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Sidi Wacho, entre désordre et élégance

L’élégance populaire est à l’honneur de ce troisième opus de Sidi Wacho. Le groupe multi-originaire de Roubaix, Valparaiso, Paris ou encore Lima, avait déjà sévi avec l’album « Libre » puis le très festif « Bordeliko ». Il revient avec un ensemble de morceaux tout aussi réjouissants et aux influences plurielles entre hip-hop, cumbia, trap et sonorités orientales.

 

Des rues d’Alger à la place de l’Étoile, le troisième album de Sidi Wacho bat la mesure à l’unisson des révoltes qui secouent la planète. Son premier titre, simplement intitulé « Elegante » et dévoilé en décembre dernier, a immédiatement donné le ton. Ses auteurs, Saïdou et Benja au micro, Jeoffrey à l’accordéon et Manel à la trompette, y revendiquent un « son périphérique, hurlant et élégant, de la classe d’en bas mais de celle qui compte ». Une élégance qui n’est pas la chasse gardée de la bourgeoisie et des dominants, mais qui appartient intrinsèquement à la dignité ouvrière, au style qui s’affirme et s’affiche dans les rues des quartiers populaires. « On roule des mécaniques », chante ainsi Saïdou, « Tout est politique / La préf est en panique / On a la coupe d’Afrique…/ Retournement du stigmate, volée acrobatique, toi tu nous critiques, nous on revendique… »

 

Olivier Besancenot en guest

Un album qui contient des surprises de taille, bien que presque attendues au regard de ce qu’incarne, et de ce que dit Sidi Wacho. La première est un featuring avec O.B aka Olivier Besancenot, dans le morceau intitulé « Que de l’amour », introduit par les mots de l’immense Victor Jara, chanteur révolutionnaire chilien victime de la répression pinochetiste en 1973, clamé au fil des derniers mois dans les cortèges de Santiago. Le couplet scandé par le porte-parole du NPA s’avère chiadé dans son flow, et efficace dans son propos : « Tu cries migrants illicites, quand la finance prend ton fric, tu trouves qu’y a trop d’immigrés bah moi qu’y a trop de racistes…/ Compte pas sur moi pour m’excuser d’être antifasciste / Compte pas sur moi pour oublier mon Clément Méric… » Autre guest, moins connu du public français mais référence incontournable en Amérique latine, le chanteur du groupe chilien Chico Trujillo, Macha, pour une « Cumbia del domingo » qui n’a jamais aussi bien porté son nom, tant elle nous transporte immédiatement à Valparaiso, un dimanche de fête comme les autres après un asado en famille.

Dans « Ten cuidado », ce sont les conséquences de la gentrification qui sont dénoncées : « Mon quartier est devenu à la mode, ils l’ont repeint de toutes les couleurs en lui volant sa mémoire…/ J’y suis né, j’y ai grandi et pourtant je dois partir (…) Viens pas nous endormir avec ta mixité sociale / On t’a cramé de loin avec tes techniques coloniales ».

 

Mémoires combattantes

L’un des leitmotivs de Sidi Wacho a toujours été, depuis sa création, de convoquer et de faire revivre des mémoires militantes. Et ce afin de mieux dénoncer les injustices qui demeurent, fruits amers d’une longue tradition de domination capitaliste. L’une des perles de cet album est « La trabajadora », qui évoque le quotidien et le rôle assigné dans nos sociétés aux travailleuses précaires. « Des corps disponibles pour les tâches trop pénibles / Des récits qu’on prohibe, des histoires invisibles / Les cuisines des sous-sols, les portes de service, sans bruit, la nuit le bureau de la directrice / Les couloirs du métro, le local à poubelle, DSK en peignoir dans sa chambre d’hôtel / Les ordres, les règles, obligation de sourire / Silence et endurance y’a des familles à nourrir ». Ce qui est raconté au travers de ce titre, comme dans « La calle de Panam », qui désinvibilise les marchands ambulants, c’est avant toute chose l’exploitation et la domination séculaires du Sud par le Nord : « Nos mères africaines en bas de l’échelle, équilibre naturel, logique criminelle / Les regards de travers, les salaires de misère, les heures supplémentaires et les chefs autoritaires… » Un morceau, comme souvent dans cet album, tout à la fois festif et poignant. Car ce n’est pas faute de le répéter durant leurs concerts, paraphrasant la libertaire russe Emma Goldman : « ta révolution ne m’intéresse pas si je ne peux pas danser ».

Anticapitalisme, lutte décoloniale, hommage aux opprimés de l’histoire sont des combats qui traversent chacun des textes de Sidi Wacho, et qui font de ce dernier album peut-être la meilleure bande originale du printemps des luttes à venir.

 

Sidi Wacho, Elegancia popular, sortie album le 28 février, en écoute sur les plateformes

Tournée hexagonale et internationale à partir de mars 2020

Concert à Paris au FGO-Barbara le 26 mars.

Soizic Bonvarlet

Soizic Bonvarlet

est journaliste bi-media pour LCP, Slate et Politis(International/Parlement/ Culture), et membre du comité de rédaction de la revue Charles.
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