Les Jeux Olympiques de Pyeongchang sont l’occasion, pour les deux Corées, de sortir de la logique d’affrontement qui prévaut depuis des années. Par cette arme diplomatique qu’est le sport, Nord-Coréens et Sud-Coréens entament un dialogue qui contraste avec les tensions accumulées ces derniers mois. Mais du verbe à la réconciliation, il y a un pas. Les Coréens et leurs partenaires sont-ils prêts à le franchir ?
Le vendredi 9 février, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Pyeonchang, en Corée du Sud, les délégations sud-coréenne et nord-coréenne ont défilé ensemble sous le drapeau bleu de l’unification. Les deux pays forment une équipe unique en hockey sur glace chez les femmes et la sœur de Kim Jong-un, Kim Yo-jong, a même été dépêchée sur place pour inviter le président sud-coréen, Moon Jae-in, « à visiter le Nord au moment qui lui conviendra le mieux. » C’est un rapprochement qui tranche nettement avec les vitupérations de Donald Trump, qui naguère menaçait de détruire entièrement la Corée du Nord ; et avec les provocations du régime dictatorial qui, en septembre 2017, lançait un sixième et puissant essai nucléaire en affirmant sa capacité à atteindre le territoire américain.
Mais, lors de son allocution du nouvel an à la nation, le leader nord-coréen a fait volte-face tout en prônant la poursuite de son programme balistique et nucléaire : « Les J.O. d’hiver sont une bonne occasion pour la nation. Nous souhaitons sincèrement que les J.O. d’hiver connaissent un succès. […] Nous sommes prêts à prendre des mesures, notamment envoyer une délégation. » Très rapidement, la Corée du Sud a répondu favorablement à cette main tendue, et les relations se sont rétablies : le téléphone rouge intercoréen, basé dans le village de Panmujom en zone démilitarisée, a été rebranché après deux années de silence.
UNE COALITION D’INTÉRÊTS
Ce résultat diplomatique constitue d’abord une grande victoire pour la Corée du Sud et son président, Moon Jae-in, qui a toujours prôné le dialogue avec son voisin septentrional. Contrairement à ses deux prédécesseurs conservateurs, qui étaient sur une ligne d’opposition systématique avec le Nord, l’actuel président n’a cessé de souhaiter la discussion, en reprenant les fondements de cette stratégie qu’on appelait jadis la « Sunshine Policy », équivalent coréen de l’« Ostpolitik » allemande durant la guerre froide. Avec ce tour de force diplomatique, Moon Jae-in prouve que l’on peut instaurer un dialogue avec Pyongyang sans se répandre en invectives.
Surtout, la stratégie de Séoul a fonctionné : la Corée du Sud cherchait à garantir la sécurité de ses Jeux et elle l’a obtenue. Avant que le rapprochement ne s’opère entre les États rivaux, on doutait qu’une atmosphère sereine pût entourer ces XXIIIe olympiades. Il y a peu encore, souvenons-nous, la France et d’autres pays s’inquiétaient des risques sécuritaires qui pesaient sur l’organisation des Jeux, au point d’envisager de ne pas envoyer de délégation à Pyeongchang.
Kim Jong-un cherche aussi, de toute évidence, à instrumentaliser ces Jeux Olympiques pour nourrir sa propagande et sa communication politiques en direction de la population nord-coréenne.
Kim Jong-un a lui aussi tout intérêt à calmer le jeu diplomatique. Dès lors que son arsenal nucléaire est sécurisé et que le risque d’un renversement a considérablement faibli, le régime nord-coréen peut envisager plus paisiblement d’ouvrir un dialogue avec son voisin méridional, bien que son but soit in fine de parler sur un pied d’égalité avec la Maison blanche.
Par ailleurs, si le leader nord-coréen a bien envoyé tout une délégation au Sud, il a pris des dispositions pour que ses sportifs demeurent sous étroite surveillance. Les désormais très médiatiques joueuses de hockey sont d’ailleurs logées dans un immeuble séparé au sein du village olympique, et il leur est strictement interdit d’aborder des sujets politiques avec les Sud-Coréens, au risque d’être sévèrement sanctionnées à leur retour en Corée du Nord.
Kim Jong-un cherche aussi, de toute évidence, à instrumentaliser ces Jeux Olympiques pour nourrir sa propagande et sa communication politiques en direction de la population nord-coréenne. Le président entend ainsi prouver aux quelque 25 millions de personnes courbées sous son joug qu’il est respecté de tous et dans le monde entier. Désormais, il n’est plus le tyran hystérique qui n’inspire que crainte et mépris, mais le dirigeant d’un État finalement guère différent des autres et intégré, bon gré, mal gré, au jeu des relations internationales…
LE JEU DES PUISSANCES EXTÉRIEURES
Le rapprochement intercoréen intervient à un moment particulièrement délicat sur la scène internationale. D’abord, Séoul est en train de rouvrir le dossier très sensible des femmes dites de « réconfort », ces femmes coréennes forcées à la prostitution par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Et sur ce sujet, comme sur bien d’autres, la tension monte entre Séoul et Tokyo.
Moon Jae-in tente également de freiner les ardeurs des États-Unis, volontiers enclins à imposer seuls leur volonté sur la péninsule coréenne. Certes, les Américains demeurent un soutien de poids, essentiel et vital pour la Corée du Sud face à la menace venue du Nord. Mais les convulsions verbales du locataire de la Maison blanche mettent également en péril sa sécurité stratégique. Les liens se relâchent entre les deux pays, ce qui pousse Séoul à prendre ses distances avec cet allié de plus en plus gênant, voire dangereux. Dans ce contexte, le rapprochement avec la Corée du Nord ne peut être le pur fruit du hasard.
Comme instrument diplomatique, le sport a cet avantage de n’engager ni la responsabilité des personnes, ni la souveraineté des États.
Il est aussi facilité par l’attitude de la Chine, qui entretient des rapports difficiles avec son incontrôlable et turbulent voisin nord-coréen. La République populaire a tout intérêt à voir se détendre la situation dans la région, dans la mesure où les provocations incessantes du tyran péninsulaire viennent accroître automatiquement les dépenses de défense japonaises ainsi que la présence stratégique des États-Unis en mer de Chine orientale, ce que Pékin cherche précisément à éviter. L’intérêt de la Chine est de parvenir à un apaisement généralisé dans la région, afin d’étendre plus sereinement son influence sur son environnement direct.
Ses relations sont d’ailleurs bien meilleures avec la Corée du Sud qu’avec la Corée du Nord. Pour ne prendre qu’un exemple, 850 vols hebdomadaires font la liaison entre la Corée du Sud et la Chine, quand seulement quatre par semaine relient la Chine à la Corée du Nord. Pour Pékin, le véritable partenaire économique et politique est bien la Corée du Sud.
DES PERSPECTIVES ENCORE INCERTAINES
Ces Jeux Olympiques de Pyeongchang sont venus à point nommé calmer les véhémences de chacun. Les événements sportifs, et les J.O. en particulier, ont parfois cette capacité de recréer du lien dans les situations les plus chaotiques. Déjà, en 1971, alors que le risque d’une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Chine atteignait son paroxysme, c’est une équipe de pongistes américains qui, au hasard d’une tournée en Asie, avait été reçue par le premier ministre chinois, Zhou Enlai, avant de repartir aux États-Unis avec un message de sympathie destiné à Richard Nixon.
Cette « diplomatie du ping-pong », comme on la nomme depuis, rappelle que le sport peut être un vecteur de rapprochement particulièrement efficace. Surtout, comme instrument diplomatique, le sport a cet avantage de n’engager ni la responsabilité des personnes, ni la souveraineté des États. Il permet d’avancer sur la voie de la réconciliation sans pour autant donner l’impression qu’une des parties abandonne ses positions.
Aller plus loin : Le sport, chambre d’écho des anti-Trump
Lors des négociations qui ont précédé la participation de la Corée du Nord aux Jeux, Pyongyang a obtenu le report de manœuvres militaires d’envergure organisées conjointement par les États-Unis et la Corée du Sud. Reportées, mais pas annulées : aucun camp ne perd la face. C’est la même logique qui sous-tend la diplomatie sportive.
Les phases de réchauffement et d’agitation des relations intercoréennes se sont certes succédé par le passé. Et l’on peut s’attendre, notamment en cas de manœuvres militaires importantes à l’issue des J.O., à une nouvelle montée des tensions. Mais, sur cette ligne d’horizon qui peine à se dessiner, Donald Trump figure certainement le principal point d’incertitude. Continuera-t-il à menacer le leader nord-coréen pour flatter l’orgueil de son électorat ? Ou bien cherchera-t-il à s’attribuer la paternité de ce rapprochement, résultat de sa persévérance et de son courage ?
© Photo : Flickr
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