Les débats sur le Brexit, et l’idée d’un accord commercial limité, en particulier, restent sous-tendus par l’idée que la crise politique britannique constituerait un cas isolé, alors même que le caractère généralisé de la crise politique européenne se confirme, élection après élection. L’idée d’un front uni présenté par un bloc continental prêt à en découdre tranche avec la complexité des relations réelles entre pays européens, et avec la nécessité commune d’une réorientation économique.
L’IDÉE D’UN ACCORD A MINIMA FAIT ÉCHO À LA CRISE POLITIQUE EUROPÉENNE
Le déblocage des négociations du Brexit a apaisé les craintes quant à l’absence d’accord et à une transition brutale en mars 2019. Si, malgré des débats chaotiques, l’idée d’un partenariat avancé semble se confirmer, la vision qui sous-tend les négociations n’a pas véritablement changé. C’est ainsi que Michel Barnier, négociateur en chef côté européen, a estimé récemment que le Royaume-Uni ne pouvait guère espérer mieux qu’un accord de type CETA (qui lie l’Union européenne au Canada). Le CETA ne fait aucune référence à l’acquis communautaire européen et va même jusqu’à instaurer le recours à des cours arbitrales pour gérer les différends entre entreprises et États.
Ce type d’accord n’a guère de sens pour un ancien État-membre comme le Royaume-Uni qui quittera tout de même l’Union européenne avec l’intégralité des réglementations européennes dans ses bagages et qui partagera, au moment de sa sortie, l’ensemble des standards européens. Le fait que la Commission européenne évoque un type de partenariat qui serait par exemple moins fort que ceux noués avec l’Ukraine ou la Géorgie éclaire la logique plus politique qu’économique de ces négociations.
Les débats sur le Brexit se déroulent dans la perspective où le Royaume-Uni serait un cas isolé en ce qui concerne sa crise populiste. Or, la crise politique européenne peut être vue comme un phénomène généralisé qui dépasse une simple succession d’accidents électoraux allemand, autrichien, tchèque… peut-être bientôt italien. L’extrême droite allemande est entrée massivement au Bundestag, avec quatre-vingt-quatorze députés et la pression qu’elle exerce sur le bloc conservateur en perte de vitesse change fondamentalement la donne politique allemande, dans un sens très défavorable à l’intégration européenne. En Autriche, les conservateurs gouvernent désormais avec l’extrême droite du FPÖ, parti auquel ils ont attribué trois grands ministères régaliens : la Défense, les Affaires Étrangères et l’Intérieur.
UN FRONT EUROPÉEN UNI ?
La situation britannique est plus sensible pour les institutions européennes dans le sens où la crise politique s’y est traduite par une remise en cause directe de l’Union européenne. La crise politique allemande menace peut-être la coopération européenne de façon moins directe en apparence, mais la tendance politique dont elle procède constitue une remise en cause en réalité plus grave que celle du Brexit.
Il est quelque peu paradoxal, d’un point de vue économique, qu’au moment même où les négociations du Brexit commencent à se débloquer, on évoque un partenariat a minima qui ne semble adapté au cas britannique ni économiquement, ni juridiquement. Cette approche renvoie à l’hypothèse selon laquelle il existerait en Europe un front uni contre Londres ; ce qui aurait permis de faire céder la partie britannique et de lui imposer une ardoise de 40 à 45 milliards d’euros. Cette somme repose pourtant surtout sur le paiement continu d’engagements déjà pris, notamment dans le cadre du budget 2014-2020 de l’UE et de divers programmes, et la partie britannique la juge conditionnée au parachèvement d’un accord général sur l’issue du Brexit.
L’horizon d’un accord définitif est encore lointain, puisque les négociations vont maintenant se concentrer sur la question de la phase transitoire.
S’il existe effectivement une certaine coordination entre gouvernements européens dans les négociations, l’approche semble connaître de fortes variations d’un pays à l’autre. Paris se démarque par une approche centrée sur la question de la préservation du projet européen et la volonté d’éviter que le Brexit ne crée un précédent. De cette ligne découle l’idée que l’accord avec le Royaume-Uni doit conduire à un partenariat sensiblement moins étroit que la participation au marché unique (i.e. avec plus de contraintes réglementaires dans un certain nombre de secteurs, notamment dans les services).
Cela sous-tend l’insistance à écarter tout type d’accord qui se rapprocherait du partenariat qui lie la Norvège à l’Union européenne (lequel inclut une participation au marché unique, mais pas à l’union douanière).
ENTRE INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET OBJECTIFS POLITIQUES
L’approche des autorités allemandes est sensiblement différente et, une fois n’est pas coutume si l’on se souvient des négociations sur la zone euro, quelque peu plus conciliante. Si l’on reconnait à Berlin la nécessité que l’accord ne soit pas identique à la participation au marché unique, notamment en ce qui concerne les services financiers en direction de l’UE, on ne semble pas lui privilégier un type d’accord commercial qui nuirait au commerce entre les deux pays. Cette position de refus d’un accord a minima est encore plus marqué en Europe du Nord dans les pays qui ont des liens commerciaux plus forts avec le Royaume-Uni.
Un mauvais accord n’aurait pas de conséquences graves pour l’Allemagne dans son ensemble, malgré son excédent commercial bilatéral d’environ 40 milliards d’euros, mais dans le contexte politique allemand, le gouvernement ne dispose pas d’un mandat pour porter atteinte aux intérêts commerciaux de secteurs économiques nationaux en vue d’objectifs de politique étrangère. La situation est plus marquée pour des pays comme la Belgique et les Pays-Bas qui servent de base de réexportation vers le Royaume-Uni et qui verraient cette activité péricliter en cas d’accord alambiqué.
L’Irlande s’est par ailleurs illustrée au cours de la première phase des négociations sur la question de la frontière avec l’Irlande du Nord, en rejetant la perspective d’une frontière dure. Le Royaume-Uni s’est engagé à ne pas réintroduire de contrôles à la frontière. On ne voit pas dans ce cas comment la Grande-Bretagne pourrait ne pas être en union douanière avec l’UE sans introduire une forme de contrôle avec l’Irlande du Nord ; ce qui serait évidemment inacceptable pour les unionistes, entre autres.
En tout état de cause, une fois obtenue une reconnaissance de cette question cruciale, la République d’Irlande est loin d’avoir une position dure dans les négociations. Elle veut au contraire s’assurer d’un accord poussé qui permette de préserver ses relations commerciales étendues avec le Royaume-Uni.
Aller plus loin : Le Brexit et la frontière irlandaise, deux visions opposées de l’identité
L’horizon d’un accord définitif est encore lointain, puisque les négociations vont maintenant se concentrer sur la question de la phase transitoire. L’accord final ne devrait être conclu qu’au cours de cette phase, après mars 2019. Par ailleurs, les parlementaires les plus hostiles au Brexit parmi les Tories ont obtenu que le Parlement vote sur l’accord ; ce qui va encore davantage dans le sens d’un accord approfondi, en réalité.
Cela pourrait certes permettre à la partie européenne d’exercer une plus grande pression sur certains dossiers, en particulier en ce qui concerne le secteur financier. Nous sommes néanmoins loin d’une situation où le Royaume-Uni serait en proie à une crise politique isolée face à un bloc continental uni et prêt à en découdre, comme cela est souvent sous-entendu.
Le caractère généralisé de la crise politique qui touche l’Europe nous oblige à une approche renouvelée qui devrait se concentrer sur la réorientation du modèle de coopération et de développement européen, davantage que sur une politique de dissuasion et de déni.
© Photo : Flickr
Remi Bourgeot
Les derniers articles par Remi Bourgeot (tout voir)
- Guerre commerciale États-Unis–Union européenne : vers quel rééquilibrage ? - 18 janvier 2019
- Brexit : enlisement technique et manque d’impulsion politique - 21 février 2018
- Davos, entre « partage » et « fractures » - 24 janvier 2018