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Les frappes occidentales en Syrie, morales et légitimes ?

Dans la nuit du 13 au 14 avril, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont procédé à une série de frappes visant l’arsenal chimique du régime de Damas. Face à l’intransigeance de Moscou, considérant avoir épuisé tous les recours légaux possibles, s’affranchissant des modalités découlant de Charte des Nations Unies, les Occidentaux ont voulu envoyer un message fort à Bachar al-Assad afin de faire respecter une ligne rouge qui a été franchie en 2013 et à plusieurs reprises depuis lors. Limitées dans leur portée, ces frappes ne règlent en rien la situation politique mais permettent aux Occidentaux, quelque peu marginalisés, de revenir dans un jeu complexe et encombré.

Oui, il est avéré que des armes chimiques ont été employées contre les populations de la Ghouta, en 2013, à plusieurs reprises depuis lors, et encore une fois le 7 avril dernier, donc cinq ans après que le régime eut accepté de se conformer à la Convention internationale pour l’interdiction des armes chimiques (CIAC) qu’il a ratifiée le 14 septembre 2013.

Il est également avéré que le régime de Bachar al-Assad, qui martyrise son peuple depuis sept années, n’a plus une once de légitimité à représenter son pays au sein des organisations internationales. Son avis ne compte que parce que Moscou l’utilise à des finalités géopolitiques. Il est d’ailleurs tout aussi avéré que la Russie de Vladimir Poutine use et abuse du dossier syrien pour consolider son come-back comme puissance, préserver ses intérêts au Proche et Moyen-Orient, tout en nourrissant un récit identitaire et nationaliste qui participe de la légitimité du régime syrien.

Sachant cela, les frappes occidentales sur des installations militaires du régime syrien, pour justifiées et légitimes qu’elles soient, tendent à redistribuer les cartes.

LES OCCIDENTAUX SOMMÉS DE RÉAGIR

On a souvent glosé sur les lignes rouges que Barack Obama avait tracées en août 2012, on occulte pourtant que le Congrès américain ne donnait alors pas son feu vert à d’éventuelles frappes. Il en était de même pour David Cameron qui se serait vu opposer le véto du parlement britannique. Paris, par les dispositions constitutionnelles de la Ve République qui laissent les mains libres à l’exécutif pour agir militairement, était en mesure d’intervenir mais… seule. Elle s’était abstenue. Moscou avait alors saisi cette occasion pour s’insérer sur l’échiquier syrien et devenir une pièce-maîtresse d’un jeu déjà bien encombré.

En effet, se posant en médiatrice, la Russie proposa une solution astucieuse : la ratification par Damas de la Convention d’interdiction des armes chimiques de 1993 et la destruction de son arsenal chimique sous supervision internationale. Il en résulta la résolution 2118 du 27 septembre 2013, votée à l’unanimité au Conseil de sécurité, qui érigeait l’arsenal chimique de la Syrie en  « menace contre la paix et la sécurité internationale » et que la Russie s’est acharnée à vider de son contenu à coups de vétos successifs (douze au total, dont six sur le dossier des armes chimiques).

L’histoire retiendra que 90 % des victimes civiles de ce conflit sont imputables aux séides de Bachar al-Assad, et qu’une partie ont été la cible d’armes chimiques.

Derrière cet habile rideau de fumée, Moscou préparait son retour en force au Proche-Orient. S’étant contentée jusque-là de fournir des armes et des conseillers techniques aux forces armées restées fidèles à Bachar al-Assad, la Russie envoie au printemps 2015 les éléments précurseurs d’un corps expéditionnaire et des milliers de mercenaires, et sauve un régime aux abois. Quelques mois plus tard, ce dernier a pu reprendre l’offensive et passer aux yeux d’une partie de l’opinion, pour le moins peu ou mal informée, pour l’unique rempart face à l’Etat islamique.

L’histoire retiendra cependant que 90 % des victimes civiles de ce conflit sont imputables aux séides de Bachar al-Assad, et qu’une partie – certes modestes mais tout de même – ont été la cible d’armes chimiques. Depuis, la guerre par acteurs locaux interposés s’est intensifiée, une kyrielle de puissances est intervenue militairement au gré de la situation et de leurs intérêts respectifs (Turquie, Israël…).


Les Occidentaux et les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont annihilé militairement l’État islamique et réduit son assise territoriale pendant qu’une coalition autour du régime (Hezbollah, Iran, Russie) regagnait le terrain perdu, achevant le peu d’éléments réputés modérés à Alep, à la Ghouta… il est vrai parfois alliés avec des forces islamistes anciennement liées à al-Nosra, nécessité faisant loi face au risque d’annihilation.

Du point de vue militaire, la prise de contrôle de la Ghouta et l’attaque chimique de la ville de Douma permettent de sécuriser Damas et de consolider le régime avant d’engager des opérations visant à reprendre le Nord de la Syrie actuellement sous le contrôle des FDS (et des kurdes des Unités de protection du peuple – YPG).

Du point de vue humanitaire, les conditions épouvantables de l’offensive, les différentes provocations et les faux-semblants orchestrés par Moscou au sein des instances internationales – faux couloirs humanitaires, négociations de cessez-le-feu qui n’ont jamais existé dans le faits, le tout noyé dans une marée de fake news– tendent à démontrer une complicité évidente avec le régime, voire une incapacité pour le moins inquiétante à contrôler ce dernierL’emploi d’armes chimiques a participé de ce brouillard, où toutes les vérités se valent et où le cynisme est de mise.

On se souvient qu’à la suite des conclusions d’une enquête diligentée par l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), pointant la responsabilité du régime dans une attaque chimique en octobre 2017 à Khan Cheikhoun, la Russie avait mis fin au mandat des inspecteurs internationaux. Et l’épisode onusien du 9 avril, au cours duquel Moscou a présenté une résolution en Conseil de sécurité reposant sur une enquête de l’OIAC, laquelle n’allait pas être habilitée à désigner la partie responsable de l’attaque, a mis les Occidentaux le dos au mur. Dès lors, après des mois d’inaction, accusés de passivité aussi bien sur le dossier des attaques chimiques que sur le dossier kurde, ils se devaient de réagir. Une intervention militaire contre le régime devenait ainsi inévitable. Restait à savoir dans quelles proportions.

DES FRAPPES AÉRIENNES LÉGITIMES CAR JUSTIFIÉES MORALEMENT

Ces frappes, décriées par beaucoup, à défaut d’être revêtues d’une légalité « pure et parfaite », sont moralement justes. Moralement justes parce plusieurs des attaques chimiques sont avérées, ce alors que le régime s’était engagé à la destruction de son arsenal d’armes chimiques le 14 septembre 2013. Outre celle de Khan Cheikhoun, celle de la Douma est corroborée par les casques blancs, dont il faut saluer ici le courage, confirmée et relayée par des ONG et des médias, au point que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a partagé ces présomptions. Le régime a donc clairement violé la CIAC.

Moralement justes, parce qu’elles étaient proportionnées dans le temps et en intensité. Les frappes ont été ciblées et circonscrites aux seules installations militaires ayant permis des attaques chimiques, et pas au-delà.

Moralement justes, enfin, parce qu’après tant d’atermoiements, il n’était plus possible de rester les bras croisés et parce qu’un signe fort devait être envoyé au régime syrien. Il en allait de la crédibilité des pays occidentaux largement soutenus par la communauté internationale. Le drame de Douma rappelle à cette dernière, et aux Européens en particulier, qu’ils ont une responsabilité dont ils ne sauraient s’extraire au regard d’un passé pas si lointain qui entache leurs mémoires collectives (Srebrenica, Rwanda, etc.).

Ces frappes s’apparentent à de la diplomatie coercitive et doivent être considérées comme telles.

Ce faisceau d’éléments légitime les frappes occidentales en ce sens qu’il participe de la théorie sur la « guerre juste » (Jus ad bellum) qui – faut-il le rappeler ? – nourrit le droit international public, à commencer par la Charte de 1948 des Nations Unies. Le faisceau d’éléments autorisant l’usage de la force est le suivant : la situation d’injustice et les atrocités commises parlent d’elles-mêmes ; les voies et moyens pacifiques étaient épuisés. Il manquait cependant le fondement juridique qui permettrait d’asseoir l’intervention. La violation  de la CIAC représente un socle juridique certes limité et fragile – elle n’autorise pas par elle-même l’emploi de la force – mais néanmoins tangible. Elle ne la fonde pas en droit mais la drape d’une légitimité quasi-incontestable.

Notons que la France a joué un rôle décisif dans la formulation de la réponse occidentale. En s’appropriant les lignes rouges d’Obama, et en provoquant l’intervention, Paris les a crédibilisées. De même qu’en convainquant le Président Donald Trump (avec son secrétaire à la Défense, Jim Mattis) de limiter les frappes au seul arsenal chimique syrien, Emmanuel Macron a réussi à conférer de la cohérence à une réponse militaire qui, si elle avait été plus massive, aurait pu provoquer une escalade.

Le fait que la Russie n’ait pas tenté de contrer les attaques, ni même de protéger les installations, et encore moins d’engager des représailles, prouve que les cartes pouvaient et devaient être rebattues et que le rapport de force en faveur du régime et de ses partenaires est plus fragile qu’on ne le pense.

Ces frappes s’apparentent donc à de la diplomatie coercitive et doivent être considérées comme telles. En effet, cette séquence doit permettre aux Occidentaux de revenir dans le jeu, à condition que cedant arma togae (les armes cèdent à la toge) car à l’évidence, dans ce conflit comme dans beaucoup d’autres, il n’y a de solution que politique et multilatérale.

© Photos : Flickr

William Leday

William Leday

est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.
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est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.

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