- Par Margot Holvoet, responsable des questions « environnement » au sein de Chronik.
Si la notion de greenwashing – ou l’action de mettre en avant des actions écologiques pour masquer des impacts importants sur l’environnement – est d’abord appliquée au monde de l’entreprise[1], Emmanuel Macron a donné un exemple frappant de son application en politique. Le président a en effet multiplié les annonces ambitieuses en faveur de l’environnement au cours de son mandat : du tonitruant « Make our planet great again », à la Convention citoyenne pour le climat et la promesse d’une reprise « sans filtre » de ses propositions, il a affiché un volontarisme encourageant. Ce volontarisme s’est particulièrement illustré sur la scène européenne : il a contribué à la hausse des objectifs de réduction des émissions de l’Union européenne (à -55% en 2030 par rapport à 1990), et fait entrer de nouveaux sujets dans l’agenda, comme la lutte contre la déforestation importée et le mécanisme carbone aux frontières. Ces positions ont permis d’afficher la France comme leader de la transition écologique – posture largement revendiquée depuis les accords de Paris.
Or, en nos frontières comme aux dehors, ces annonces musclées ont été largement contredites par les faits. Au niveau européen d’abord : le président en exercice a été aux avant-postes pour amoindrir l’ambition de la taxonomie verte, freiner la fin de vente des véhicules neufs essence, et torpiller les propositions en faveur de l’environnement lors de la révision de la PAC en 2021[2]. Surtout, c’est récemment à la demande de la France que la décision a été prise d’exploiter les jachères pour l’agriculture (normalement destinées au repos des sols et à la biodiversité), et de remettre aux calendes grecques la stratégie de réduction des pesticides[3], annulant des années d’effort pour tenter de freiner l’effondrement de la biodiversité en milieu agricole (les populations d’insectes et d’oiseaux, on le rappelle, y disparaissent à une vitesse effroyable[4]).
Sur la scène intérieure, le tableau n’est guère meilleur. Le gouvernement se cache ainsi derrière l’adoption de la loi climat (« plus grande loi pour le climat »[5]), pour détricoter la législation de protection de la nature[6]. Sont ainsi passés relativement inaperçus de multiples décrets et articles de loi « simplifiant » le droit de l’environnement et débouchant sur des protections de moins en moins fortes[7]. On peut citer la réduction du champ d’action des enquêtes publiques, la limitation des délais de recours, les sites « clefs en main » dérogeant purement et simplement au droit de l’environnement… Plus récemment, le gouvernement a introduit un article simplifiant les autorisations d’abattage d’arbres dans la loi 3DS[8]. Ce détricotage de la loi se double par ailleurs de tensions permanentes sur les effectifs de celles et ceux censée la contrôler. Le CESE relevait ainsi, en septembre 2020[9], le manque criant d’agents dans les administrations essentielles à la protection de l’environnement, et en particulier de l’Office français de la biodiversité. Ses effectifs et ceux du ministère de la Transition écologique sont parmi les premiers menacés par les réductions budgétaires.
De même, les annonces des annulations des projets à Notre Dame des Landes et d’Europacity ont fait grand bruit ; le président-candidat les a d’ailleurs vantées lors de son déplacement à Fouras, en Charente-Maritime (il est d’ailleurs révélateur que le candidat n’ait pas trouvé grand-chose d’autre à mettre en avant à cette occasion, montrant la superficialité de son engagement environnemental. Ironie du sort, le gouvernement s’escrime d’ailleurs désespérément à trouver un projet justifiant l’urbanisation du triangle de Gonesse (95), que l’abandon d’Europacity avait pourtant permis de préserver. Dans la même veine, après avoir annoncé l’abandon du Terminal 4 de Roissy, qui devait permettre d’augmenter de 40% le trafic de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, on a pu s’étonner de retrouver le même niveau d’augmentation du trafic dans un document administratif un an plus tard[10].
Sur la scène domestique comme sur la scène européenne, la stratégie du président(-candidat) Macron est d’annoncer beaucoup et de faire peu, voire de défaire : c’est ainsi que le gouvernement a annoncé de plus fortes ambitions de baisse des émissions à l’horizon 2030, tout en augmentant le plafond des émissions sur la période 2019-2023[11] ; qu’il a créé le Haut conseil pour le climat pour ne pas en suivre les conseils ; créé un « Conseil de défense écologique » qui ne s’est pas réuni depuis 2020[12] ; annoncé un plan de relance « vert » qui fait la part belle aux énergies fossiles et menace la biodiversité [13] ; annoncé une grande loi climat, et fait une loi dont « les mesures, en général pertinentes, restent souvent limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine »[14].
Ces mesures et beaucoup d’autres témoignent d’un décalage permanent entre ce qui est dit et ce qui est fait. Or, si l’électeur peut malheureusement être trompé, le climat et la biodiversité ne le peuvent pas. Se pose dès lors la question de la responsabilité. Car derrière la précision parfois absconse des textes de loi ou l’abstraction des mots comme « réchauffement climatique » ou « effondrement de la biodiversité » se cachent des réalités bien plus concrètes. Les victimes et sinistrés de la vallée de la Roya (en 2020) ou de la vallée de la Seine (en 2016), des inondations en Belgique (en 2022), des vagues de chaleur désormais quasi-annuelles, et les futures victimes des pénuries d’eau[15] et autres ravages causés par le changement climatique seront toujours là pour nous le rappeler.
Enfin, outre les dommages irréparables que ces actions et inactions causent à l’environnement et aux populations, les conséquences pourraient être non moins irréversibles pour notre démocratie. En prétendant améliorer la situation tout en la dégradant, le greenwashing en politique sape la confiance des citoyens envers leurs représentants. Une cause supplémentaire de défiance dont notre démocratie se passerait bien, à la veille d’une élection marquée par un désintérêt record.
[1] Voir l’action de l’association Pour un réveil écologique.
[2] Voir le récent rapport du Réseau Action Climat sur le bilan environnemental d’Emmanuel Macron.
[3] https://www.actu-environnement.com/ae/news/europe-remise-culture-jachere-reforme-pesticides-repoussee-39317.php4
[4] https://www.actu-environnement.com/ae/news/effondrement-biodiversite-cinq-assocations-attaquent-etat-carence-fautive-38871.php4
[5] Selon Barbara Pompili lors du vote de la loi en août 2021.
[6] Voir Liaison 192, p. 14 : https://fne-idf.fr/PDF/Liaison/192.pdf
[7] Il est notable que cet affaissement de la protection de l’environnement et de la démocratie environnementale dans le droit était déjà à l’œuvre dans la « loi Macron » de 2015.
[8] https://www.sitesetmonuments.org/projet-de-loi-3ds-n-affaiblissons-pas-la-protection-des-allees-d-arbres
[9] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_20_biodiversite.pdf
[10] Voir le projet de Plan de prévention du bruit dans l’environnement présenté par le préfet du Val d’Oise en février 2022.
[11] Dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).
[12] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/conseil-de-defense-ecologique
[13] https://chronik.fr/le-plan-de-relance-est-il-vert.html
[14] CESE 2021
[15] L’agence de l’eau Seine-Normandie pointait, dans son projet de Schéma directeur d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE) 2022-2027, le manque d’eau à venir dès 2040 pour une partie de la France.
- Illustration : Magritte – La voix du sang – Musée Magritte Bruxelles
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