Dans un accès de cynisme qui confine à la lâcheté, le président Donald Trump a pris la décision de lâcher les partenaires les plus fiables et les plus loyaux de la coalition internationale qui affronte l’Etat islamique en Syrie. Arguant une supposée victoire contre un Etat islamique qui est loin d’être défait, il confère un ascendant décisif au régime de Bachar al-Assad et ses partenaires russe et iranien qui réoccupent le territoire perdu. En retirant le contingent militaire composé de 2 000 personnels des forces spéciales qui œuvrait à la lutte contre l’Etat islamique, mais également entravait l’offensive turque dans le Nord de la Syrie, Washington laisse le champ libre à des acteurs dont les intentions à l’égard de la communauté kurde sont pour le moins obscures. Si le régime de Bachar al-Assad peut se poser traditionnellement en protecteur des minorités, ce n’est pas clairement exprimé à l’endroit de la communauté kurde de Syrie dont les forces ont affronté à plusieurs reprises celles du régime et sont intégrées au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par de nombreux pays occidentaux dont les Etats-Unis et la France.
De surcroît, le rapport de force avec Ankara se pose en des termes où les Kurdes de Syrie joueront à nouveau, comme cela a été le cas à plusieurs moments de l’histoire du Moyen-Orient, de variable d’ajustement. Il en a toujours été ainsi dans ce Proche-Orient des accords Sykes-Picot dans lesquels les Kurdes ont été considérés, pour des raisons politiques et d’opportunité, comme quantité négligeable. Leur ensemble territorial géographique s’est alors trouvé partagé entre la Turquie naissante de Mustapha Kemal, l’Iran et deux Etats en devenir qu’étaient la Syrie et l’Irak. La nation kurde revendiquée par plusieurs partis et organisations kurdes n’a jamais eu la moindre effectivité dans les négociations internationales. A l’exception de l’Irak, où la communauté internationale, au premier chef les Etats-Unis, a encouragé dès 1991 l’émergence d’un Kurdistan autonome au sein d’un Etat irakien étiolé, les Kurdes sont partout minoritaires, au mieux reconnus comme tels, au pire combattus. Leur place en Syrie, alors qu’ils sont menacés à la fois par les forces armées turques déployées localement, les forces du régime, et des restes épars de l’Etat islamique en proie à des désirs de revanche, est aujourd’hui en péril.
Au regard du rôle incontournable que les Kurdes de Syrie ont joué dans la guerre contre l’Etat islamique, qui est loin d’être vaincu, mais aussi du rôle que la France a ou prétend jouer au Proche-Orient, Paris ne peut rester silencieuse et encore moins passive dans ce qui va se tramer sur le terrain et en coulisses des négociations entre les « vainqueurs ». En effet, en évacuant ses militaires, Washington laisse la communauté kurde de Syrie en prise avec ses adversaires traditionnels, et abandonne un parrainage qui date pourtant de la première guerre du Golfe en 1991. La France peut et doit, avec l’appui des Européens, occuper cette place vacante.
Dans l’immédiat, la diplomatie française doit exprimer sa détermination à veiller à ce que l’intégrité de la communauté kurde de Syrie soit respectée par les parties prenantes, à plus ou moins brève échéance, et, dans le cadre du mandat conféré à la coalition internationale, occuper si nécessaire le terrain que les militaires américains abandonnent. Il s’agit pour la France de cristalliser un rapport de forces en cours de redéfinition entre les parties prenantes et saisir l’opportunité de reprendre la main sur un jeu où Moscou et Téhéran dictent les règlent.
William Leday
Les derniers articles par William Leday (tout voir)
- E. Macron, candidat de la discorde civile et de la France censitaire ? - 6 janvier 2022
- France, Algérie, Afrique : le poids géopolitique de la question mémorielle - 13 octobre 2021
- Un an après, le confinement - 18 mars 2021