
Par William Leday & Clément Bollardière*
« Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen (…). Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l’accès aux activités de la vie sociale, (…) les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire jusqu’au bout… Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné (…). » [Emmanuel Macron, Journal Le Parisien du 5 janvier 2022].
Dans un exercice très éloignée d’une pratique qui se veut consensualiste, Emmanuel Macron, Président de la République en exercice, a proféré des propos s’apparentant à une mise à l’index des Français.es ne partageant pas sa gestion de la crise sanitaire.
Au-delà des écarts de langage et d’une trivialité participant de la dégradation du débat public, ces propos présidentiels contribue à dissiper un peu plus la lecture gaullienne (et mitterrandienne) des institutions d’une 5ème République à bien des égards défaillante. En effet, placé traditionnellement au-dessus des partis au sens où l’entendait le général de Gaulle dans son discours de Bayeux (1944) et la constitution 1958, le Président de la République fut longtemps considéré jusqu’à une période récente comme le garant de l’unité nationale. Est-ce encore le cas encore aujourd’hui ?
Un dérapage contrôlé ?
S’il est encore trop tôt pour juger de l’impact négatif des propos d’Emmanuel Macron tenus dans les colonnes du Parisien, cette sortie pourrait se révéler contre-productive pour sa réélection, notamment au second tour. Ils ne sont pas sans rappeler les confidences livrées par son prédécesseur, François Hollande, dans l’ouvrage de 2016 des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un Président ne devrait pas dire ça », propos qui avaient en partie causé sa perte, ou, à tout le moins, joué dans sa décision de ne pas se représenter aux élections présidentielles de 2017.
On est donc très loin de la « Lettre aux Français » de François Mitterrand, dans laquelle, dans un esprit unitaire, il appelait les Français.es à le reconduire pour un second mandat, ce qu’ils firent en mai 1988. Plus près de nous, on se rappelle de Nicolas Sarkozy en 2012 qui dans une formule adressée aux Français.es « j’ai besoin de vous » sonnait comme une trop tardive marque d’humilité. Le même, dans un style qui n’a rien à envier au ton familier employé par Emmanuel Macron, avait stigmatisé une partie non négligeable de ses concitoyen.ne.s et participé au rabaissement de la parole présidentielle.
Néanmoins, force est de constater qu’à la différence des dérapages de Nicolas Sarkozy – dont l’emblématique « casse-toi pauvre con » asséné à un visiteur peu respectueux de la fonction présidentielle au salon de l’agriculture en 2008 – qui le sont sous le coup de la colère et de l’absence de sang-froid, et ceux, ironiques, de François Hollande, sur « les sans-dents » qui n’avaient pas vocation être relayé, les propos du Président de la République dans le Parisien participent d’une autre logique et d’un autre esprit.
En effet, ces déclarations résultent d’un exercice somme toute classique du journal « le Parisien », visant un échange entre le Président et un panel de lecteurs, invités à l’Elysée pour l’occasion. Nous nous situons donc dans le cadre d’une opération de communication politique censée être pilotée avec, sans doute, une relecture attentive des services de l’Elysée. De fait, il s’agit de propos délibérés dont la vocation est performative : mettre à l’index une partie de la population – « un irresponsable n’est plus un citoyen ». Le Président et ses équipes ont donc sciemment laissé passer ces outrances sur la vaccination.
Il s’agit donc bien d’une séquence politique qui s’inscrit dans la perspective de la campagne visant la réélection d’Emmanuel Macron et dont l’objet et de faire de ce dernier le porte-parole des Français.es vaccinés subissant les contraintes des non-vaccinés qui se retrouvent ainsi stigmatisés comme des citoyen.ne.s de seconde classe. Cette séquence raconte aussi autre chose de plus profond, le mépris de classe qu’a exprimé à de nombreuse reprises le Président de tou.te.s les Français.es.
Ecarts de langage et mépris de classe.
Cette séquence fait aussi écho aux nombreux écarts de langage qui ont émaillé la trajectoire météorique d’Emmanuel Macron et qui dit beaucoup de sa personnalité. Que ce soit les propos peu amènes sur les salariées de l’abattoir de Gad en Bretagne en septembre 2014, où le tout juste nommé ministre de l’économie avait ironisé sur une supposé « majorité de femmes, [qui seraient] pour beaucoup illettrées ». Ou encore, sa formule « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » qui liait intiment aspect vestimentaire et réussite sociale, résonnant avec l’absurde formule du publicitaire Jacques Séguéla sur une réussite sociale que démontrerait la détention de signes extérieures de richesse (ici une Rolex).
Devenu Président de la République, Emmanuel Macron a continué à faire part de ce mépris de classe teinté de paternalisme. Ainsi, en 2017, il distingue les « gens qui réussissent (…) des gens qui ne sont rien », ou encore en septembre 2018, quelques semaines avant le déclenchement du mouvement des gilets jaunes, apostrophé par un jeune sans-emploi, il n’eut comme seule réponse : « Vous allez à Montparnasse, vous faites la rue avec tous les cafés et les restaurants. Franchement, je suis sûr qu’il y en a un sur deux qui recrute en ce moment ».
Ces multiples dérapages, la plupart du temps suivies de semblants d’excuses ou de contritions, démontre la nature du titulaire de l’Elysée. Celle d’un bourgeois de province, fils de notables d’Amiens, ayant fait ses études à l’établissement privé de la Providence (l’ironie voulant qu’il ait comme condisciple son jumeau politique inversé en la personne du futur député LFI François Ruffin), parti tel Rastignac à Paris pour y trouver les clés de la réussite. Cette présentation un tantinet caricaturale démontre qu’il y a du Balzac dans l’univers d’Emmanuel Macron. Le cinéaste critique de la bourgeoisie française qu’était Claude Chabrol aurait sûrement été inspiré cinématographiquement par le personnage d’Emmanuel Macron.
De qui Emmanuel Macron est-il le Président ?
Ces propos collent parfaitement avec la politique de celui que l’on surnomme « le Président des très riches » (François Hollande en 2018) : suppression de l’ISF, ordonnances réformant le marché du travail, réforme de la SNCF, réforme (pour le moment ajournée pour cause de Covid 19) des retraites… doublé d’un mépris, rarement atteint, même sous Nicolas Sarkozy, des corps intermédiaires, et en premier lieu des organisations syndicales. Il en est résulté de multiples accès de « fièvres hexagonales » qui ont émaillé le quinquennat, des mouvements sur les réformes de la SNCF et des retraites aux gilets jaunes, authentique mouvement social à ses débuts.
Le monde d’Emmanuel Macron est donc celui de la réussite et de celles et ceux qu’il qualifie de « premiers de cordée ». Au-delà du milieu des entrepreneurs qui semble le fasciner, il s’adresse à la France des propriétaires (58% des Français.es), appelée sous l’ancien régime la France de la rente. Ces propos d’un autre âge rappellent l’époque de la Restauration et de la monarchie de Juillet (1815-1848), celle d’une France dominée par le suffrage censitaire où seuls les contribuables les plus aisés et s’acquittant de l’impôt (le cens était un seuil d’imposition) pouvaient à la fois voter et se présenter à des élections.
Sans tomber dans l’anachronisme, il y a du Guizot chez Emmanuel Macron. Celui qui fut le principal collaborateur ministériel du roi Louis-Philippe et père de la formule « enrichissez-vous », personnifie jusqu’à la caricature l’homme d’État bourgeois et un régime que l’historien Pierre Serna dénomme « d’extrême centre » : un pouvoir libéral qui favorise les propriétaires en économie et très autoritaire, voire anti-démocratique dès lors qu’il s’agit des libertés civiles et des questions régaliennes.
La dernière sortie médiatique du Président de la République a le mérite de rappeler son peu d’appétence pour le consensus et son absence d’empathie pour tout ce qui touche les classes populaires (qui représentent une majorité de non-vaccinés). Le Président de la République garant de l’unité nationale au sens de la 5ème République, déjà mis à mal sous la présidence de Nicolas Sarkozy, aurait-il vécu avec la présidence d’Emmanuel Macron ?
* Pseudo d’un haut fonctionnaire
- Illustration : Jackson Pollock – Untitledc. 1950
William Leday
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