En dépit de l’épreuve collective liée à l’épidémie mondiale de coronavirus, peut-être assiste-t-on depuis quelques jours à un moment intéressant de politisation de cette crise.
Pénurie de masques et de respirateurs, chiffres mésestimés en raison de la non-systématicité des dépistages, drame dans les Ehpad, dont les résidents décédés n’étaient jusqu’à présent pas même pris en compte dans les bilans nationaux… Au fil des jours et du confinement d’une partie de la population, sont de plus en plus mis en évidence par cette dernière, d’un côté, les manquements de l’État (à commencer par le dépeçage année après année des moyens de l’hôpital public, il faut lire à ce titre le texte magistral d’un psychologue à l’hôpital de Mulhouse, publié sous le pseudonyme de Claude Baniam dans Libération), mais aussi, de l’autre, la surproduction de mesures pour nous contrôler, et quand cela est (ou sera) possible, nous faire travailler davantage.
Emmanuel Macron a parlé de « facteurs de division » à propos de cet exercice de réflexion collective, dont il n’est pourtant pas (encore) interdit de faire usage en période d’épidémie. Si la gestion d’une crise sanitaire est particulièrement délicate, en quoi un peuple qui userait de ses capacités critiques serait-il coupable, alors qu’il ne fait que demander des explications à ses autorités, relatives à certaines contradictions discursives ?
N’est-ce pas le sens, a minima, de la démocratie ? Parmi ces contradictions de l’État pointées du doigt par la société, il y a notamment le fait qu’au risque encouru par les électeurs, du propre aveu de l’ancienne ministre de la Santé et candidate à ce scrutin, lors du 1er tour de l’élection municipale, réponde « en même temps » un discours qui frôle la culpabilisation des individus. Que l’on enjoigne les gens à ne pas sortir de chez eux et, « en même temps », à la reprise des chantiers du BTP et à la poursuite des courses à 3,50 euros des livreurs inscrits sur les plateformes.
Des contradictions, et des inégalités particulièrement mises en exergue par cette situation épidémique. Et dans le sillage du mouvement des Gilets Jaunes, c’est une grille de lecture fondée sur la lutte des classes qui est probablement revivifiée par cette crise, au travers des privilèges liés au confinement (contre ceux qui continuent de travailler sur le terrain pour assurer les services «indispensables à la nation»), avec, y compris au sein du premier groupe, des disparités qui ont été soulignées à la faveur, notamment, des récits de grandes aventures intimes livrés par des romancières à succès confinées dans les jardins en fleurs de leurs résidences d’été. Les réseaux sociaux se sont enflammés, relayant entre autres un graffiti sur les murs de Romainville, en Seine-Saint-Denis : « Confiné.es à l’Ile de Ré. Exploité.es au supermarché ». Des salariés de l’agroalimentaire, de l’énergie, des transports, de la propreté, qui aux côtés de nos soignants, sont très fortement mis à contribution dans la période actuelle. Et le gouvernement d’adopter pendant ce temps vingt-cinq ordonnances prévoyant notamment, la possibilité de recourir à la semaine de 60 heures.
Par ailleurs, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les violences policières qui s’exacerbent encore un peu plus dans les quartiers populaires, afin de soumettre les soi-disant réfractaires aux mesures de confinement. Quand les regards sont enfin braqués sur les prisons, foyers explosifs de contamination, au moment où les avocats s’inquiètent du risque d’application d’une justice expéditive que l’État d’exception viendrait consacrer.
Autant de sujets de grande inquiétude, mais le drame de la période serait probablement redoublé par l’aveuglement et l’incapacité de penser cette crise. Ce n’est pas le cas, et force est de constater que nous y exerçons nos capacités critiques, lui appliquons une grille d’analyse, peut-être en partie permise par le contexte de mouvement social que le pays connaît depuis désormais presque 18 mois. Et si la période est incertaine, cet état « critique » du pays, n’est peut-être pas qu’une vallée de larmes pour l’avenir.
Soizic Bonvarlet
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