- Les associations Quidam et RED Jeunes organisent un entretien exceptionnel avec Etienne Balibar, le 5 mai prochain à 19h, à la librairie El Ghorba à Nanterre (92). Présentation.
Au lendemain de ce second tour que nous redoutions et que nous avons tant détesté, il s’agit de penser les conflits qui nous traversent dans leur dynamique contradictoire – et prometteuse. Le socle social et politique de la gauche, dont la disparition était proclamée, s’est révélé de nouveau « moteur de l’histoire » dans le contexte d’une mobilisation électorale à la fois hétérogène et sûre d’elle-même.
L’urgence du résultat, la nécessité absolue de battre le Rassemblement National, le choix si difficile mais inévitable d’utiliser le seul bulletin disponible pour ce faire, la projection dans les élections législatives qui viennent, nous font oublier d’insister sur un point : Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont eu très chaud. Peu a manqué pour que ces avatars du néo-libéralisme et du néo-fascisme voient leur fragilité révélée. L’un se reposant sur l’autre, la remise en cause de leur duel confortable apparaît bien comme la donnée principale du moment politique que nous vivons.
Le philosophe Etienne Balibar a appelé « trésor perdu d’une génération » une aspiration révolutionnaire ancrée dans une situation historique, « politisation intégrale », vécue et incorporée. Les transformations des formes d’engagement, l’effondrement des mobilisations traditionnelles, ont constitué un changement de décor radical. Et fait surgir une question que nous définirons comme existentielle : la politique demeure-t-elle la règle des conduites subjectives et des projections collectives dans le vivant ?
La clé de ce renversement semble bien résider dans la possibilité d’une transmission.
De nouveau, une génération semble considérer que « l’heure d’elle-même a sonné ». L’urgence climatique, l’horizon antiraciste, la révolution féministe a constitué un rapport double à la politique, à la fois absolu et tactique. La jeunesse s’est clairement mobilisée, notamment dans ses fractions les plus populaires, pour le programme défendu par Jean-Luc Mélenchon en revendiquant une forme de radicalité. Tout changer, au minimum.
Les critiques à l’égard de cette dynamique (particulièrement et malheureusement venues de la gauche) ont d’ailleurs eu peu de prise, comme si ce qui se passait dépassait les logiques propres du champ politique, comme tournant sur elles-mêmes. Il est extrêmement difficile d’aborder ces phénomènes sans réveiller les disputes terrifiantes qui continuent de secouer la gauche ces temps-ci. Mais nous voulons suggérer que les critiques « injustes » ont discrédité ceux qui les ont formulées mais aussi, sûrement, limité la capacité de l’Union Populaire à mobiliser les abstentionnistes. D’un autre côté, la position de « cible » constituait finalement une forme de garantie : pas dans la (mauvaise) tendance, donc dans la bonne direction. Cette idée trouve son écho dans le soutien du rappeur Rohff qui a pris position pour la première fois de sa longue carrière en partageant la couverture du programme de l’Avenir en commun sur ses réseaux sociaux : « Ya pas le choix, faut voter pour le peuple ». Du matérialisme historique dans le texte.
Là où la culture dite « politique » et « de gauche » imposait une vision focalisée sur les forces sociales et productives et sur leur mobilisation, pour une victoire définitive inévitablement lointaine, la culture politique qui prend progressivement la relève s’ impose comme discipline, comme méthode, et peut-être comme culture un devoir d’ inventaire du présent et une sorte d’ exemplarité d’ attitude : vis-à-vis de la planète, des comportements sexistes potentiels, des discriminations raciales ou sociales… C’ est sans doute une nouvelle grammaire politique qui trouve ici son expression, dans des formes encore en mouvement.
Cette « sensibilité » politique constitue-t-elle pour autant une rupture si profonde avec celle qui l’a précédée ? La lecture proposée ici vise à renouer au contraire les fils en identifiant les éléments de continuité, qui plongent dans une manière de faire de la politique décloisonnée et élargie, jusqu’ à constituer le socle d’une éducation et d’une culture populaires. L’idée qu’une libération personnelle et collective est ainsi possible, grâce à des combats partagés, est une autre dimension de permanence qui témoigne d’une stabilité plus essentielle de la politique comme culture valorisée, qui continuerait à soutenir l’action politique et la création, dans cette action, d’une communauté.
La promesse d’un autre monde réside dans ce processus. Y prendre part, peser sur son orientation, est le mieux que nous avons à faire. Alors nous allons le faire.