Députée LREM de la Manche, Sonia Krimi a été la première de son camp à interpeller le gouvernement à propos de sa politique migratoire. Lors de la séance des questions au gouvernement, le 19 décembre dernier, elle avait notamment apparenté les centres de rétention à des « centres de détention », avant de rappeler au Ministre de l’Intérieur que « tous les étrangers de France » n’étaient pas « des terroristes ». Alors que le projet de loi « Asile et immigration » vient d’être examiné en commission des lois, pour elle et pour quelques autres, le compte n’y est toujours pas. Sonia Krimi nous l’affirme, elle pourrait ne pas voter le texte, et ce en dépit des rappels à l’ordre de son président de groupe, qui redoute l’émergence d’une fronde durable au sein de la majorité.
Vous avez été fer de lance dans la contestation interne à la majorité face au projet de loi « Asile et immigration ». Quels sont les pierres d’achoppements qui subsistent pour vous aujourd’hui ?
Il y a quatre points sur lesquels nous devons avancer. D’abord le délai de recours devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). On ne peut pas renvoyer les gens avant qu’ils aient bénéficié du temps nécessaire pour constituer leurs dossiers, cela reviendrait à entraver les droits de la défense. Ensuite il y a la question des mineurs. Rien n’est fait pour eux. Sur l’allongement de la durée de rétention de 45 à 90 jours, il y a eu des aménagements, et même si je reste convaincue que les 90 jours sont inutiles, le ministre a tranché, je ne continuerai pas à me battre. En revanche je ne compte pas lâcher sur la question du délit de solidarité. Vous savez, être parlementaire de la majorité, cela ne revient pas à s’asseoir dans une salle d’attente avant d’être appelé pour devenir ministre. Nous devons tous être conscients des raisons pour lesquelles nous sommes là. Il y a des sujets qui nous touchent au plus profond de nous-mêmes et de nos convictions. Et en ce qui me concerne, il se trouve que je n’ai d’ascenseur à rendre à personne.
Aspirez-vous à « faire de la politique autrement » ?
Je ne me serais jamais présentée sinon. En outre je suis la seule députée de la majorité qui n’avait pas été investie par En marche !. Cela me donne une liberté, et en même temps on me le rappelle, souvent. La République en marche ne s’est pas complètement débarrassée des habitudes des « anciens » partis. Je suis adhérente du mouvement depuis toujours, j’ai créé notre unité à Cherbourg, et on m’a envoyé un candidat qui n’avait pas été adoubé par Les Républicains, puis investi chez nous, tout simplement parce qu’il était passé par les bons cabinets ministériels. J’aurais pu accepter quelqu’un avec des opinions qui divergeaient en partie des miennes, mais quelqu’un qui n’avait pas fait la campagne, et qui avait même mené bataille contre nous, non. Ce qui prouve que ce n’est pas parce qu’on a renouvelé les visages que nous sommes guéris, et que nous faisons de la politique autrement. Nous nous sommes donc présentés l’un face à l’autre, nous étions tous les deux au second tour, et j’ai gagné. Même le candidat FN, qui était arrivé à la troisième place, a indirectement appelé à voter pour moi, en déclarant que c’était moi qu’il avait vu faire campagne pour En marche !. Moi j’ai promis à tous mes adhérents de faire de la politique autrement, cela signifie aller jusqu’au bout, et avoir des députés francs, qui osent s’exprimer. Et surtout ne pas reproduire les vieux schémas.
En tant que vice-présidente du groupe d’amitié France-Arabie Saoudite à l’Assemblée, que vous inspire la visite d’état de Mohammed Ben Salmane en France ?
En tant que députés, nous représentons le peuple français, et avons la légitimité pour nous adresser à lui. Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais nous avons des questions importantes à lui poser, notamment à propos de la guerre au Yémen. Quand je suis arrivée pour l’entrevue avec lui, tous les députés de la majorité, une douzaine environ, étaient en train d’attendre dehors. Parlant couramment arabe, je me suis adressée directement au staff de « MBS », en leur demandant comment ils pouvaient laisser des parlementaires à la porte, et même en leur posant un ultimatum. Soit ils nous laissaient entrer immédiatement, soit je partais. Et on a fini par faire rentrer tout le monde. Cependant je n’ai pas pu échanger avec lui directement. J’ai évidemment un avis sur cette réunion, que je préfère garder pour moi. Mais disons que s’il s’agit juste de se voir pour se dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, j’ai un peu de mal. Même si en ma qualité de vice-présidente du groupe d’amitié, j’ai joué le jeu.
Justement pourquoi avoir fait ce choix ?
Parce qu’il s’agit d’une région que je connais bien, je suis également vice-présidente de France-Egypte, membre du groupe d’amitié France-Yémen, je connais l’histoire, je parle couramment la langue et certains dialectes de ces pays. Je suis proche de certains journalistes et défenseurs des droits de l’homme qui travaillent dans cette région, dont certains sont en prison. Et je considère que nous n’avons que des partenaires et pas d’ennemis. Ce qui n’empêche pas la franchise. Je trouve que le Président a bien fait d’organiser cette rencontre, je suis pour que nous puissions ouvrir des discussions avec tout le monde.
Aviez-vous déjà vécu une expérience au sein d’un parti politique avant En marche ! ?
J’avais assisté à deux réunions du PS en 2012, car dès que j’ai été naturalisée, j’ai eu envie de m’engager. Mais je ne me suis pas trouvée au PS, je trouvais qu’on tournait en rond lors de ces réunions, qu’on parlait entre convaincus. Hors moi j’aime le débat et la confrontation. J’ai senti que je ne serais pas utile au PS. Je n’ai d’ailleurs jamais distribué un tract, j’ai découvert le militantisme avec En marche !.
Votre vécu d’aspirante à la nationalité française vous influence-t-il dans la lecture que vous faites du projet de loi « Asile et immigration » ?
Je suis arrivée en France à l’âge de vingt et un ans, après avoir toujours vécu à Tunis. J’ai fait un master à Paris, puis un doctorat en comptabilité-contrôle de gestion. Je suis devenue française en 2012, à trente ans, mon décret de naturalisation a d’ailleurs été signé par Manuel Valls (rires).
Pour autant je ne l’ai pas obtenu dès la première demande et j’ai dû faire un recours avec un avocat. Lors des entretiens préalables, on se heurte à une logique du soupçon permanent. Payais-je bien mes impôts en France ? Sans parler des questions un peu bizarres, étais-je pour ou contre les horaires aménagés non-mixtes dans les piscines ? Bref j’ai fini par décrocher ma nationalité à l’issue du recours. Il était hors de question pour moi de me marier et d’avoir un enfant français pour l’obtenir. Je croyais trop aux valeurs de ce pays, j’étais trop convaincue que ma place était ici. Quand je me rends à Tunis pour voir mes parents, au bout du troisième jour, je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer en France, dans mon pays. Ma vie est ici. Je n’ai aucun parent en France, mais je représente, au-delà des électeurs de ma circonscription, tous ces gens qui ont choisi la France. Et je n’ai certainement pas à me justifier d’être Française.
Pourriez-vous aller jusqu’à ne pas voter le projet de loi « Asile et immigration » ?
Tout à fait. Je l’ai dit, et cela m’a valu une réprimande. Mais il est hors de question que je sois l’idiote utile, que je serve uniquement à montrer qu’il y a une sensibilité différente au sein de La République en marche.
Comment avez-vous réagi face au « recadrage » de Richard Ferrand s’adressant à vous et à quelques autres lors de la réunion de groupe du 10 avril, suggérant que vous rejoigniez les « non-inscrits » de l’Assemblée si vous n’étiez pas d’accord avec la ligne du gouvernement ?
Je ne rentre pas dans ces jeux politiques. J’ai d’ailleurs préféré laisser Matthieu Orphelin répondre (député LREM du Maine-et-Loire, également en désaccord sur le texte). J’aurais aimé avoir une discussion plus directe, plutôt que devant le groupe, car c’est trop facile. Après j’ai bien conscience qu’en tant que président de groupe, tenir 312 députés, ce n’est pas simple. Mais je trouve que cela a des airs de politique à l’ancienne, même s’il le dit avec le sourire. Et finalement c’est un avertissement pour tous les autres textes. J’entends sa position mais cela n’a aucun effet sur mon travail de parlementaire. Richard Ferrand est dans son rôle, je suis dans le mien. Je n’ai insulté personne, je ne suis pas désinvolte et je ne cherche pas le buzz. Je suis juste moi-même.
Mais pour moi, le vrai scandale, c’est de faire l’amalgame entre les mineurs dans les centres de rétention et les filières. Au travers de ce texte, on renvoie un message de fermeté, mais cela n’empêchera pas les gens de venir, et cela ne les poussera pas à partir. On raccourcit les délais partout, en s’asseyant d’ailleurs en partie sur le droit, et on finit par créer du stress à la fois dans les administrations et du côté des arrivants. On va faire de l’affichage avec des chiffres, mais on n’empêchera pas les gens de rentrer, car la vie en France est toujours bien meilleure que chez eux, et on n’a pas la capacité non plus de les éloigner. Tout ce qu’on va faire avec cette loi, c’est augmenter le nombre de clandestins dans le pays. Ce qui est en question c’est l’équilibre global du texte, et pour l’instant, il n’y a eu que des micro-améliorations qui ont été apportées.
Lors de l’examen en commission, vous avez dit voir l’ombre de la « circulaire Collomb » hanter ce texte…
L’article 9 c’est tout à fait ça, puisque les personnels de l’administration pourront faire remonter les noms des personnes qui sont expulsables dans les centres d’hébergement.
Qu’aviez-vous pensé des propos du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb à propos d’un prétendu risque de « submersion » migratoire ?
Qu’est-ce que cela signifie, que nous les bons civilisés allons être submergés par des hordes de sauvages ? Il faut faire attention au choix des mots, à ne pas nourrir la xénophobie, au risque de suivre l’exemple italien ou allemand. Nous vivons une période traversée par des ruptures : entre les conséquences des révolutions arabes, de la crise financière de 2008 qui a creusé les inégalités, et la crise climatique, on ne peut plus se permettre d’agir dans la droite ligne de ce qu’on a fait avant. C’est du bon sens, et si je ne peux pas le dire en tant que députée, à quoi bon ? Je suis devenue Française pour porter ma voix.
Soizic Bonvarlet
Les derniers articles par Soizic Bonvarlet (tout voir)
- Une loi d’insécurité globale ? - 16 novembre 2020
- Virus et politique - 29 mars 2020
- Sidi Wacho, entre désordre et élégance - 28 février 2020