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Macron, les institutions et l’État

L’« État en mode start-up » préconisé par Emmanuel Macron est en marche. Reste que sa conception des institutions et de l’État s’inscrit plus dans une forme de « continuité accélérée » que dans une logique de rupture avec la pratique de la Ve République. En cela, le président Macron tend à achever le processus de mutation dans lequel s’était déjà engagé l’État.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fait du « renouveau démocratique » un axe essentiel de son programme, un pilier du « nouveau monde »qu’il appelait de ses vœux. Or, depuis l’élection à la présidence de la République de celui qui se rêve à la fois « Jupiter » et « maître des horloges », on assiste moins à un renouveau de la pratique des institutions de la Ve République qu’à une illustration caricaturale de la logique présidentialiste : concentration et centralisation du pouvoir à l’Élysée, neutralisation de la fonction primo-ministérielle, dévalorisation du Parlement avec un fait et une discipline majoritaires poussés à l’extrême, etc.

LES DIRECTEURS D’ADMINISTRATION CENTRALE REÇUS À L’ÉLYSÉE

Les déséquilibres de notre monarchie républicaine s’en trouvent plus renforcés que jamais, alors que les contre-pouvoirs (syndicats, médias, etc.) semblent comme neutralisés ou du moins inaudibles… La frontière entre politique et administration ou entre l’Élysée et les ministères devient « fiction réelle ». Fait sans précédent sous la Ve République, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée les directeurs d’administration centrale, préalablement à leur nomination officielle en conseil des ministres, ce « pour les jauger et leur donner leur feuille de route. »

Quid des ministres censés diriger leur propre administration ? À force d’incarner seul le pouvoir d’État, en toute logique démocratique, le président Macron devrait donc se retrouver seul à assumer la responsabilité politique de l’action de sa majorité.

Là se situe le paradoxe macronien : derrière la focalisation et la lumière autour de la personne du chef de l’État, on est entré dans une ère de désétatisation de la puissance.

Au-delà de la sphère des institutions politiques, Emmanuel Macron s’imagine à la tête d’un pays réduit à une « start-up nation », animée à la fois par une verticalité du pouvoir et une culture managériale de l’entreprise. Or, sur ce plan aussi, le président s’inscrit moins dans une logique de rupture que dans une forme de « continuité accélérée ». Notre vieil État jacobin, centralisé et interventionniste n’a pas attendu le macronisme pour se transformer : son organisation administrative est décentralisée et son action est influencée depuis la fin des années 1980 par la rationalité de type managériale issue de la doctrine du New public management et des théories du public choice.

La culture du service public est annihilée par une logique comptable et une « culture de la performance ». En cela, le programme « Action publique 2022 » que vient de lancer l’exécutif s’inscrit dans la lignée du discours lancinant sur la « réforme de l’État » et dans la continuité à la fois de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) lancée par Nicolas Sarkozy et de la Modernisation de l’Action Publique (MAP), instituée par François Hollande.

UNE MODERNISATION DE L’ÉTAT PAS SI NOUVELLE

Ici aussi, la stratégie présidentielle consiste à renforcer et à accélérer une dynamique déjà prégnante, celle qui devrait nous amener à vivre dans l’« État en mode start-up » (titre de l’ouvrage des économistes Yann Algan et Thomas Cazenave, préfacé par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie de François Hollande.) Le pragmatisme et le rationalisme avancés en guise d’arguments d’autorité ne sauraient masquer la dimension idéologique de cette conception de l’État : négation de la distinction de nature entre l’entreprise privée et les institutions publiques ; croyance dans la culture de l’efficience (par rapport aux objectifs/résultats fixés) ; et surtout des usagers-citoyens mus en clients-consommateurs d’une «start-up nation» gouvernée par la technologie numérique…

Cette mue est loin d’être propre à la France, mais elle revêt une portée particulière dans un pays de « culture stato-nationale » dans lequel la société entretient une relation intime et singulière avec son État. La construction socio-historique de l’État en France a fait de lui un « Sauveur sécularisé », selon l’expression de Pierre Legendre. Sorte d’instance de premier et de dernier recours, l’État est empreint de sacralité, ce qui le pare d’une aura « providentielle ».

Le modèle français s’est construit sur l’idée à la fois d’une supériorité et d’une centralité l’État dans l’ordre social, économique et symbolique. Là se situe le paradoxe macronien : derrière la focalisation et la lumière autour de la personne du chef de l’État, on est entré dans une ère de désétatisation de la puissance…

© Photo : Pixabay

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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