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Brexit : enlisement technique et manque d’impulsion politique

Les parties britannique et européenne étaient parvenues à sortir provisoirement de l’impasse les négociations du Brexit en décembre dernier. Alors que la seconde phase de ces discussions était censée se dérouler de façon plus apaisée, le même type de blocages refait surface, en l’absence d’impulsion politique et de direction claire.

L’acceptation, par le gouvernement britannique, du paiement d’une facture substantielle n’a pas véritablement permis de recentrer les échanges sur la question de la relation commerciale à venir entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Alors qu’une vision politique commence malgré tout à émerger des deux côtés quant à la forme que devrait prendre la future relation, la segmentation des négociations, reposant sur des conceptions techniques quelque peu défaillantes, tend à replonger les échanges dans le chaos.

LE SOMMET DE DÉCEMBRE N’A PAS VÉRITABLEMENT RÉGLÉ LES SUJETS TECHNIQUES

En plus d’une forme d’accord sur la question de la facture, des droits des ressortissants européens et de la frontière irlandaise, le compromis de décembre 2017 mettait en avant le principe d’une période de transition, à la suite de la sortie du Royaume-Uni en mars de l’année prochaine. Lors de ce qui est désormais censé être la deuxième phase des négociations, non seulement les échanges sur la période de transition sont chaotiques, mais il apparaît que la question irlandaise n’a pas été réglée au cours de la première phase.

On voit ici la limite de l’approche des négociations par phases. Le principe même en est discutable puisqu’il conduit à repousser sans cesse le coeur des négociations sur la relation commerciale future. Alors que les deux parties devraient s’entendre sur l’essentiel et régler progressivement les aspects plus détaillés, on constate un enlisement assez généralisé. Le tronçonnement des négociations conduit de plus à des avancées quelque peu factices, sous la pression du calendrier alors qu’aucune avancée technique ne s’est confirmée.

Le chaos qui a caractérisé les négociations tout au long de l’année dernière a conduit les divers gouvernements à prendre de la hauteur face à la structuration prévue pour les négociations, et à débloquer l’accès à la seconde phase et à la mise au point de la période transitoire, sans que les aspects préalables n’aient été définitivement fixés.

Il apparaît de plus en plus clairement que la négociation ne peut être menée sur une base strictement technique ; ce qui n’est guère surprenant dans le fond, étant donné le caractère éminemment politique des sujets abordés. Dans une certaine mesure, ces négociations semblent assez largement inutiles puisque les seuls débuts d’avancées résultent d’une implication plus poussée des gouvernements. La réunion européenne de décembre avait, au moins, pu acter le principe de la période transitoire et ouvrir la perspective d’échanges, à défaut de négociations explicites, sur la relation commerciale.

LA SEGMENTATION FOCALISE LES NÉGOCIATIONS SUR DES NOTIONS TECHNIQUES EN RÉALITÉ DÉFAILLANTES

L’approche segmentée et strictement technique s’avère par ailleurs néfaste pour l’Union européenne, comme en témoignent les contours fixés par Michel Barnier. Le négociateur en chef européen, prenant acte de la volonté britannique de sortir du cadre du marché unique et de l’union douanière, en a conclu que la seule issue qui s’offrait était comparable au CETA, l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne.

Cet accord est de nature strictement bilatéral et n’accorde aucun statut particulier à l’acquis communautaire européen. Il ne s’agit pas d’un type d’accord adapté à la politique de voisinage. Ainsi n’a-t-il récemment été ni développé, ni même évoqué avec aucun pays européen. Il apparaît donc encore moins adapté au cas d’un pays qui continuera à satisfaire l’immense majorité des réglementations européennes. La proposition de Michel Barnier remet en réalité en cause l’ensemble de la politique de voisinage de l’Union européenne et présente donc un danger significatif pour le cadre européen.

Les relations commerciales présentent toujours d’importantes incompatibilités techniques, inhérentes à la complexité du commerce mondial, qu’il est difficile de ramener à une vision strictement mécanique.

La question des accords commerciaux a fait son irruption dans le débat public au cours des dernières années, avec la remise en cause de la dernière génération d’accords comme le CETA ou le TTIP en Europe, ou l’accord transpacifique avec les États-Unis, avant que ces derniers ne s’en retirent. La connaissance générale, notamment au sein des cercles d’experts et d’économistes, reste très limitée en ce qui concerne les divers types de cadres inhérents aux échanges commerciaux.

Une grande partie des commentaires sur le Brexit n’a pas véritablement de sens au regard de la réalité des accords commerciaux en vigueur en Europe et dans le reste du monde. De nombreux acteurs et commentateurs du dossier ont tendance à réduire en réalité le débat à une vision politiquement très orientée en la saupoudrant de notions techniques pour le moins décalées.

Si les négociations avec la Norvège avaient été aussi problématiques, il n’aurait probablement pas été possible d’obtenir un accord où le pays participe au marché unique, mais pas à l’union douanière. Les relations commerciales présentent toujours d’importantes incompatibilités techniques, en réalité inhérentes à la complexité du commerce mondial, qu’il est difficile de ramener à une vision strictement mécanique.

MALGRÉ L’ENLISEMENT TECHNIQUE, UN DÉBUT D’APAISEMENT POLITIQUE

Le manque de compétences techniques sur les questions commerciales vient alimenter les blocages politiques dans les négociations du Brexit. Dans ce contexte, seule une implication politique accrue peut permettre de sortir la situation de l’impasse. On peut craindre qu’il faille de nouveau attendre la prochaine échéance de la phase de négociations en cours pour qu’une quelconque avancée ne se produise.

Le fait que le principe d’une période de transition ait été acté a atténué une grande partie des craintes quant à une rupture soudaine et une incertitude dans les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Cette marge de manœuvre devrait permettre des échanges plus apaisés que l’an passé. Côté britannique, la faiblesse politique de Theresa May, après les élections de juin, l’empêche d’affirmer une vision claire. La moindre indication sur la direction des négociations la confronte à la fureur des députés conservateurs pro-européens ou eurosceptiques selon les cas.

                          Aller plus loin : « Le Brexit n’est pas si insulaire ».

Côté européen, l’illusion d’une position unie des divers gouvernements ralentit considérablement le développement d’une vision claire, en dehors de sommets européens de la dernière heure où un consensus peut se créer sur la base d’échanges francs entre dirigeants. Les gouvernements européens, notamment français et allemand, ont eu tendance à montrer des différences significatives en ce qui concerne leur vision du Brexit et l’importance qu’ils apportent au sujet même.

Dans le contexte de la grave crise politique que traverse l’Allemagne, l’idée d’une ligne dure ne bénéficie pas d’un grand soutien, en plus de l’absence d’intérêt pour une issue qui, même sans impact macroéconomique, pénaliserait un certain nombre de secteurs comme l’automobile.

Il a semblé, au cours du dernier sommet franco-britannique, que le gouvernement français évoluait vers une position plus flexible, en arrêtant de se focaliser sur l’idée d’empêcher que ne se crée un précédent qui amènerait d’autres pays à être séduits par une sortie de l’Union européenne sans douleur.

On constate que la partie britannique est tellement focalisée sur ses divisions internes qu’elle se désintéresse de l’évolution politique en cours sur le continent au sujet même du Brexit. Une volonté politique a pourtant clairement émergé au cours des derniers mois, des deux côtés de la Manche, en faveur d’une version modérée du Brexit qui conserverait l’essentiel de la relation commerciale euro-britannique tout en acceptant que le Royaume-Uni ne participe formellement ni au marché unique, ni à l’union douanière.

Le dénouement des négociations à une échéance raisonnable nécessiterait donc d’accorder plus d’importance à la vision politique, surtout quand les prétentions techniques reposent sur des bases fragiles.

© Photos : Pixabay et Max Pixel

Remi Bourgeot

Remi Bourgeot

est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.
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est économiste, spécialiste de questions monétaires, diplômé de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (SupAéro) et de l’Ecole d’économie de Toulouse, chercheur associé à l’IRIS et stratégiste d’investissement.

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