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Covid et environnement : l’urgence du bilan

 

– Par Margot Holvoet, analyste des questions écologiques au sein du collectif Chronik

L’année 2008, année de crise financière et économique majeure, a coïncidé avec un pic de conscience écologique parmi les citoyens. La crise, qui s’est dans un premier temps traduite par une baisse des émissions mondiales de CO2, a été suivie par une hausse de celles-ci alors que la préoccupation environnementale était reléguée au second plan. L’accord de Paris (2015) n’aura pas suffi à remettre la préoccupation sur le devant de la scène, l’année 2015 marquant même une nouvelle augmentation des émissions de CO2. Il aura fallu une suite d’événements tragiques – incendies monstres en Amazonie, puis en Australie, canicule insupportable dans tout l’hémisphère Nord, pour que, 10 ans plus tard, le climat redevienne une priorité. L’histoire est-elle condamnée à se répéter ?

Alors que le monde est encore englué dans une pandémie mal jugulée, tous ont déjà les yeux rivés sur l’après, chéquiers à la main, pressés de « redémarrer »[1] comme avant. Les États-Unis font de belles fleurs à l’oil & gas [2], les lobbies se pressent à Bruxelles pour affaiblir ou repousser le Green Deal, et la France aligne 20Md pour ses industries les plus polluantes – avec une exigence de « contreparties » très molle[3]. Alors que les plans de relance sont dans les starting blocks, nos gouvernants s’interrogent à peine sur l’objet et la raison d’être de cette « relance ».

Plutôt que de foncer avec toujours la même conviction aveugle dans les bienfaits de la croissance, il convient de faire une pause – ça tombe bien, le virus nous y pousse – et questionner les raisons d’apparition de cette pandémie. Pourquoi diable, après un siècle sans péril sanitaire majeur, celui-ci nous frappe-t-il de plein fouet ? Certains évoquent un avertissement de Dieu[4], d’autres les manquements d’un gouvernement autocratique ou ses manœuvres cyniques. Mais d’autres encore, plus soucieux de s’en tenir à la rigueur scientifique, évoquent un faisceau d’explications issues de nos modes de civilisation[5].

Si les premières maladies infectieuses sont apparues avec le développement des villes et de l’agriculture, les systèmes de santé des pays développés ont permis un temps de faire face à la menace. Or, depuis 50 ans et l’accélération du capitalisme mondialisé, des déforestations à une échelle sans précédent ont créé (et créent toujours) les conditions propices à de nouvelles transmissions inter-espèces en contraignant la faune sauvage à se rapprocher des humains. Dans le même temps, les systèmes de santé pré-cités ont privilégié l’impréparation au détriment de la prévention[6]. Faut-il en déduire la nécessité d’exterminer tout être vivant hors du contrôle strict de l’homme ? Ce serait oublier que nous sommes nous-mêmes constitués de vivant non-humain (des bactéries) et que nous dépendons intégralement, pour notre survie, dudit vivant (des pollinisateurs pour l’agriculture aux molécules utilisées en médecine issues du vivant, notamment océanique), et que c’est justement la diversité du vivant, au sein des espèces et entre elles qui constitue la meilleure barrière aux virus. La diminution drastique des populations animales (-20% en moyenne depuis 1900) et l’extinction en cours d’un nombre vertigineux d’espèces (1/8 des espèces animales et végétales connues, selon le dernier rapport de l’IPBES), diminuent ainsi singulièrement les barrières biologiques aux virus. En fait, ce serait ignorer que nous ne sommes ni plus ni moins qu’un maillon du vivant, nullement imperméable aux bouleversements que ce dernier subit.

Or, de « simple » maillon du vivant, l’homme a par l’entremise de la technique acquis le pouvoir de transformer la nature jusqu’à un point critique, jusqu’à menacer sa propre survie. Alors que les effets de nos actes ont longtemps été cantonnés à un espace-temps restreint, la technologie moderne a fait entrer le tout de la biosphère dans la liste des objets vulnérables à nos actions[7]. Depuis les années 1950 et l’accélération de l’usage des énergies fossiles, nous sommes ainsi entrés dans une nouvelle ère géologique définie par l’activité humaine – dénommée, à propos ou non, l’anthropocène. Le réchauffement climatique, et l’extinction de la biodiversité qu’il induit, menacent ainsi à court terme la survie de l’espèce humaine.

Dès lors, nous ne pouvons plus nous contenter d’une éthique de l’ici et du maintenant pour fonder nos actions, et notamment celles des pouvoirs publics. « Le changement de nature de l’action humaine change la nature même de la politique », déclarait à ce propos Hans Jonas en 1972, année qui fut marquée par la publication du rapport Meadows et la prise de conscience de la vulnérabilité de la nature au capitalisme fossile. La politique ne peut plus se contenter de viser des objectifs à court terme, dessinés par les échéances électorales. Désormais, elle a à se prononcer sur rien de moins que la préservation de la possibilité de la vie humaine : « agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie humaine authentique »[8] devrait être l’impératif catégorique des pouvoirs publics.

Or, nos gouvernements ne semblent pas avoir pris le pas de cette « nouvelle » responsabilité qui leur incombe, bien qu’elle leur ait été formulée depuis 5 décennies. Des promesses, des traités, des accords ont fleuri. Mais aucun ne semble avoir compris la profondeur et la nature du problème. Aucun n’est à la hauteur des enjeux qui sont en train de se jouer. Tous continuent avec les mêmes recettes, et les promesses restent sans effet.

Faut-il alors renflouer encore un système qui court à sa perte – pire, qui mène l’humanité à sa perte ? Cette question semble comprendre sa propre réponse. Pourtant, le gouvernement ne semble pas en passe, encore une fois, d’y apporter la réponse que l’on croit.

– Photo : Roslan Rahman. AFP


[1] Voir l’entretien avec Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef.

[2] Cf. l’analyse de Rhiana Gunn-Wright dans le NY Times du 15 avril.

[3] Voir l’amendement 443 déposé par des députés LRM et adopté.

[4] Selon les déclarations du Président du Nicaragua le 15 avril.

[5] D’après Jean-François Guégan, directeur de recherches à l’Inrae, auteur d’un rapport en 2010 sur les maladies infectieuses émergentes. Lire : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/17/je…

[6] Lire le rapport de Jean-François Guégan : https://www.vie-publique.fr/rapport/31962-les-mala…

[7] Voir H. Jonas, « Technologie et responsabilité. Réflexions sur les nouvelles tâches de l’éthique », dans Du credo ancien à l’homme technologique, Paris, Vrin, 2013.

[8] Ibid., p. 37.

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