
Le coronavirus est à l’origine de la quatrième crise d’ampleur que connaît l’Union européenne. En effet, après la crise économique et financière de 2008, la crise migratoire de 2015 et la crise de la représentativité en cours, elle connaît actuellement une crise sanitaire d’ampleur. L’Europe est particulièrement touchée par la crise et l’impact est appelé à s’aggraver compte tenu des conséquences économiques et sociales.
L’Union européenne n’est responsable ni de la crise systémique actuelle, ni des défaillances de certains États. Malgré cela, la pandémie ébranle un édifice européen déjà fragilisé par les précédentes crises et révèlent les faiblesses d’une construction inachevée, ainsi que les différences culturelles, économiques, sociales et politiques entre les États membres. Par ailleurs, les difficultés des États membres pour trouver un plan ambitieux pour soutenir les économies nationales mettent à l’épreuve le principe de solidarité. Or, l’absence d’un accord d’ampleur pourrait être mortifère pour une Union européenne affaiblie et dont de nombreux citoyens questionnent la légitimité et l’efficacité.
Un accord difficile à trouver en raison de la cohabitation de cultures et doctrines économiques différentes
La pandémie a créé un choc psychologique majeur notamment parce que le risque d’une crise sanitaire d’ampleur relevait de l’impensable. Elle a également induit un choc de l’offre et de la demande avec des impacts très différents d’un pays à l’autre sur les plans sanitaire et économique. Selon les prévisions du FMI, le produit intérieur brut de la zone euro pourrait diminuer de 7,5% cette année, celui de l’Allemagne de 7% mais celui de l’Italie pourrait chuter de plus de 9%. La situation pourrait être encore plus désastreuse en 2021. De la même manière, le déficit budgétaire devrait être selon Fiscal Monitor de 7,5% pour la zone euro, 5,5% pour l’Allemagne et 8,3% pour l’Italie[i]. Les dettes publiques, en particulier celles de l’Espagne et de l’Italie, devraient exploser. Dès lors, ces prévisions appellent à une réponse coordonnée et d’ampleur de la part de l’Union européenne.
Dans un premier temps, les États membres se sont entendus sur la suspension des contraintes budgétaires européennes et la Banque Centrale Européenne (BCE) a débloqué 750 milliards pour acheter des parts de dettes publiques et privés. Avec cette démarche, la BCE entendait répondre à deux objectifs : restaurer le bon fonctionnement des marchés financiers de la zone euro et garantir une politique monétaire favorable à tous les États membres de la zone euro. Par la suite, un accord a été trouvé au sein du Conseil européen autour de trois axes : 240 milliards d’euros de prêts via le fonds de secours de la zone euro, un fonds de garantie permettant à la Banque européen d’investissement (BEI) de déployer 200 milliards d’euros pour les entreprises et 100 milliards pour soutenir les mesures de chômage partiel. Ces mesures représentent un montant total de 540 milliards d’euros. Il a également été décidé de mettre en place un fonds de sauvetage dont les contours restent encore à définir.
Le recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) constitue une avancée notable puisqu’il avait constitué un élément de débat majeur entre les États membres. Les Pays-Bas avec l’appui d’autres États comme la Suède et le Danemark ont longtemps bloqué l’activation du MES et souhaitaient conditionner l’accès aux prêts à des réformes macroéconomiques (système fiscal, système de retraite, etc.). Ces exigences contreproductives ont fini par être abandonnées. Une seule condition a été retenue : l’argent débloqué doit être utilisé pour soutenir directement ou indirectement les systèmes de santé et de traitement en lien avec la crise du coronavirus. Ce type de blocages montre l’existence de cultures économiques très différentes entre les différents États membres. L’orthodoxie budgétaire peut apparaître comme une contrainte incompréhensible d’un point de vue français ou italien, mais il s’agit d’un élément ancré de manière très profonde dans les sociétés du nord de l’Europe ce qui le rend complexe à surmonter.
Ces divergences de doctrines économiques expliquent les difficultés, voire l’impossibilité pour les États membres de s’entendre sur la question des « coronabonds ». Ces derniers permettraient aux États européens de mutualiser les dettes et de lever des fonds sur les marchés à taux d’intérêt harmonisé. Si un fonds de sauvetage issu du budget européen a été évoqué, ni son fonctionnement, ni son montant n’ont été explicités. Il s’agit donc d’une formule de compromis qui n’apporte pas une réponse à la hauteur des enjeux.
Un accord insuffisant et nuisible sur le long terme à l’Union européenne
Les dettes, notamment des pays du Sud de la zone euro, pourraient devenir insoutenable et faire planer sur ces pays un risque de défaut de paiement qui serait nuisible à toute la zone euro. Cette situation susciterait la méfiance des marchés et provoquerait une hausse des taux d’intérêts auxquels les États empruntent, en particulier pour les pays du sud de la zone euro. La BCE a une puissance de feu illimitée et pourrait racheter des titres publics pour éviter une crise de liquidité. Reste aux États de décider d’agir dans ce sens ou de précipiter la fin de l’Union européenne.
En effet, la situation rappelle la difficulté pour les États membres à faire preuve de solidarité, ce qui donne du grain à moudre aux détracteurs de l’Union européenne qui estiment que les États pourraient s’en sortir mieux seuls. Les critiques contre le projet européen sont également nourries par les campagnes de désinformation conduite par la Chine. Par conséquent, sans d’avantage de solidarité, l’Union européenne sera encore plus remise en cause à la sortie de la crise. Que sont les 540 milliards dégagés quand les pertes pourraient représenter plus de 10% du PIB (soit environ 2 000 milliards d’euros de pertes). Les efforts budgétaires que doivent consentir l’Union européenne devraient être au moins équivalent à ces pertes si nous voulons espérer une relance de l’économie.
Par ailleurs, il existe un risque juridique. Si aujourd’hui la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour constitutionnelle allemande se sont prononcées en faveur des positions prises par la BCE, leurs positions pourraient évoluer dans un sens moins conciliant. Il est peu probable que ce risque vienne de la CJUE, en revanche, la Cour constitutionnelle allemande pourrait se prononcer contre la ligne suivie par la BCE, ce qui entraînerait une crise politico-institutionnelle, avec le spectre d’une sortie de la zone euro de l’Allemagne. Une hypothèse peu probable à ce stade, mais à ne pas écarter.
Enfin, la tentation sera grande pour les États les moins touchés par la crise d’appeler rapidement à un retour à l’orthodoxie budgétaire. Cette solution serait mortifère pour une partie des économies européennes. Une solution alternative pourrait être d’annuler une partie des dettes européennes, notamment parce que la BCE a fait un effort conséquent depuis 2015 pour racheter des parts de dettes souveraines de la zone euro (environ 2 000 milliards d’euros de titres). Ce choix permettrait de dégager des marges de manœuvre supplémentaires pour la gestion de l’après-crise.
La nécessaire mise en place d’un grand plan d’investissement européen
Au-delà des mesures de relance, il est également nécessaire envisager la mise en place de grands plans d’investissements européens dans des domaines stratégiques où les États seuls ne sont pas en mesure de rivaliser avec la Chine ou les États-Unis. Ces investissements sont essentiels pour assurer l’indépendance technologique du continent. Ils doivent porter en premier lieu sur des technologies comme la 5G, le cloud, le stockage de l’énergie ou encore l’intelligence artificielle. L’Europe est en situation de dépendance sur de nombreux sujets de production, mais également dans de nombreux services. Par exemple, les services numériques (réseaux sociaux, services de téléconférences, etc.) utilisés en masse durant cette crise sont fournis par des entreprises non européennes. Autrement dit, alors que nous repoussions les productions vers d’autres pays, notamment asiatiques, nous n’avons pas réussi à créer les entreprises leaders de l’économie du numérique. Ces grands plans d’investissement devront être pensés selon une logique systémique.
Néanmoins, avant cela, il faudrait également envisager de débloquer des liquidités en faveur des entreprises, notamment des PME qui ont une faible capacité d’endettement et que la crise pénalise très fortement. En effet, elle va rogner leur trésorerie et induire la faillite des plus fragiles ce qui aura pour conséquence de complexifier la reprise. En outre, cela fragilisera encore plus les territoires qui ont déjà été marquées par quarante de désindustrialisation et la crise de 2008.
La gestion de cette crise pèsera sur l’avenir de l’Union européenne. Un déficit de solidarité et l’absence de réponse commune au nom des égoïsmes régionaux et nationaux pourraient conduire, à plus ou moins long terme, à l’implosion du projet européen.
Les derniers articles par Anaïs Voy-Gillis (tout voir)
- De la désindustrialisation à la renaissance industrielle ?* - 3 octobre 2021
- Crise du Covid-19 : fin du projet d’Union européenne ? - 23 avril 2020
- Stratégie industrielle européenne : de nouvelles perspectives ? - 14 mars 2020