Ayant grandi devant les écrans et un smartphone en main, la génération des 15-25 ans possède un don quasi inné de la communication digitale, du « self-branding », et du marketing digital. Elsa Guippe analyse, pour Chronik, les particularités de cette génération. Dans cet article, qui inaugure une série sur les Millenials, elle décrypte les techniques de ces nouveaux stratèges.
« ll faut que des jeunes Français aient envie de devenir milliardaires. » Voilà une petite phrase prononcée par Emmanuel Macron, alors qu’il était encore ministre de l’Économie, en janvier 2015, qui avait fait polémique.
Ces jeunes Français, ce sont aujourd’hui ceux que l’on surnomme les Millenials. Les 15-25 ans sont de plus en plus souvent caricaturés comme des bêtes de luxe, consommateurs obsessionnels, acheteurs compulsifs, cibles de choix du marketing et des grandes marques (qui s’échinent plus que jamais à connaître et anticiper leurs comportements de consommation.)
Les adolescents sont aspirés chaque jour dans le déferlement des images des influenceurs digitaux qui amassent des fortunes parfois colossales en monétisant leur image sur Instagram, Facebook, Twitter, ou encore Snapchat. Ils sont inondés par les dernières tendances, « it » produits, recette d’açaï bowl, tutos de contouring et séances de unboxing de vêtements et d’objets de luxe, en ouvrant leur flopée d’applications sociales au saut du lit.
Alors que bon nombre d’entreprises n’ont pas entamé la transition digitale de leur activité, la génération des Millenials a très bien saisi le fonctionnement du contenu sponsorisé et les techniques permettant d’élaborer un business modelefficace.
Cette « génération selfie » peut-elle être réduite à son obsession pour la consommation et le luxe ? À une génération animée par la reproduction de codes bourgeois, le panurgisme, le mépris de classe et l’entre soi, maladivement attachée à l’apparence et à l’image, jugeant autrui sur la base unique de son appartenance sociale et de son niveau de vie, guidée par la seule volonté de devenir milliardaire ? Les 15-25 ans, qui n’ont entendu toute leur vie que les mots « crise », « chômage » et « terrorisme », peuvent-ils vraiment être réduits à cette caricature ? Ce serait refuser de voir qu’ils ont en eux des ressources inédites et infinies pour réussir.
LES NOUVELLES STARS
Avec l’avènement des réseaux sociaux, à l’ère du sensationnalisme, de la renommée soudaine et éphémère et de l’information qui s’automultiplie à l’infini sur le web, les plateformes communautaires, en particulier vidéos, se sont mutées en d’incroyables accélérateurs pour les stars des médias sociaux et les influenceurs : Jérôme Jarre, Logan et Jake Paul, Squeezie, Norman, Enjoy Phoenix, King Bach… Vine et Youtube ont érigé en stars planétaires des gamins partis de rien et devenus millionnaires en quelques mois, après avoir cumulé sur leurs vidéos jusqu’à plusieurs milliards de vues.
Le phénomène des influenceurs digitaux et stars des médias sociaux faisant fortune sur Internet a déjà quelques années. La réputation numérique et la communication digitale semblent toutefois avoir pris ces derniers mois une ampleur particulière. En 2017, le Youtubeur suédois controversé PewDiePie a atteint le niveau record de 50 millions d’abonnés.
Alors que bon nombre d’entreprises, de grands groupes, d’industries n’ont pas encore entamé la transition digitale de leur activité, la génération des Millenials a très bien saisi le fonctionnement du contenu sponsorisé et les techniques et rouages permettant d’élaborer un business model efficace, à peine atteint l’âge adulte. Certes, une infime minorité connaît un succès foudroyant, quand la plupart des autres peinent à percer. Mais leur point commun est une remarquable maîtrise des codes de la communication et du marketing digitaux.
« ALWAYS PLUGGED »
« Toujours connecté », H24, 7j/7 pour le business. Le contenu sponsorisé et le self-branding n’ont aucun secret pour les jeunes stars des médias sociaux. Ils alimentent en continu la machine vorace des réseaux sociaux, qui ne supporte ni le vide, ni le silence. Pas une journée ne se passe sans qu’ils développent une story et publient une photo ultra léchée sur Instagram, remercient leurs fans sur Twitter, mettent en ligne une nouvelle vidéo sur Youtube, partagent un contenu sur Facebook, inondent Snapchat de selfies ludiques et filtrés.
S’ils débutent souvent leur carrière en totale autonomie, se filmant eux-mêmes, une fois la renommée atteinte ils s’entourent d’une équipe d’assistants, de cadreurs et d’agents pas plus âgés qu’eux, ils gèrent leur empire de leur smartphone au McDo ou à la salle de sport.
Ils développent souvent leur propre merchandising, leur ligne de produits, élaborée sur la base de leur identité web (logo, slogans, « catchphrases » – phrases fétiches, accrocheuses, répétées comme des slogans pour les fans…). Vêtements, coques d’Iphone, sacs et accessoires sont vendus à grand renfort de « Link in bio » – lien clicable dans la biographie – répétés à tue-tête, incrustés dans leurs vidéos et visuels, renvoyant vers leurs chaînes secondaires et sites « shop » dédiés où leur « merch » se vend comme des petits pains.
Car les fans sont aussi leurs meilleurs – et très nombreux – clients. Ouvrir un « pop-up shop » stylé dans une grande ville, y organiser une séance de dédicaces et un concert, et c’est l’émeute assurée. Les chiffres de croissance des chaînes et comptes, toujours plus extravagants, permettent également aux stars des médias sociaux de monnayer très chèrement leurs apparitions publiques.
SUCCESS STORY EN LIVE
C’est la success story des social media stars vécue au quotidien et en quasi direct qui fait rêver les adolescents biberonnés à Hunger Games. Ils suivent fidèlement leurs idoles, de leurs 5 000 premiers abonnés au cap convoité des 10 millions, parfois en moins d’un an. L’une des clés de la stratégie de développement d’une chaîne est d’ailleurs de renvoyer une image de forte proximité avec ses abonnés, en construisant un contact direct avec eux. Les stars des réseaux invitent leurs fans à participer à leurs vidéos, affichent leurs courriers et dessins sur les murs de chez eux, gravent des noms de fans dans l’habitable de leur voiture…
L’essentiel est que l’abonné soit connecté en permanence, et invite les autres à en faire de même. Un « notification shout out » quotidien (consistant à saluer un abonné qui a activé ses notifications de la chaîne Youtube de la star sur son smartphone) rend l’audience captive et des « Give away » réguliers (qui récompensent par un cadeau un nouvel abonné tiré au hasard) créent des pics d’audience.
Deux Américains, les frères Paul – Logan et Jake -, 22 et 20 ans, détiennent des records de vitesse de progression en nombre d’abonnés sur Youtube et ont bâti un empire. Ex-stars de Vine, la plateforme qui permettait de poster des vidéos de 6 secondes, fermée en 2016, ils ont réussi leur reconversion en devenant « vloggers » – contraction de « vidéo » et de « blogueur » – sur Youtube. Ils ont fait suivre à leurs fans au quotidien leur ascension fulgurante depuis la petite ville de l’Ohio dont ils sont originaires et où ils multipliaient des gags dans leur lycée ou le supermarché du coin de la rue, à leur triomphe à Los Angeles, où ils viennent d’aménager dans de somptueuses villas, piscine et Lamborghini comprises, sur les collines d’Hollywood, avec leurs équipes/amis.
Car ces jeunes chefs d’entreprise savent s’entourer. Jake Paul a créé le label « Team 10 », qui consiste à faire signer des contrats à de jeunes pousses dont il perçoit un potentiel de montée en puissance très rapide sur les réseaux. Logan Paul capitalise aujourd’hui, toutes plateformes confondues, 48,5 millions d’abonnés (14 millions d’abonnés sur Youtube, 15 millions sur Instagram, 16 millions sur Facebook et 3,5 sur Twitter).
À eux deux, ils totalisent presque 79 millions d’abonnés sur les 4 plateformes. Selon Forbes, Logan Paul gagnerait 150 000 dollars par publication sur Facebook et 80 000 dollars par contenu sponsorisé sur Instagram. Le mois dernier, un média titrait à l’occasion d’un passage de la star à Dubaï : « Pourquoi Logan Paul est en passe de devenir la première star des réseaux sociaux milliardaire ». Il faut que les jeunes aient envie de devenir milliardaires. La boucle est bouclée.
© Photos : Pixabay et Max Pixel
Elsa Guippe
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