Restez Connecté:
HomefranceLa contestation des droits de l’Homme par la « patrie des droits de l’Homme »

La contestation des droits de l’Homme par la « patrie des droits de l’Homme »

  • Paul CHIRON, juriste spécialisé en droit des étrangers, membre de Chronik

Le gouvernement « respecte l’Etat de droit et le droit tout court », selon Gerald Darmanin … Il est vrai que le respect des droits humains est la pierre angulaire de tout Etat démocratique. Or cet acquis de la Déclaration de 1789 se trouve pour le moins ébranlé dans un contexte marqué par des discours hérités souvent de l’extrême droite. Ainsi, les débats et prises de paroles de politiques et autres éditorialistes n’hésitent plus à remettre en cause des droits fondamentaux sur la base d’une rhétorique sécuritaire, du repli sur soi. La séquence autour du débarquement de l’Ocean Viking est à ce titre désolant.

A côté de ce naufrage public de la gestion migratoire qui l’emporte sur les conventions internationales (y compris celles qui protègent les droits humains), les violations de l’Etat de droit, pernicieuses et silencieuses, se multiplient. Ainsi, l’administration a expulsé le mois dernier, une personne ayant la qualité de réfugié vers son pays de nationalité, alors même que la Haut-commissariat aux réfugiés appelle à cesser tout renvoi et protéger les personnes ce pays.[1] . Pire, au « pays des droits de l’Homme », il ne s’agit pas là d’un précédent isolé, mais l’illustration d’une pratique de violations systémiques des droits humains.

  • Les condamnations se succèdent… et se ressemblent.

Le risque, lors de la mise en œuvre d’une procédure d’expulsion, de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH) prohibant les actes de torture et de traitement inhumain ou dégradant est depuis longtemps un sujet dont la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) s’est emparée. Le 6 octobre dernier, la Cour a une nouvelle fois condamné la France pour la lacune de sa procédure de protection de l’article 3 de la ConvEDH. Cet arrêt de la Cour n’est pas une surprise car s’inscrit dans une jurisprudence stable et prévisible de la Cour. Malheureusement, malgré ces condamnations qui se succèdent (K.I. c. France en 2020, R. c. France, W. c. France et S. c. France en 2022) l’Etat français ne semble pas prendre la mesure de la situation et rectifier sa conduite (en témoigne les dossiers toujours pendant devant la Cour mais également les mesures provisoires enjointe par la CourEDH au gouvernement français).

Dans toutes ses décisions, la position de la CourEDH est identique ; si la gestion des politiques migratoires fait partie de la souveraineté des Etats, la protection dévolue à l’article 3 de la Convention est absolue. Pourtant, l’Etat agit comme si de rien n’était, faisant fi des dires de la Cour ayant pour mandat de faire respecter les droits humains. Ainsi la France, au mieux, offense les 46 juges et leurs équipes instruisant les dossiers et rendant le droit ; au pire, humilie pleinement l’institution et sa Convention.

La remise en question, par les Etats eux-mêmes, de la crédibilité des normes et mécanismes dont les membres du Conseil de l’Europe s’est doté, afin de protéger l’individu et garantir la paix n’est pas sans conséquences et pose un défi de taille. Les violations des droits ne sont pas systématiques mais systémiques.[2] Si évidemment des violations systématiques nous sembleraient choquantes du premier coup d’œil, les violations systémiques sont plus dangereuses car insidieuses et viennent justement saper la place et le poids des droits humains dans notre ordre moral et juridique.

Les violations systémiques renvoient à la question de la non-protection des droits humains par le système et donc par l’Etat cela se traduisant notamment par des violations répétées des normes de protection des droits humains. L’opinion publique s’habitue à un affaiblissement de la protection de droits humains notamment par la remise en question fréquente de la crédibilité des organes de protection nationaux ou internationaux, il suffit de se rappeler de la vague de critiques qu’avait reçu le tribunal administratif de Paris après la suspension de l’arrêté d’expulsion concernant l’Imam Iquioussen.

  • Une défaillance systémique de protection

Le juge interne, qu’il soit administratif ou judiciaire, a, très tôt, eu un rôle prépondérant dans la défense des droits humains si bien que le fait même de pouvoir avoir accès à une telle autorité est en soi une composante des droits humains. Cependant, le juge interne s’est malheureusement laissé corrompre par la politique de bas étage et a oublié son précieux office.

S’il peut avoir des violations systémiques des droits humains alors il y a nécessairement une défaillance systémique des garanties et protection. Il est ainsi troublant de voir des administrations ou des juridictions se refuser d’appliquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou hautes juridictions que sont le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation. Cela montre d’une part un clair dysfonctionnement de ces autorités et d’autre part un évident affaiblissement de la valeur des droits humains à leurs yeux. La démission du rôle de protecteur des droits humains de la part de l’administration est extrêmement inquiétant, et a fortiori de la part des juges, car celle-ci s’accompagne, parallèlement, d’une montée de la défiance envers les organes de protections mais également des défenseurs de droits humains de la part de l’opinion publique. Les politiques ont, depuis des années, flirté avec la ligne rouge du respect des institutions de protections des droits et libertés avant de la franchir allègrement ces dernières années et leur responsabilité est immense. Parallèlement et en opposition à ce mouvement, le droit est devenu une arme militante, pour de bonnes et de mauvaises raisons, avec de bonnes et de mauvaises répercussions. Nous voyons aujourd’hui deux mondes s’affronter, dans les tribunaux notamment, sur les violations systémiques des droits humains dossier par dossier, situation par situation. Il est urgent que les droits humains retrouvent leurs lettres de noblesse et puissent sortir de ce schéma néfaste.

 

[1] https://news.un.org/fr/story/2022/11/1129997

[2] Voir sur ce sujet Caroline Boiteux-Picheral, «Quelles garanties en cas de violation massive / systémique des droits fondamentaux?» RDLF 2022 chron. n°37 http://www.revuedlf.com/droit-fondamentaux/quelles-garanties-en-cas-de-violation-massive-systemique/   

 

  • Illustration : Eugène Delacroix – Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple

No comments

Sorry, the comment form is closed at this time.