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L’Allemagne et le spectre du « gouvernement introuvable »

Régime parlementaire traditionnellement stable, caractérisé par une forte culture du compromis, la République fédérale d’Allemagne n’échappe plus au spectre du « gouvernement introuvable ».

Le 7 février dernier, plus de quatre mois après les élections législatives de septembre 2017, les principaux partis du système politique allemand (avec, d’un côté, le bloc conservateur CDU-CSU, et de l’autre, les sociaux-démocrates du SPD) ont enfin conclu un « contrat de coalition » qui fixe la politique qu’ils entendent conduire durant la prochaine législature. Un accord qui est loin de faire l’unanimité de part et d’autre. Toutefois, non seulement le processus n’est pas clos (la question de la répartition des portefeuilles ministériels ne semble pas totalement finalisée), mais la formation du gouvernement stricto sensu ne vaut pas vote d’investiture ou de confiance par le Bundestag…

L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE DE NÉGOCIATION POLITIQUE

En Allemagne, le mode de scrutin en vigueur pour les élections législatives – un mode de scrutin proportionnel plurinominal, mais où une partie des sièges est pourvue via le scrutin uninominal majoritaire à un tour – fait qu’il est très difficile pour un parti d’obtenir la majorité à lui seul.

Du reste, l’histoire politique allemande d’après-guerre est marquée par une succession d’accords de coalitions gouvernementales adoptés selon un processus éprouvé : si les premières négociations ou « discussions exploratoires » aboutissent, s’ouvre alors la phase de « négociations de coalition » proprement dites, durant lesquelles des groupes de travail restreints rédigent la feuille de route du gouvernement. Durant ce travail de rédaction, il arrive que la question de la répartition des portefeuilles ministériels soit posée et tranchée. C’est seulement au terme de cette seconde phase, et si les adhérents des différents partis valident le document programmatique en question, que le président de la République proposera au Bundestag d’élire le ou la futur.e chancelier.e, à savoir, en principe, le chef du principal parti de la coalition.

            Aller plus loin : Crise politique allemande : la fin d’un modèle ?

Reste que les négociations de coalition peuvent s’avérer difficiles et relativement longues. Si déjà en 2005, il y a eu plus de 65 jours entre les élections législatives et l’élection d’Angela Merkel (à la tête du Parti démocrate-chrétien (CDU)) comme chancelière, la formation du gouvernement s’est avérée plus houleuse encore après les élections fédérales de septembre 2017. Au pouvoir depuis douze ans, le parti de la chancelière et son allié conservateur bavarois de la CSU ont certes remporté les élections législatives, mais leur résultat a pâti de la percée du parti d’extrême droite « Alternative pour l’Allemagne » (AfD), devenu la troisième force politique du pays, avec 94 députés élus.

Malgré des centaines d’heures de réunions et d’âpres négociations postélectorales pendant plus d’un mois, la tentative de trouver un accord au sein d’une coalition inédite – qualifiée de « jamaïcaine » en référence aux couleurs des trois familles politiques impliquées (noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux du FDP, vert pour les écologistes) – a échoué. Cet échec a abouti à une situation politique sans précédent depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne en 1949 : pour la première fois, les responsables politiques concernés ont pris acte de l’absence de majorité pour former une coalition gouvernementale.

L’AFFIRMATION DU PRÉSIDENT FÉDÉRAL COMME ACTEUR DU PROCESSUS DE NÉGOCIATION

Ces circonstances exceptionnelles ont respectivement amené la chancelière, avec son gouvernement, à se charger des affaires courantes – fonction assumée dès lors que le nouveau Bundestag a fait sa rentrée officielle –, et le président de la République fédérale à s’impliquer directement dans le processus, sans être habilité pour autant à exercer une quelconque fonction arbitrale.

Si, en Allemagne, l’AfD n’a jamais été inclus dans le jeu des négociations post-électorales, en Autriche, les conservateurs ont préféré former une coalition avec l’extrême droite plutôt que de reconduire la « grande coalition » avec les sociaux-démocrates.

Au lendemain de l’échec des négociations visant à former un gouvernement, le président Frank-Walter Steinmeier s’est permis de s’immiscer dans les débats pour en appeler au sens des responsabilités des différents protagonistes. Il a ainsi déclaré qu’il attendait « de tous (les partis) qu’ils soient disponibles pour le dialogue afin de rendre possible, dans un délai raisonnable, la formation d’un gouvernement. » Sauf que ce « délai raisonnable » n’est fixé par aucune disposition juridique.

C’est précisément pour sortir de cette impasse que le président Steinmeier a soutenu – du moins implicitement – l’idée d’une reconduction de la « grande coalition »au pouvoir depuis 2013 entre les conservateurs de la CDU-CSU et les sociaux-démocrates du SPD. Il est quand même à signaler que si, en Allemagne, le parti « Alternative pour l’Allemagne » n’a jamais été inclus dans le jeu des négociations post-électorales, en Autriche, près de quatre mois après les élections législatives d’octobre 2017, les conservateurs (ÖVP) ont préféré former une coalition avec l’extrême droite (FPÖ) plutôt que de reconduire la « grande coalition » avec les sociaux-démocrates du SPÖ.

© Photo : Flickr

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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