A quelques semaines du procès de François Fillon, une question refait surface avec force : politique et morale sont-elles conciliables ? Une question qui se pose en des termes particuliers en France : la philosophie qui sous-tend notre République démocratique charrie un système de valeurs qui se confond en partie avec une « morale républicaine » qui consacre la vertu.
Sujet structurant de la philosophie des Lumières, la vertu a animé l’entreprise des Révolutionnaires de 1789 (Robespierre, Marat, Saint-Just…) et leur projet politique et moral. Celui-ci entendait rompre avec l’Ancien Régime, où l’exercice de fonctions publiques se confondait souvent avec les intérêts privés. Opposée aux intérêts particuliers, la vertu est alors érigée en valeur de l’ordre nouveau en quête d’un bien commun porté par la devise républicaine, tandis que la corruption est fustigée comme ennemie de la « morale publique ». L’Incorruptible Robespierre voit dans la Vertu, ou « droiture », le fondement axiologique, politique et social de la République. Dans son éloge de la vertu, Robespierre s’inspire tant de Rousseau et de sa « religion civile » que de L’Esprit des lois de Montesquieu l’Incorruptible fait de la démocratie une forme de République dont le « principe » ou la passion dominante est la vertu… Cet idéal perdure dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, où l’ambition morale du projet de société des Républicains est revivifiée. L’avènement de la IIIᵉ République et le remplacement à l’Elysée de Mac-Mahon par Jules Grévy voient la victoire politique, institutionnelle et morale des Républicains. Inspirés ici par le rationalisme de Descartes et l’humanisme de Rousseau et de Kant, les Républicains développent alors un projet de société : créer des citoyens vertueux, à partir d’une morale républicaine et laïque alternative à la morale traditionnelle/religieuse/catholique. Victor Cousin, Jules Simon, Etienne Vacherot, Renouvier et surtout Jules Barni placent la question de la morale (celle des droits et devoirs) au cœur de cette morale républicaine. Le « modèle républicain » s’est ainsi construit sur la séparation de principe entre sphère politique et sphère marchande, sur la distinction entre intérêt public et intérêts privés et assumant la relation entre politique et morale : « la “tradition républicaine” a fait de l’opposition entre vertu et corruption la clé de voûte de son analyse de la vie politique »[1].
Les fondements axiologiques et l’idéal politique et moral, solidement appuyé sur une longue tradition philosophique, qui anime notre République démocratique auraient dû la préserver du fléau de la corruption politique. Or les « scandales publics » peuplent des chroniques politique et judiciaire qui tendent par trop à se confondre. La litanie des entorses à la probité publique et des infractions à la loi commises par des élus, des ministres ou de candidats à l’élection présidentielle semble interminable, comme si la République était frappée par cette fatalité. En réalité, nul régime n’est immunisé « par nature » contre un mal inhérent à toute société humaine. Non seulement le phénomène est inhérent à toute forme politique d’exercice du pouvoir, mais les actes de transgression et de délinquance des responsables politiques constituent une menace pour toute République démocratique.
Certes, le phénomène de « corruption » n’est propre ni au régime actuel, ni à la France : la médiatisation des affaires « politico-financières » connaît des précédents dans notre propre histoire nationale et s’inscrit aujourd’hui dans un mouvement de fond qui englobe la plupart des démocraties libérales. Il n’en exprime pas moins un symptôme majeur de la crise d’un régime politique caractérisé par la défiance des citoyens à l’endroit de leurs gouvernants… Morale et politique sont-elles alors inconciliables ? La longue tradition philosophique aux sources de l’idéal vertueux de notre régime politique est-elle impuissante ?
- Pour en débattre, nous recevrons :
– Thierry Menissier, philosophe, auteur de Éléments de philosophie politique (Ellipses, 2018) et Machiavel ou La politique du Centaure (Hermann, 2010).
– Béligh Nabli, juriste et essayiste, auteur de La République du soupçon (éd. du Cerf, 2018).
Le 19 février 2020 à 18h30, à la Libraire Vrin, 6, place de la Sorbonne, 75005 Paris.
La Librairie philosophique J. Vrin est une maison indépendante d’édition de philosophie et l’unique librairie spécialisée en philosophie au monde. Depuis 1911, son catalogue riche de plus de 10 000 titres et les rencontres organisées entre ses murs font vivre la réflexion philosophique au cœur de la capitale.
Chronik est un collectif animé par une génération d’intellectuels acteurs de la société civile, qui croisent depuis plusieurs années déjà leurs regards sur les enjeux majeurs de notre modernité. La démarche de Chronik.fr consiste à prendre part à un projet politique toujours en construction, d’inspiration humaniste et universaliste, affranchi de la représentation d’une société française vivant en vase clos.
Par Béligh Nabli & Margot Holvoet
[1] Céline SPECTOR, « Montesquieu ou les infortunes de la vertu », Esprit, février 2014, pp. 31-44, spéc. p. 32.
Nabli Béligh
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