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HomefranceCécile Alduy : « Zemmour défend une vision du monde, celle d’une guerre de civilisation »

Cécile Alduy : « Zemmour défend une vision du monde, celle d’une guerre de civilisation »

 

 

  • Cécile Alduy est professeure de littérature à l’Université de Stanford, chercheure associée au Cevipof à Sciences Po. Elle vient de signer « La Langue de Zemmour » (ed. Seuil). Une contribution éclairante et efficace à l’identification et à la restitution du discours d’E. Zemmour dans la longue histoire de l’extrême droite française. Cécile Alduy nous a fait l’honneur et le plaisir de répondre aux questions de chronik.

 

BN – Les mots usités par  E. Zemmour s’inscrivent dans une bataille culturelle. Ils nourrissent sa quête de pouvoir, sa quête du pouvoir politique. Quels sont ces mots-clefs utilisés comme autant d’armes politiques?

CA. – Le but de cette bataille culturelle assumée est d’imposer un cadre de pensée, une vision du monde. Dans le cas d’Éric Zemmour celle d’une guerre de civilisation entre Européens blancs, chrétiens, et les pays d’Afrique et du Moyen Orient qu’il assimile uniformément à une civilisation musulmane offensive et antagoniste. Les deux mots qui me semblent les plus perversement efficaces et intentionnellement utilisés pour imposer ce récit d’une France assiégée et légitime à se défendre sont « guerre » et « race ». « Guerre » est le 3e substantif le plus utilisé dans les 7 ouvrages que j’ai analysés (depuis Le Premier sexe à La France n’a pas dit son dernier mot). La vision du monde et de la politique fondamentale de Zemmour est celle d’un conflit permanent, par défaut, entre dominants et dominés, entre les individus, les sexes, les peuples. L’omniprésence de « guerre » impose viscéralement un sentiment de peur, et ses corollaires : la réaction impulsive d’auto-défense (donc d’attaque), de rejet et de patriotisme exacerbé contre un « ennemi » que Zemmour désigne à la vindicte populaire. Le mot « race » lui est surutilisé par rapport à tous les autres représentants politiques…. Même Jean-Marie Le Pen ! Zemmour l’utilise pour l’imposer comme nouvelle catégorie conceptuelle : il sait que le mot est tabou, du coup il fait semblant de le citer à travers les paroles d’autrui (De Gaulle, même si ce ne sont que des propos rapportés douteux ; des historiens du 19e siècle) mais au fil des pages, il normalise le mot, explique que de grands noms l’utilisaient comme Renan, qu’il est donc valide, puis il l’emploie à dessein pour dresser un tableau, raciste, de la France contemporaine.

 

BN – E. Zemmour tente de réhabiliter Pétain. Tente-t-il plus largement de réhabiliter les mots et l’idéologie de Vichy ? Autrement dit, peut-on le qualifier de vichyste ou de fasciste ? Ou s’agit-il d’un discours autonome susceptible de fonder un courant idéologique, le « zemmouriste » ?

CA. – Éric Zemmour ne propose aucune thèse originale, aucun système de pensée propre : il est dans le copier-coller des auteurs d’extrême droite contre-révolutionnaires et anti-républicains du 19e et du 20e siècles. Il n’y a pas de zemmourisme mais la récitation (plus ou moins fidèle) et la paraphrase d’autres penseurs.

Je ne dirai pas qu’il est fasciste, car ce terme désigne un mouvement politique extrêmement précis, qui s’accompagne d’une mise au pas de toute la société, d’un pouvoir autoritaire pyramidal, de l’organisation de groupes civils armés, etc. Zemmour ne se rêve pas en Duce. Cependant, il réhabilite non seulement Pétain mais l’idéologie de Vichy et sa conception de la politique comme « Révolution nationale » morale qui s’appuie sur Maurras, Barrès, et un fort courant antisémite qui remonte à Drumont. Il n’a de cesse de célébrer « la terre et les morts », y compris pour reprocher aux victimes juives de Mohammed Merah d’être enterrées en Israël.

 

BN – Est-ce que ses discours peuvent être assimilés à des appels à la « guerre civile » ?

C.A. – Absolument. Éric Zemmour prétend « constater » que nous serions « déjà » en pleine guerre civile en France. Mais ce sont ses mots à lui uniquement qui créent ce fantasme, et cherchent à en faire une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Lorsqu’il appelle constamment les « vrais » Français à se défendre contre les « colonisateurs » que seraient devenus les anciens colonisés, lorsqu’il dit à la convention de la Droite de 2019 « La question qui se pose donc à nous est la suivante : les jeunes français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres. Si oui, ils méritent leur colonisation, sinon ils devront se battre pour leur libération », il appelle explicitement à « se battre », à prendre les armes contre des personnes précises, tous ceux qui ne sont pas « Français de souche » depuis des générations. Ce ne sont pas des métaphores, mais un appel très clair à la lutte dans ce qu’il appelle une « guerre des races et guerre des religions » où « la question identitaire du peuple français [est] une question de vie ou de mort. »

 

  • Cécile Alduy, La Langue de Zemmour, ed. Seuil, 60 p., 4,50 €

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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