Soumis à davantage de pression que les générations précédentes, ainsi qu’à des difficultés d’insertion professionnelle plus importantes, plus exigeants dans leurs attentes également, les jeunes actifs ne manquent pas de ressources et de créativité pour réussir dans un marché du travail en constante mutation. C’est le cinquième article d’une série consacrée aux Millenials, par la chronikeuse Elsa Guippe.
Considérés par les employeurs comme opportunistes, infidèles, désinvoltes et peu enclins à se soumettre à l’autorité et au fonctionnement d’une hiérarchie, Les Millenials voient leur valeur et leurs compétences souvent trop peu reconnues sur le marché du travail. Les moins de 30 ans connaissent, parmi toutes les générations, le taux de chômage le plus élevé et rencontrent des difficultés d’insertion professionnelle de plus en plus grandes – difficulté à trouver un emploi stable, en particulier.
Les Millenials sont pourtant plus créatifs, indépendants, flexibles, agiles, réactifs et autonomes que les générations de travailleurs qui les ont précédés. Plus désabusés également, ils savent prendre leurs distances avec l’élitisme académique qui pesait sur leur aînés, éduqués par des parents qui juraient que l’obtention d’un diplôme était forcément synonyme d’accomplissement et de réussite professionnelle. Ils ont en effet pu constater que le déterminisme social pesait lourdement sur la réussite des jeunes et que l’ascenseur social de l’école était en panne.
Des parcours de moins en moins linéaires
Les Millenials envisagent ainsi le travail de manière totalement nouvelle. Ayant intégré les bouleversements et les mutations du monde professionnel induits par les nouvelles technologies, ils se sont adaptés aux nouveaux enjeux, même si, bien souvent, ils ne savent pas ce qu’ils peuvent attendre de leur poste ou métier actuel, ni vers quel secteur d’activité s’orienter. Allier leurs centres d’intérêts personnels, comme le sport, l’environnement, le numérique ou les métiers créatifs et leur choix professionnels est une question cruciale mais un défi toujours plus difficile à relever.
Le « job idéal » du Millenial consisterait en un métier bien rémunéré, peu routinier et offrant un maximum de liberté. Son entrée dans la vie active est également souvent marquée par le souhait de s’engager dans des initiatives collectives afin de mener à bien un projet. L’entrepreneuriat offre en ce sens de véritables perspectives de réussite et d’épanouissement à la jeune génération. Dans un monde du travail de plus en plus complexe et changeant, la formation et les parcours professionnels des Millenials sont de moins en moins linéaires. L’hésitation, l’erreur, la mobilité, les changements de filières, de voies et de vie font partie intégrante de leurs itinéraires de carrière. Souvent par contrainte, mais aussi par choix.
Chez les Millenials, la lassitude intervient plus précocement et la routine les rebute. Mais c’est aussi ce qui en fait une génération de travailleurs plus opérationnels, réactifs et efficaces.
La « crise du quart de vie », décrite par le psychologue britannique Olivier Robinson, qui s’est appuyé dans son étude sur des données recueillies sur le réseau social Linkedin, est de plus en plus caractéristique de cette génération de jeunes actifs. Près d’un jeune sur dix entre 25 et 33 ans a quitté un travail à temps plein pour un travail indépendant ou pour créer sa propre entreprise. 43 % disent ne pas savoir quoi faire de leur carrière, et un tiers d’entre eux effectue une pause dans son parcours pour mieux réorienter et définir ses souhaits de carrière.
Les Millenials sont également de plus en plus nombreux, après une formation très qualifiante et des études longues, ou un début de carrière sur les chapeaux de roue, caractérisé par un rythme de travail et des responsabilités élevés, à retourner en formation pour exercer un métier totalement différent, à dominante manuelle par exemple, à l’instar de Matthew Crawford.
Ce philosophe diplômé en physique et philosophie politique, directeur d’un prestigieux think tank à Washington et voisin de bureau du prix Nobel John Maxwell Coetzee, est l’auteur d’Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, paru en 2009 (et dans une version française en 2010, à La Découverte). Il y évoque comment il a renoncé à sa carrière pour se consacrer à la mécanique et à la réparation de motos, activité qu’il estime plus captivante d’un point de vue intellectuel, ce qui peut paraître paradoxal de l’extérieur.
Impatience et refus de la contrainte
Le cadre de travail est également essentiel pour la génération des Millenials. Fini le temps des bureaux impersonnels cloisonnés et des open spaces infernaux enfermant des salariés en batterie, où la suspicion et la surveillance généralisée ont tué la communication, la cohésion sociale et poussé les employés à se renfermer sur eux-mêmes. Forbes a ainsi révélé que les Millenials sont prêts à renoncer à 6 500 euros de salaire annuels pour bénéficier d’un cadre de travail plus inspirant, et que 93 % des jeunes actifs rejettent l’idée de travailler dans un bureau classique pour préférer un environnement de travail plus « lifestyle », non hiérarchique, innovant, horizontal, en mouvement et situé à proximité de nombreux services (restaurants, salle de sport…). L’arrivée des Millenials sur le marché du travail correspond du reste à l’avènement des espaces de coworkings stylisés, ludiques, spacieux et inspirants.
L’impatience et le refus de la contrainte caractérisent, enfin, des Millenials nés à l’ère du numérique et ayant intégré les possibilités, en constante augmentation et en perpétuelle accélération, offertes par les nouvelles technologies. La lassitude intervient chez eux de plus en plus précocement et la routine les rebute.
Mais c’est aussi ce qui en fait une génération de travailleurs plus opérationnels, réactifs et efficaces. Leur capacité à tirer le meilleur profit des usages et des outils numériques leur permet de travailler de manière « intégrée », entièrement dématérialisée, autonome, de plus en plus rapidement et en s’affranchissant des carcans de la réunionnite aiguë et souvent inutile, du présentéisme absurde, des tâches administratives chronophages et des circuits de communication et d’information à tiroir et à rallonge. Ils travaillent n’importe où, à n’importe quelle heure, sur Gmail, Skype, Whatsapp, Telegram, et peuvent trouver, de manière fiable, la solution à importe quel problème sur Internet.
Les Millenials peuvent ainsi se concentrer sur l’essentiel dans leur activité professionnelle, mais aussi prendre du recul, leur capacité à travailler de manière intégrée nécessitant de fait une autorégulation. C’est pourquoi ils ressentent également un besoin important de sens, d’authenticité et de flexibilité. Un employeur refusant d’offrir ces conditions de travail à un Millenial risque fort de le voir quitter ses fonctions rapidement. Et de l’accuser ensuite d’infidélité.
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