mettent au jour l’impunité régnant dans le monde du divertissement et dans la sphère professionnelle en général. Le tout est alimenté chaque jour par des témoignages et de nouveaux scandales visant des personnalités politiques ou issues du monde des médias, et largement diffusés.

Le dénominateur commun de ces affaires ? Leur retentissement considérable grâce à une mobilisation foudroyante sur les réseaux sociaux, devenus un véritable vecteur de basculement de l’opinion. Les jeunes générations, davantage confrontées aux difficultés économiques, à l’incertitude quant à leur avenir et aux crispations identitaires que leurs aîné(e)s, trouvent de nouvelles manières de réagir à la monté des injustices. Plus : l’accélération de l’information et leur hyper-connexion alimentent en soi un refus des inégalités et de la tolérance qui ont trop longtemps prédominé quant au harcèlement sexuel. Une partie de la jeunesse se rassemble sur Internet, où elle construit des espaces de réponse à l’humiliation, et contribue à libérer massivement la parole des femmes, renouvelant un combat longtemps porté essentiellement par l’écosystème associatif.

LE WEB 2.0, NOUVEAU FER DE LANCE DE L’ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES

« La honte change de camp », dit-on. Ces derniers jours, plus que jamais sans doute, la parole des femmes est devenue publique, prenant la forme d’un immense cri de contestation et d’exaspération contre les insultes, les agressions, les réflexes archaïques de la domination masculine et d’un ordre patriarcal ancestral qui réifient les femmes et les soumettent, sur fond de complémentarité « naturelle » des sexes et de tradition gaulloise, de grivoiserie. C’est un déferlement visant à briser le silence, en lieu et place des murmures et des silences dus à la persistance d’un sentiment de culpabilité hors d’âge ressenti par les victimes.

Le web et les réseaux sociaux, plus précisément, constituent aujourd’hui une immense caisse de résonance en matière de sexualité. Souvent pour le pire, de la viralité d’une vidéo de revenge porn ou de slut shaming au très fort référencement de sites anti-IVG sur les moteurs de recherche, en passant par le cyber harcèlement, la démultiplication à l’infini des fake news et de la désinformation poussée par la réacosphère sur les gender studies. Mais parfois aussi pour le meilleur, quand sont propulsées de nouvelles formes de mobilisation et de participation citoyenne, véritables catalyseurs d’indignation, armes dans la bataille pour de nouvelles conquêtes en faveur de l’égalité, et révélatrices de phénomènes sociaux.

Nombreuses sont celles et ceux qui, parmi les digital natives, utilisent aujourd’hui les outils numériques pour dénoncer sans relâche les inégalités entre les femmes et les hommes. Ces protagonistes du féminisme 2.0 savent exploiter les réseaux sociaux, en dénoncer les limites comme en prouver l’efficacité, et grossissent les rangs de l’armée d’un nouveau féminisme.

LUTTE CONTRE LES VIOLENCES, BODY POSITIVE… UN FÉMINISME AUX NOMBREUSES FACETTES

Le féminisme se renouvelle sans cesse. Aujourd’hui comme hier, il revêt des visages multiples. Il est incarné par cette étudiante néerlandaise qui dénonce l’impunité des harceleurs sur Instagram en se prenant en selfie avec les hommes qui la harcèlent dans la rue. Ce sont aussi toutes celles qui postent leurs témoignages de harcèlement dans l’espace public en quelques mots sur le Tumblr PayetaShnek, et celles qui, sur Twitter, racontent le sexisme ordinaire, au quotidien. Sans oublier celles et ceux qui postent des photos prises dans les transports en commun d’hommes assis les jambes grandes ouvertes à côté de femmes repoussées sur un coin de siège, accompagnées du hashtag #stopmanspreading, révélateur, dans les représentations, de la place moins importante accordée aux femmes dans l’espace public comme dans la société en général. L’instantanéité d’un smartphone et la force de la publication d’une image ou d’une vidéo sur les réseaux deviennent des outils militants en faveur de l’émancipation.

Au-delà de ces actions d’anonymes de plus en plus nombreuses, le féminisme version 2017 est également porté par des stars des réseaux sociaux, telles quel’Instagrammeuse Celest Barber, qui rassemble une communauté de 2,5 millions d’abonnés. Cette comédienne australienne détourne chaque jour des photos de célébrités en publiant des clichés amateur d’elle-même, non maquillée, dans des postures invraisemblables, singeant et détournant avec humour les images photoshopées et travaillées d’actrices et de modèles. Figure de proue de la mouvance du body positive, elle déculpabilise les femmes dans leur rapport à leur corps, et contribue à briser le carcan d’une vision hétéronormée et stéréotypée de la féminité, véhiculée par la publicité, les podiums et certaines blogueuses de mode et de beauté.

Si les modes d’actions se démultiplient et revêtent plusieurs facettes, c’est que les enjeux de lutte contre les discriminations se complexifient.

Le militantisme sur Internet se prête particulièrement bien à l’activisme retentissant et aux nouvelles formes de mobilisation citoyenne, comme les flashmob(l’opération One Billion Rising, organisée chaque année le 14 février, trouve un écho à travers toute la planète, d’où sont postées des vidéos de danses géantes dénonçant les violences faites aux femmes), et autres actions « coup de poing » (à l’image de celle des Pussy Hats à la suite de l’élection de Donald Trump). Ce militantisme peut s’organiser avec peu de moyens et il est ouvert à tou(te)s.

Le monde de la culture constitue également un espace essentiel de ces nouvelles formes de lutte et d’émancipation, le manque de mixité sexuée des institutions culturelles étant particulièrement flagrant. Des pionnières du féminisme de la pop culture telles que Madonna (qui a toujours voulu prouver qu’une femme ne répondant pas aux attentes de la société et à un ordre établi agace et dérange) ont su entraîner dans leur sillage l’engagement de personnalités telles que la jeune Emma Watson – dont l’objectif du mouvement HeForShe est de faire prendre aux hommes toute leur part dans le combat féministe – ou encore Beyoncé, qui jongle très habilement entre commercialisation ultra-contrôlée de son image et incarnation d’un féminisme d’émancipation – doublé d’une affirmation anti-raciste.

À LA CROISÉE DES LUTTES CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Beyoncé est en effet porteuse d’un féminisme intersectionnel, de plus en plus puissant sur la blogosphère, à la croisée des luttes contre une double-marginalisation : celle d’être femme et celle d’être noire. La nouvelle génération féministe émerge également sur les écrans. La série Orange is the new black, par exemple, qui donne à voir l’intersectionnalité en plongeant le spectateur au cœur des communautés afros et latinos dans les prisons, défie toutes les représentations normées des femmes.

Si les modes d’actions se démultiplient et revêtent plusieurs facettes, c’est que les enjeux de luttes contre les discriminations, eux-mêmes, se complexifient. Les réseaux sociaux et les outils numériques, par les connexions infinies qu’ils génèrent, aident à ce décloisonnement. Le combat pour les droits des femmes est de plus en plus inextricablement lié à tous les autres, et s’ouvre désormais sur de grandes préoccupations sociétales (débat sur le voile, PMA, etc.). L’engagement des jeunes s’élargit à la question de la diversité en général : s’intéresser au sexisme amène à s’interroger sur le racisme, l’homophobie, la non-mixité sociale, mais aussi sur les préoccupations qui impactent directement les jeunes générations comme la précarité économique ou la destruction de l’environnement. La marche des femmes du 22 janvier 2017, qui avait pour objet initial de protester contre l’élection de Donald Trump, s’efforce de faire corps avec des défenseurs de l’environnement, des immigrés, des associations LGBT, des militants de Black Lives Matter.

Le néo-féminisme présente par ailleurs l’intérêt d’atteindre toutes les classes sociales, y compris les plus défavorisées. Les réseaux sociaux et le web, de plus en plus accessibles à tous, rendent appropriables par le plus grand nombre les combats sociétaux. Parce que les inégalités prennent aujourd’hui des formes nouvelles et de plus en plus insidieuses (sexisme et paternalisme bienveillants, par exemple), qui enferment toujours les femmes dans des rôles de complémentarité ou de subordination, le besoin de dénoncer massivement cet ordre établi n’en est que plus fort. Le web 2.0 aide à la prise de conscience.

Comme le démontre l’anthropologue Françoise Hériter évoquant la Manif Pour Tous, s’acharner à vouloir préserver l’ordre établi et « naturel » d’une société hétéronormée et patriarcale, c’est oublier que toute l’histoire de l’humanité et des civilisations fut une avancée du culturel et du sociétal contre le naturel. L’instrumentalisation de la biologie est une forme de résistance à l’égalité des droits mais les retours en arrière seront difficiles.

© Photo : Pixabay

Elsa Guippe

Elsa Guippe

est diplômée en droit, science politique et relations internationales, spécialisée en action publique et communication politique.
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