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Un premier roman, un parcours de combattante

  • Fatma Bouvet, écrivaine, auteure de « L’île aux mères » (Le Pont 9, mars 2021).

 

« Vous avez une vraie plume, vous savez bien raconter les histoires, vous devriez vous lancer dans la fiction. » Il n’en faut pas plus pour chatouiller mon narcissisme, moi qui ai toujours beaucoup lu et qui admire les romanciers. Voilà que je décide de franchir la frontière qui sépare les essais des romans, certaine, sinon je m’en serais abstenue, que le premier champ m’aiderait à intéresser les tenants du deuxième.

Et c’est là que commence le parcours de la combattante, car en lieu de frontière, je découvre une forteresse.  Comment écrire un premier roman ? Qui contacter ? Me conseillera-t-on, comme cela a été fait pour mon premier essai édité par les Editions Odile Jacob ? Aucune réponse. Soit. Je commence à écrire ce roman que j’ai dans la tête depuis des années. Le sujet se présentait-il comme un roman dès le début ? Je ne sais plus tant les choses ont changé durant ces 4 ans. Ce qui est sûr, c’est que j’ai quelque chose à dire sur les mystères de la maternité. Après de multiples recherches, je ne vois plus qu’une seule façon d’en parler : sensuelle et émotionnelle, il me faut donc raconter une histoire.

 

Je n’ai pas tout écrit d’un seul jet. Cela a dû prendre un an et demi. Mon premier manuscrit doit faire au moins 300 pages. J’apporte les premières corrections à la suite de relectures par deux personnes proches, grandes lectrices,  mais qui ne sont pas du métier.  Des professionnels m’ont dit par la suite « Quand on commence dans le roman, on a souvent envie de tout dire » C’est vrai, mais je trouvais mon texte formidablement intéressant, j’ai pris plaisir à l’écrire et à le relire et je pensais que c’était suffisant.  Je l’envoie aux grandes maisons d’éditions. Là, mon narcissisme en a pris un coup. Faut-il que je me remémore ici, avec vous, les avalanches de refus sous forme de lettre type ( j’ai su par la suite que les grandes maisons ne lisent pas tous les manuscrits) ?  L’absence de réponses ( quel mépris pour ceux qui ont travaillé, mis leurs tripes sur le papier, un éditeur devrait avoir au moins cette empathie-là). Et puis une lumière à l’horizon :  d’autres éditeurs me répondent et m’encouragent à retravailler le texte, conseils à l’appui. Première sidération qui me fait vraiment prendre conscience de l’opacité du système : un jour, à 15 mn d’intervalle, je reçois deux réponses contradictoires de la même maison d’édition. Je suis sciée. Et puis, il y a les joies déçues lorsque je reçois des contrats dans de belles enveloppes issues de maisons d’éditions qui se révèlent n’éditer qu’à compte d’auteurs, alors qu’elles ne le mentionnent pas sur leur site.  Leurs réponses sont très élogieuses,  c’est à se demander pourquoi certains vous refusent aussi violemment quand d’autres vous comblent de compliments. Les copains, ah les précieux copains, m’apprennent alors qu’il ne faut pas faire confiance à ces éditeurs, même si je veux être éditée.

 

Mais pourquoi ce désir d’être éditée, au fond ? Pourquoi cette envie d’être lue ? En réalité, ce que j’aime c’est lire et écrire. Certes, mais j’ai aussi beaucoup de choses à raconter sur la vie puisque mon métier de psychiatre m’apprend tous les jours que la fiction fait pâle figure face à certaines réalités que je voudrais faire connaître en y apportant ma part de fantasmes, d’imagination et d’émotions. Revenons aux discussions avec les copains qui ont connu ces pérégrinations d’auteurs de premier roman. La plupart d’entre eux ont failli me faire perdre confiance en moi alors que j’en suis à la 5e version de mon manuscrit. J’en ressors avec la conviction qu’il faut être connue pour être édité. Ce qui signifie qu’il y a peu de place pour de nouvelles voix, l’entre soi, tout ça … Alors, c’est plié : « Ce n’est pas fait pour toi retourne à tes argumentaires scientifiques et arrête de rêver. » Puis, d’autres copains me sortent de ma léthargie : « Ne lâche pas, n’abandonne jamais, je t’ai déjà lue, tu as des choses à dire, continue. » Là, je rencontre des éditrices formidables qui prennent le temps de me lire, de me corriger et de m’orienter. C’est de cela dont j’ai besoin sur un sujet que beaucoup trouvent important à traiter. Voilà que je repars pour intégrer les corrections de texte qu’elles me suggèrent. Seulement leurs remarques sont souvent très différentes et parfois-même contradictoires. J’en suis alors à la 8e ou à la 9e version ? Je ne compte plus. Je persévère en faisant une synthèse avec laquelle je me sens confortable et je trouve que mon texte s’améliore. Seulement c’est déjà ce que je pensais au sujet du premier jet refusé, à juste titre. Ces éditrices ne m’éditent pas pour des raisons que je respecte tout à fait.  Comment se dépatouiller, maintenant dans ce magma ? Va pour les ateliers d’écriture ! Tellement d’auteurs m’ont dit que ça ne sert à rien, mais je ne crois plus personne. J’y rencontre des personnes frustrées et en colère comme moi alors qu’elles écrivent merveilleusement bien. Je me mets alors à corriger mon manuscrit en fonction d’élément précieux que j’y apprends. Vous aussi vous êtes perdus avec le nombre de versions ?

 

Et puis un jour, je fais La rencontre. Ce monsieur m’écrit et me dit que le sujet et l’écriture lui plaisent, mais qu’il faut retravailler le texte et qu’il est disponible pour le faire avec moi si je l’accepte. Son mail me montre qu’il a tout compris et avant tout le sujet principal du livre et la façon dont je souhaite le traiter. Il est le premier à me l’avoir montré à ce point. Nous prenons donc rendez-vous. Je suis à bout, j’en suis au moins à la 12 e versions et je dis à Jean Michel Ollé, fondateur d’une jeune maison d’édition « Au Pont 9 », dont l’originalité est d’être une maison d’éditeurs : « J’ai pris beaucoup de cafés avec plusieurs personnes qui m’ont chacune donné des avis différents, et souvent contradictoires. Je suis prête à écouter vos conseils mais dîtes-moi si vous croyez en moi et si vous pensez m’éditer. ». Il me répond qu’il croit en moi et me propose des pistes très claires que l’on discute ensemble. Il parvient à me convaincre, car mon texte ne sera pas dénaturé. Ève, l’héroïne, et les femmes qu’elle rencontrera sur cette île seront bien les personnages qui me hantent et m’obsèdent depuis 4 ans.

 

L’île aux mères existe maintenant et c’est l’essentiel. L’histoire de mon premier roman s’achève mais celle d’Ève reste là, toujours prête à rencontrer chaque lecteur.

 

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