Alors que le projet de loi régissant la politique migratoire a été dévoilé hier en conseil des ministres, le député de la majorité Aurélien Taché a remis au gouvernement 72 propositions visant à favoriser l’intégration des étrangers. Edouard Philippe s’est d’ailleurs engagé à mettre ses préconisations au menu du débat parlementaire qui débutera le 10 avril. Pour Chronik, l’élu du Val-d’Oise a accepté de revenir sur l’esprit de son rapport, et plus largement, sur les racines de son engagement politique.
Chronik.fr : Libération a titré un article vous concernant dans son édition du 20 février : « Le rapport Taché sur l’intégration, vernis humaniste avant la loi immigration ». Quelle a été votre réaction ?
A.T. : Tout d’abord, être ramené à l’état de « vernis » n’est pas forcément très plaisant… Et c’est ensuite faire bien peu de cas du sujet de l’intégration. C’est enfin très révélateur car de fait, en France, on a tendance à se préoccuper de l’intégration seulement quand on a déjà traité tous les autres sujets. On doit être en capacité de dire aux Français : « Regardez, ces gens qui arrivent vont pouvoir apprendre la langue, accéder à un emploi, leurs compétences seront reconnues. » On a des métiers qu’on n’arrive même pas à pourvoir, alors que des demandeurs d’asile auraient les qualifications pour. De plus, on est face à une situation inédite, et on ne peut pas se permettre de la prendre à la légère.
Sur la question de la situation des étrangers, sur la question de l’identité, sur beaucoup de thèmes qui ont trait à ce que j’appellerais de manière plus générale la « question culturelle », la gauche n’a rien fait pendant des années.
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que votre rapport permet avant tout d’afficher des convictions plus à gauche que ne l’est le projet de loi Collomb, afin de coller au credo de l’« en même temps » macroniste et de l’équilibre entre générosité et fermeté ?
L’intégration va de pair avec une logique d’investissement social, alors que la politique des retours s’inscrit dans un registre plus régalien. Mais ramener ces sujets à une lecture droite-gauche n’est selon moi pas la bonne méthode. Moi qui vient de la gauche, sur la question de la situation des étrangers, sur la question de l’identité, sur beaucoup de thèmes qui ont trait à ce que j’appellerais de manière plus générale la « question culturelle », la gauche n’a rien fait pendant des années. Elle est même arrivée à un tel impensé qu’une fois qu’elle ne pouvait même plus se parer de la question sociale, puisqu’elle a fini par s’en débarrasser aussi, on est restés sur une espèce de vision très étriquée et très asséchée d’un républicanisme qui se veut pur, défendu aujourd’hui par Manuel Valls.
Je suis donc assez à l’aise sur ce sujet-là ; ce que j’espère, c’est qu’on arrivera à montrer que l’intégration, qui est un sujet difficile, n’est pas seulement un paravent pour une politique migratoire dont le seul objectif serait de déterminer ceux qui doivent rester en France ou non, ceux qui dorment dehors ou pas. La seule approche humanitaire passe à mon avis à côté du sujet.
Peut-on commettre un rapport comme le vôtre et être en accord avec le projet de loi « Asile et immigration » du gouvernement ?
L’important, c’est d’être en accord avec la philosophie globale défendue par le gouvernement, et cela va sans dire que je le suis. Une fois qu’on a dit ça, il est certain qu’il peut y avoir des points à éclaircir, voire à faire évoluer, sur l’instauration d’un délit de solidarité par exemple, et qu’il faudra pouvoir le dire au moment du débat dans l’hémicycle.
Vous pensez qu’il y aura deux lignes sur ce sujet au sein de la majorité ?
Je ne sais pas. Tout le monde n’a pas les mêmes appétences ni les mêmes sensibilités. De là à dire qu’il y aurait un problème politique, ce n’est pas le sujet ; il s’agit juste pour nous de faire notre job de parlementaire. Et sur ce texte, on le fera.
Au-delà du projet de loi, que pensez-vous de la circulaire Collomb sur le recensement des demandeurs d’asile dans les centres d’accueil, qui a été perçue par un certain nombre d’acteurs, notamment associatifs, comme une forme de « triage » ?
Il faut commencer par rappeler un certain nombre de préalables. Il ne s’agit en aucun cas de recourir à des forces de l’ordre dans ces centres. Si la personne est réfugiée, on doit pouvoir la diriger vers un logement, car sa place n’est déjà plus dans un centre d’hébergement. Si elle est demandeuse d’asile, on doit pouvoir l’orienter vers un centre spécialisé, plus adapté à sa situation. Et si elle est déboutée de ses droits, on verra ce qu’on peut faire, éventuellement travailler avec elle sur un retour, puisqu’elle risquera, pas tant qu’elle est dans le centre d’accueil mais plus tard, d’être renvoyée.
Je comprends la nature profonde de ce texte, alors que beaucoup lui ont fait dire des choses qu’il ne disait pas. Cependant, il y a peut-être eu des failles sur la concertation avec les acteurs associatifs ou autres. Mais c’est malheureusement certainement un passage obligé que ce moment de turbulences autour de ces questions-là.
Quels sont les demandeurs d’asile qui pourraient avoir accès au marché de l’emploi, selon les préconisations de votre rapport ?
Moi, je propose que tous les demandeurs aient une autorisation de travailler après six mois.
Y compris les « dublinés » ?
Non. Vous posez une question qui est très précise et qui est très juste. La mesure concerne ceux qui ont été enregistrés en France et dont la demande est en train d’être instruite.
Vous travaillez également sur les quartiers populaires. Selon vous, comment est perçu Emmanuel Macron dans ces quartiers ?
Je suis effectivement élu dans une circonscription qui en compte et c’est une question qui m’intéresse beaucoup. J’ai fait campagne dans ces territoires. Je viens d’un milieu populaire plutôt rural, mais j’ai grandi avec cette réalité. C’est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur car je crois que là aussi, on assiste à un formidable gâchis de la société française. Le talent, l’envie, la créativité que recèlent ces quartiers sont occultés par toutes les difficultés dont on ne fait que parler. Il y a si ce n’est une stigmatisation, en tout cas un a priori négatif. C’est mal connaître ces quartiers, et toute une génération avec, car il y a une espèce de culture des quartiers populaires qui a émergé au cours des dernières années, y compris auprès de gens qui n’en sont pas issus.
On assiste à un formidable gâchis de la société française. Le talent, l’envie, la créativité que recèlent les quartiers populaires sont occultés par toutes les difficultés dont on ne fait que parler.
Donc je pense que générationnellement, il va finir par se passer quelque chose. Mais en attendant, pour la majorité, il y a eu des attentes qui n’ont été ni totalement satisfaites, ni totalement déçues. Pas d’hostilité, mais on attend. Alors à nous de jouer. Il faut que la logique d’empowerment puisse jouer à plein et qu’on la valorise. Emmanuel Macron dit des choses assez nouvelles, liées là aussi à une dimension générationnelle, un dynamisme.
On ne va pas promettre une politique sociale un peu à l’ancienne, paternaliste, et encore et toujours des subventions aux associations. Il s’agit plus d’une logique de réussite pro business, certes libérale, mais avec l’exigence que les jeunes des quartiers s’y trouvent pleinement intégrés. C’est l’une des approches ; à mon avis il y en a d’autres à traiter, d’ordre culturel notamment. Mais avec ses mots à lui, on sent indéniablement une position d’ouverture de la part d’Emmanuel Macron.
De votre point de vue, sa politique en la matière ne se contente donc pas de vanter les bienfaits de l’uberisation auprès de ces jeunes…
Je comprends qu’on puisse le dire, car lui-même en a parlé, mais je pense que c’est réducteur. Au fond, Emmanuel Macron reflète une forme de saint-simonisme moderne : il considère qu’être entrepreneur c’est aussi être acteur de sa vie et que l’entreprise est un outil de transformation de la société. Quand il nous parle à nous, députés, c’est en tant qu’ « entrepreneurs politiques ». Il exalte une dimension d’autonomie qui me semble très importante. Tout en recréant des communs, et, pour ce faire, il faut casser les faux-communs qui ont prévalu par le passé. Il s’agit de dire aux jeunes qu’on leur fait confiance, de leur tenir un discours de vérité et de les aider à saisir leur chance.
Vous évoquiez la question de la stigmatisation des quartiers. Pensez-vous que cela passe notamment par un usage disproportionné de la force répressive ?
Je pense en tout cas qu’il faut retravailler en profondeur sur le rapport police-population. En particulier dans un certain nombre de quartiers, où ce rapport est malmené, voire rompu. La police de sécurité quotidienne est l’une des réponses. Les caméras piétonnes sont un outil indispensable. Mais il s’agit d’être modeste, car nous partons de très loin, de trente ans de malaise qui ont laissé beaucoup de traces. Je ne jette la pierre à personne, il y a eu beaucoup d’incompréhension de part et d’autre, beaucoup de bonne volonté aussi, mais qui a souvent conduit à de piètres résultats. C’est un constat qu’il faut tirer.
Je ne pense évidemment pas que la laïcité soit mise en danger dans les quartiers. Il y a une réalité extrêmement compliquée en France pour une catégorie de la population qui se retrouve au carrefour de plusieurs discriminations : jeune, issue de quartiers populaires et de l’immigration, ayant une pratique religieuse liée à l’islam.
Je suis élu dans le Val-d’Oise, il y a un certain nombre d’affaires liées à des excès de la part de forces de l’ordre, tout comme il peut aussi s’exercer des violences de la part de certains jeunes, on l’a vu le 31 décembre dans le Val-de-Marne. On a vraiment un problème à faire société. Mais là encore, il apparaît nécessaire de ne pas être trop binaire.
Quand j’ai fait campagne à Cergy, notamment sur les « emplois France », qui est une mesure à laquelle je crois profondément, l’un des sujets qui revenaient beaucoup, c’était le besoin social de sécurité. Les gens, de toutes origines, qui m’interpellaient pour réclamer plus de police dans leur quartier. Et au-delà, il y a la question des symboles et des discours, et là il faut vraiment faire en sorte de recréer du lien, qu’il n’y ait plus de défiance de part et d’autre.
Vous étiez favorable à la délivrance d’un récépissé lors des contrôles d’identité ?
Sur le plan philosophique je n’y suis pas opposé, sur le plan technique je ne sais pas. On me dit que la caméra piétonne arrivera au même résultat. Ce qui est certain, c’est qu’il est urgent d’apporter une réponse à ces questions-là.
Pensez-vous que la laïcité républicaine soit mise à mal dans les quartiers ?
Je ne pense évidemment pas que la laïcité soit mise en danger dans les quartiers. Il y a une réalité extrêmement compliquée en France pour une catégorie de la population qui se retrouve au carrefour de plusieurs discriminations : jeune, issue de quartiers populaires et de l’immigration, ayant une pratique religieuse liée à l’islam.
Il me semble beaucoup trop simpliste et réducteur de soutenir qu’elle incarne une nouvelle forme de prolétariat moderne. Mais que cette frange de la population doive faire face à des difficultés, jusqu’à ne plus se sentir française, problème redoublé par certains manques de l’enseignement parfois, quand il occulte tout un pan de l’histoire lié à la colonisation, aux luttes de libération au Maghreb, c’est une évidence. Tout cela crée des fragilités.
Pour autant, tous les musulmans ne rencontrent pas ces difficultés, tout comme il existe effectivement de vrais problèmes liés à une vision théologico-politique qu’on ne peut pas nier. Les discours victimaires, peu importe d’où ils viennent et à qui ils s’adressent, ne me satisfont pas.
Selon vous, la laïcité est-elle aujourd’hui instrumentalisée à des fins islamophobes ?
La laïcité française telle qu’elle existe, au-delà de ce que certains veulent lui faire dire, ne pose pas de problème. En revanche, que certains instrumentalisent la laïcité, oui. Du côté de la droite réactionnaire, cette islamophobie est une réalité. Du côté d’un certain républicanisme très offensif, il y a quelque chose qui peut être sincèrement antireligieux, et pas nécessairement islamophobe. On peut au moins leur faire ce crédit. Mais dans les deux cas, il y a une interprétation politique de la laïcité.
Que pensez-vous de la notion de « racisme d’État » ?
Encore une fois, ce sont des sujets auxquels j’attache énormément d’importance, et je pense qu’on ne peut plus perdre de temps avec des concepts. Assimilation, multiculturalisme… On n’en sort jamais. Le « racisme d’État », c’est un peu la même chose. Qu’il y ait plus de contrôles d’identité dans certains quartiers, des conférences qui soient annulées dans certaines universités, ce sont des faits. Peut-on dire pour autant qu’il s’agit de quelque chose d’institutionnalisé, d’un régime comparable à l’apartheid ? Je ne crois pas. Donc autant utiliser une autre expression que celle-là.
Vous considérez-vous comme un libéral au sens plein du terme, sur le plan économique, comme philosophique et sociétal ? Est-ce ce qui vous a poussé à adhérer au mouvement emmené par Emmanuel Macron ?
Incontestablement. Moi je viens du PS et n’ai jamais été séduit par ce que j’appellerais la gauche « autoritaire », étatique et jacobine. Libéral, oui, ça me va bien, dans l’acception anglo-saxonne du terme, soit une forme d’expression libérale-libertaire. Et le fait que le pape des libéraux-libertaires français, Daniel Cohn-Bendit, ait rejoint Emmanuel Macron, a été un élément qui m’a conforté sans m’avoir surpris.
Je me sens proche des thèses liées à l’internationalisme et au cosmopolitisme, ainsi que de philosophes comme Jürgen Habermas. Je ne suis plus assez à gauche pour me revendiquer complètement libertaire mais la liberté individuelle, les dynamiques locales, l’entreprise sociale, tout cela me séduit, au même titre que le libéralisme culturel. Une société où ce sont les choix des individus qui priment, de leur pratique religieuse à leur pratique sexuelle. J’y ajoute la question de l’égalité des chances, mais pour moi cela va de pair, la lutte contre toutes les formes de déterminisme et d’assignations à résidence. Ce qui donne une société peut-être plus démocratique que strictement républicaine.
© Photo : Bruno Levy/Divergence pour La Croix
Soizic Bonvarlet
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