Restez Connecté:
HomeMondeLes nouveaux visages de l’extrême-droite allemande

Les nouveaux visages de l’extrême-droite allemande

Le 5 février dernier, Thomas Kemmerich (parti libéral-démocrate FDP) a été élu ministre-président du Land de Thuringe avec l’appui de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti nationaliste-identitaire. Ce soutien de dernière minute de l’AfD a entraîné la défaite de Bodo Ramelow, ministre-président sortant et membre du parti de gauche Die Linke. Cet événement révèle la fracture qui existe en Allemagne entre les partisans d’une alliance avec l’AfD et ceux d’une alliance avec la gauche. Il montre également l’affaiblissement, comme de nombreux autres États européens, des partis traditionnels et très certainement les fractures existantes entre l’Est et l’Ouest du pays. Par ailleurs, ces élections interviennent dans un contexte d’augmentation des actes racistes et antisémites en Allemagne[1] comme l’atteste l’attentat aux motivations racistes commis par un Allemand à Hanau quelques jours après les élections.

Un évènement historique ?

Pour la première fois depuis 1945, les partis de la droite et du centre ont accepté le soutien d’un parti nationaliste-identitaire, l’AfD, pour accéder au pouvoir. Notons qu’il s’agit en plus de la frange la plus radicale de l’AfD puisque le parti est dirigé en Thuringe par Björn Höcke, créateur de la fraction Der Flügel (l’Aile), qui soutient des positions racistes et tend à relativiser les crimes du régime nazi. En outre, le leader thuringeois de l’AfD est connu pour sa proximité avec le parti néonazi NPD (Parti national-démocrate d’Allemagne). Malgré deux tentatives en 2015 et 2018 de l’écarter, il a réussi à se maintenir au sein de l’AfD.

Cette proximité avec des néonazis apparaît d’autant plus problématiques qu’il y a une recrudescence des thèses et des actes racistes en Allemagne et dans toute l’Europe. Elles se font sous le couvert d’une opposition à l’immigration et d’une volonté de défendre la nation. L’AfD est également le seul parti à avoir nié le caractère idéologique de l’attentat de Hanau. Cette prise de position revient à ne pas vouloir condamner la prolifération de ces thèses.

Pour rappel, en septembre 2019, l’AfD est arrivée en deuxième position aux élections régionales en Thuringe devant la CDU, mais derrière le parti de gauche Die Linke. Ces résultats ont rendu impossible la constitution de toute alliance sans Die Linke ou sans l’AfD. En Thuringe, l’AfD et Die Linke réunissent 51 des 90 députés au Landtag. Toute coalition, même une coalition réunissant les Verts, le SPD, le FDP et la CDU serait minoritaire, tout comme une coalition entre Die Linke, les Verts et le SPD. Ces résultats montrent l’ancrage de l’AfD dans la vie politique allemande, en particulier en Allemagne de l’Est.

C’est cette situation qui a permis la victoire de Thomas Kemmerich avec le soutien de l’AfD, provoquant de vives réactions dans l’ensemble de l’Allemagne, mais également des débats au sein de la CDU et du FDP sur l’acceptabilité de ce type de coalition. Au-delà des réactions politiques, une manifestation spontanée s’est tenue le 5 février au soir devant le siège du FDP à Berlin, rassemblant quelques milliers de personnes.

L’AfD : d’un parti anti-euro à un parti nationaliste-identitaire

L’AfD a été fondée en avril 2013 par Bernd Lucke, ancien de la CDU, avec pour ambition d’être un parti libéral-conservateur. Si le parti défend alors l’économie sociale de marché, il est fondé en rejet de la politique de sauvetage de l’euro par la Banque centrale européenne et de la monnaie unique. S’il réalise un score modeste aux élections fédérales de 2013, manquant de peu une entrée au Bundestag (4,7% des suffrages pour un minimum de 5%), les scrutins suivants, notamment à l’échelle régionale, seront marqués par une progression constante du parti dans les urnes.

Sa position sur l’immigration évolue fortement avec la crise des réfugiés que connaît l’Europe à partir de 2015. Angela Merkel favorise l’accueil des migrants, à un moment où l’AfD, par opportunisme puis par conviction, s’oriente vers des positions plus xénophobes et nationalistes. Il est à noter qu’en parallèle émerge sur la scène publique ces années là le parti Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident). Ce dernier se déclare en faveur de l’homogénéité culturelle et ethnique des sociétés européennes.

Si certains membres de l’AfD sont favorables à une alliance avec Pegida comme Björn Höcke, d’autres comme le fondateur du parti Bernd Lucke ne partagent pas cette position. Cette situation aboutira au départ de Bernd Lucke et d’environ 2 000 adhérents en 2015. En 2017, une nouvelle scission aura lieu avec le départ de la tête du parti de Frauke Petry. Depuis, le parti tend à se radicaliser et à venir sur une ligne politique de plus en plus nationaliste et identitaire. Si Björn Höcke n’a pas candidaté à la présidence du parti en 2019, il a demandé plus de sièges dans la direction pour sa fraction.

Quelles conséquences ?

La successeuse désignée d’Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer, a dû démissionner de la tête de la CDU suite à cet événement et surtout en raison de ses difficultés à trouver une issue à la crise. La question morale qui s’est posée à la CDU avec le cas de la Thuringe pourrait se reposer dans les mois à venir au regard de la progression de l’AfD. La CDU se est aujourd’hui divisée entre une partie qui souhaite conserver une alliance avec la gauche et le centre et une aile qui est favorable à des alliances avec le SPD. Cette situation révèle également le rejet des partis traditionnels par une part croissante de la population et la difficulté pour ces derniers d’arrivée en pouvoir seul ou en suivant les schémas classiques de coalition, notamment dans les Länder de l’Est.

En outre, le cas allemand montre bien les questionnements européens de la droite que l’on peut retrouver au sein du Parti population européen (PPE) quand on regarde les difficultés que le parti a à trancher le cas Orbán.

Ces élections régionales sont également le reflet du renforcement des partis nationalistes-identitaires dans toute l’Europe avec l’émergence de coalition entre la droite et l’un de ces partis comme en Autriche en 2018-2019 avec l’alliance ÖVP et FPÖ (groupe Identité et démocratie au Parlement européen) ou de coalition plus inclassable comme celle entre le M5S et la Ligue (groupe Identité et démocratie au Parlement européen) en 2018-2019 ou encore entre libéraux et nationalistes-identitaires comme en Espagne avec l’alliance Parti populaire-Ciudadanos-Vox (groupe des Conservateurs et réformistes européens au Parlement européen).

S’il est impossible de prédire la recomposition de l’échiquier politique européen, trois remarques peuvent être formulées en conclusion.

1) La première est que la droite européenne va certainement connaître une recomposition dans les années à venir sous la pression des partis nationalistes-identitaires.

2) La deuxième est que nous n’en sommes qu’aux prémisses des alliances électorales inédites. Autrement dit, s’allier aux nationalistes-identitaires est l’un des derniers moyens pour certains partis traditionnels de se maintenir au pouvoir.

3) La non-reconnaissance du caractère idéologique de l’attentat d’Hanau place l’AfD dans une situation complexe et questionne toutes les potentielles alliances avec un parti donc certains cadres relativisent les crimes nazis.


[1] Parmi ces événements, il est possible de citer : une série de meurtres d’immigrés dans les années 2000, réalisée par un groupe néonazi, des chasses aux musulmans dans les rues de Chemnitz en 2018, l’assassinat en 2019 de Walter Lübcke (membre de la CDU) ou encore l’attaque de la synagogue de Halle en octobre 2019.

No comments

Sorry, the comment form is closed at this time.