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Loi de Programmation Militaire : des moyens pour les armées ?

Présentée en Conseil des ministres le 8 février dernier, la nouvelle Loi de Programmation Militaire (LPM), qui sera discutée le 23 avril à l’Assemblée nationale puis le 22 mai au Sénat, entend faire œuvre de redressement. Il s’agit ni plus, ni moins de faire en sorte que la France conserve tout à la fois une dissuasion nucléaire crédible, une capacité de projection conséquente et des moyens visant la protection du territoire national.

Ce texte politique visant à planifier les efforts alloués à la défense sur une séquence de cinq années est la traduction quasi-législative de la Revue stratégique ou d’un Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Quasi législatif car le principe de l’annualité budgétaire fait que seule la première année de la trajectoire financière ainsi que les dispositions non-financières font force de loi. Disons-le d’emblée, si ce texte est respecté jusqu’en 2023 comme la précédente LPM l’a été, le modèle de défense complet tel que l’ambitionnait le Président Hollande et l’ambitionne l’actuel Président de la République sera en partie préservé.

Reste que, sans entrer dans les détails, si les chiffres et les programmes affichés rassureront militaires, spécialistes et analystes de tous poils, la forme, l’habillage politique, le positionnement par rapport à un passé pas si lointain et à l’Europe démontrent une certaine maladresse politique.

UN EFFORT DE DÉFENSE QUI S’INSCRIT DANS LA CONTINUITÉ

Tous les candidats réputés sérieux de la dernière élection présidentielle avaient inscrit dans leur programme une augmentation des dépenses militaires à hauteur de  2% du PIB à l’horizon 2023/2025, consacrant ainsi le mantra budgétaire que s’était fixé les États-membres de l’Alliance atlantique au sommet de Newport, en 2014. La LPM 2019-2025 respecte cette optique et ambitionne de donner « à notre défense les moyens de son renouveau », pour reprendre les termes de la ministre des Armées, Florence Parly. Elle renvoie ainsi dos-à-dos le bilan de ses prédécesseurs, notamment celui de son collègue, Jean-Yves Le Drian, actuel ministre des Affaires européennes et étrangères et anciennement inamovible ministre de la Défense des gouvernements successifs du quinquennat Hollande. Le document n’y va pas de main morte, le dossier de presse qualifiant la LPM de « rupture avec la tendance observée pendant la précédente décennie » (sic !).

Pourtant, le bilan de Jean-Yves Le Drian avait été unanimement salué car il avait su préserver l’outil de défense à un moment où le redressement des comptes publics était la priorité du gouvernement, ce alors que les forces armées étaient condamnés à un surcroît de nomadisme stratégique du Sahel au Levant, en passant par le Liban ou la lutte contre la piraterie, quand elles ne l’étaient pas sur le sol national avec opération Sentinelle consécutive aux attentats qui ont endeuillé notre pays en novembre 2015.

De là à y voir de volonté du nouvel exécutif de se démarquer du gouvernement socialiste, il n’y a qu’un pas. Dans les faits, il n’y a pas de rupture notable, la précédente LPM avait fait l’objet d’une actualisation en juillet 2015 qui rompait avec la déflation des effectifs et amorçait la nécessaire remontée en puissance des armées. Comme s’y était engagé le candidat Emmanuel Macron, la LPM 2019-2025 amplifie un effort sans lequel bon nombre de programmes auraient dû être abandonnés et des systèmes d’armes, décommandés. En ce sens, la France est au diapason du réarmement général d’une partie des puissances émergentes, des États-Unis, du Japon et, dans une moindre mesure, de nos partenaires européens.

2023, UN DÉBAT SUR LA DISSUASION NUCLÉAIRE EN VUE

La trajectoire budgétaire qui se dessine sur sept ans semble être cohérente les premières années (200 milliards d’euros de 2019 à 2023, soit une augmentation d’1,7 milliards par an sur le reste du quinquennat), et les créations de postes (de l’ordre de 3 000 jusqu’en 2023) combleront les besoins jugés à juste titre les plus cruciaux (cyberdéfense et renseignements). Reste qu’une partie non négligeable de cette hausse des moyens sera captée par une intégration des surcoûts engendrés des opérations extérieures auparavant en grande partie interministérialisée, et dont le plafond est revu à la hausse (650 millions cette année, en lieu et place de 450 millions d’euros par an lors du précédent quinquennat, à 1,1 milliard dès 2020) et surtout par la modernisation de la dissuasion nucléaire. Dès ces prochaines années, les dépenses liées au renouvellement de cet arsenal avoisineront 5 milliards d’euros par an jusqu’en 2023.

Se joue une confrontation à fleurets mouchetés entre deux visions de l’Europe de la défense : l’une est défensive et portée par Berlin ; elle fait face à une vision plus offensive que Paris souhaite imposer avec en ligne de mire une européanisation des opérations extérieures.

La dernière partie de la trajectoire suscite la perplexité et maintes interrogations. Ainsi, le budget de la défense se trouverait crédité de 3 milliards d’euros supplémentaires en 2023 (quid de 2024 et 2025 ?) et 3 000 postes seraient créés entre 2023 et 2025 – soit l’équivalent de la période allant de 2019 à 2023. De prime abord, on pourrait considérer que, 2022 étant une année électorale, cette queue de trajectoire n’engagerait que partiellement un exécutif dont le bilan sera jugé à l’aune des résultats électoraux. Nonobstant, la difficulté est ailleurs. En effet, les dépenses liées aux deux composantes constitutives de la dissuasion nucléaire vont connaître à partir de 2023 une hausse mécanique, sauf à réaliser des coupes dans les autres programmes.

Alors que le gouvernement d’Edouard Philippe impose une cure d’amaigrissement à la fonction publique (suppression de 120 000 postes) et une compression des dépenses publiques, cet accroissement des crédits militaires ne manquera pas de susciter un nouveau débat, lors des élections présidentielles de 2022, sur l’opportunité de conserver notre dissuasion nucléaire.

UNE VISION STRATÉGIQUE REPOSANT SUR DES PRÉSUPPOSÉS EUROPÉENS

L’orientation résolument européenne de la LPM fait écho à l’Initiative européenne d’intervention (IEI) énoncée par le Président de la République le 26 septembre dernier. S’inscrivant résolument dans le cadre de la coopération structurée permanente et du Fonds européen de défense qui en découle, la LPM souhaite conforter le lien entre « autonomie stratégique nationale et construction d’une autonomie stratégique européenne. » Cet axiome repose sur une vision très française de l’Europe de la défense et sur deux présupposés.

Le premier participe de la confrontation à fleurets mouchetés entre deux visions de l’Europe de la défense aujourd’hui en débat : l’une est défensive et portée par Berlin et d’autres partenaires européens ; elle fait face à une vision plus offensive que Paris souhaite imposer avec en ligne de mire une européanisation des opérations extérieures. La France appelle d’ailleurs les Européens à prendre une place croissante dans les actions de coopération et de formation des armées africaines quand elle n’espère pas une présence de contingents européens sur ses bases à l’étranger.

Cette idée n’est pas nouvelle puisqu’elle fut développée vers le milieu des années 2000 à un moment où la France tentait, en vain, d’européaniser sa présence en Afrique. Or, on peut le déplorer, tous les Européens ne partagent pas ce tropisme du fait de l’esprit expéditionnaire de la doctrine française, même sous l’égide de l’ONU.

De même, la LPM liste toute une série de programmes majeurs qu’il conviendrait de faire au niveau européen (chars et avion de combat avec l’Allemagne, drones avec plusieurs partenaires…). Or, là aussi, il s’agit d’un présupposé qui sous-estime les besoins opérationnels différents entre les armées nationales, la rivalité entre industriels européens – qui assura le leadership pour la conception et la fabrication du futur avion de combat, Dassault Aviation ou Airbus ? –, et une industrie américaine de l’armement omniprésente sur le continent à travers laquelle Washington diffuse une influence sur les doctrines stratégiques de certaines armées européennes.

Si l’intention est là, reste que cette ambition européenne, très française au demeurant, participe d’un débat dont nous ne pouvons présager l’issue. Au-delà et nonobstant ces réserves, ce texte traduit une réelle ambition d’assurer à la France les moyens de sa puissance. Il n’empêche : le respect des trajectoires budgétaires sera tributaire d’une conjoncture que l’on sait par nature volatile.

 © Photo : Wikipédia

William Leday

William Leday

est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.
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est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.

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