Le 4 mars dernier, en Italie, se déroulaient les élections générales qui, si elles n’ont pas vu de majorité claire se former, ont été marquées par les bons résultats des partis antisystème. Elles sont une énième répétition de ce que nous observons depuis plusieurs mois en Europe : montée des droites extrêmes et radicales, alliance de ces dernières avec la droite parlementaire, effondrement des partis de gauche, rejet des élites et du système politique actuel.
Les dernières élections en Italie, d’une part, ont été le théâtre du succès du Mouvement 5 Etoiles (M5S), parti inclassable tant son absence de colonne vertébrale idéologique lui permet de satisfaire un électorat large et hétérogène, et, d’autre part, ont vu la Ligue (anciennement Ligue du Nord), allié du FN au sein du Parlement européen, entrer dans une coalition avec le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, et le parti nationaliste Fratelli d’Italia.
UNE COALITION DE DROITE IMPRÉGNÉE PAR L’EXTRÊME DROITE
Sa proximité avec Forza Italia n’est pas nouvelle puisque dès 1994 la Ligue a réalisé une coalition avec Berlusconi, alors même que le parti affichait une ligne régionaliste et favorable à l’indépendance de la Padanie. En outre, elle s’est associée avec Fratelli d’Italia, le parti de Georgia Meloni, dans le cadre des élections municipales de 2016.
La Ligue est née dans les années 1980, dans le Nord prospère de l’Italie, du rejet du Sud, de l’État central et de Rome (dite « Rome la voleuse. ») Elle était, à sa naissance, un parti identitaire et régionaliste. En arrivant à sa tête en 2013, Matteo Salvini a souhaité infléchir cette ligne dans le but de le transformer en un parti nationaliste, eurosceptique et anti-immigration. Contrairement à la Ligue, Fratelli d’Italia se considère comme l’héritier du Mouvement social italien (MSI) de Giorgio Almirante. Cette filiation est soigneusement entretenue, notamment avec la conservation de la flamme tricolore sur le logo du parti qui était l’emblème du MSI.
Fratelli d’Italia défend une doctrine centralisatrice de l’État qui est propre au fascisme mais qui n’est pas la ligne historique de la Ligue. D’ailleurs, le parti de Meloni réalise ses meilleurs scores dans le Sud de l’Italie, en Sicile ainsi qu’à Rome où elle avait obtenu 20 % des suffrages aux dernières élections municipales.
Aller plus loin : « Élections du 4 mars : une Italie fragmentée, et dans l’impasse ».
Il faut également noter la participation de deux partis plus confidentiels dans ces élections. Le premier est CasaPound, un parti qui revendique également l’héritage fasciste et qui est né en 2003 à la suite de l’occupation d’un immeuble à Rome. Il est essentiellement connu pour ses activités sociales (prêts sociaux, distributions alimentaires à destination des populations italiennes délaissées, etc.) en faveur des seuls Italiens. CasaPound arrive à s’enraciner dans les zones délaissées du pays, notamment en périphérie de Rome.
Le second, Forza Nuova, est également un parti qui revendique l’héritage fasciste. Il a été fondé en 1997 par Roberto Fiore et Massimo Morsello, deux militants qui ont fui l’Italie pour échapper à la justice. Il est allié à Fiamma Tricolore, parti fondé par des anciens du MSI.
MULTIPLICATION DES ALLIANCES ENTRE DROITES ET EXTRÊMES DROITES EN EUROPE
L’alliance de la droite et de l’extrême droite en Italie n’a, au niveau européen, fait l’objet d’aucune critique. Cette situation crée un contraste avec celle du début des années 2000 où la coalition autrichienne entre la droite (ÖVP) et l’extrême-droite FPÖ avait poussé l’Union européenne à mettre l’Autriche sous surveillance. En outre, les socialistes autrichiens du SPÖ ont créé un précédent en s’alliant, dans le land autrichien de Burgenland, avec le FPÖ en 2015.
Mais l’Autriche n’est plus un cas unique. En Slovaquie, le SMER-SD de Robert Fico siège au sein du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, alors même que Fico a construit une alliance avec un parti d’extrême droite, le Parti national slovaque (SNS) en 2016, auquel il avait confié deux ministères (Éducation et Défense). Il avait conduit la même politique entre 2006 et 2010 mais avait été exclu à ce moment-là du Parti socialiste européen. La même situation, en 2016, n’a pas conduit aux mêmes condamnations.
Ce genre de coalition tend à se banaliser en Europe et il y a une forme d’acceptation de ces partis. Comment dénoncer un parti jugé non démocratique quand il a été élu de manière démocratique ?
Deux raisons expliquent cette situation. La première est que ce genre de coalition tend à se banaliser en Europe et qu’il y a une forme d’acceptation de ces partis. Comment dénoncer un parti jugé non démocratique quand il a été élu de manière démocratique ?
La deuxième raison est que ces partis d’extrême droite policent tous leurs discours. Le SNS était représenté en 2016 par un avocat, Andrej Danko, qui bénéficie d’un réseau d’influence respecté et qui avait pris soin de conduire une campagne sans aucun dérapage. Il a rénové l’image d’un parti difficile à assumer, comme l’a fait Heinz-Christian Strache avec le FPÖ.
Ce type d’alliances est assez courant dans le Nord de l’Europe. En Finlande, les Vrais Finlandais ont été membres du gouvernement de 2015 à 2017. Toutefois, leurs difficultés à mettre en œuvre le programme a conduit à leur chute aux élections municipales de 2017 et à une scission au sein du parti.
L’aile dure est restée dans ce dernier, l’aile la plus modérée a fondé le parti dit « Réforme bleue » et est restée au gouvernement. En Norvège, le Parti du Progrès s’est allié avec le parti conservateur en 2013. Par ailleurs, au Danemark, le parti populaire danois a soutenu le gouvernement sans en faire partie. Le Parti de la Liberté a adopté la même stratégie aux Pays-Bas en 2010. L’idée de ces deux derniers partis est de peser sur certaines lois, notamment en matière d’immigration, sans être dans le gouvernement.
REMISE EN CAUSE CROISSANTE DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
L’Italie n’est pas le premier pays dont les électeurs remettent ouvertement en cause la construction européenne. L’Union européenne devait amener la paix entre les peuples et la prospérité. S’il n’y a plus de guerre, le rejet de l’Autre par les inquiétudes qu’il suscite perdure et la prospérité n’est pas celle espérée. De nombreux citoyens européens connaissent une situation de stagnation sociale, voire de régression pour certains, avec des perspectives réduites pour tous les exclus de la mondialisation.
Avec la construction européenne, les nations ont confié une partie de leur souveraineté à une entité supranationale et à ses institutions. Mais de plus en plus de citoyens ont le sentiment que le système européen a été conçu par des dirigeants politiques qui ont perdu tout contact avec le terrain et qui soutiennent des mécanismes bons pour leur intérêt personnel mais nocif pour l’intérêt général. Ils souhaitent un retour en force des nations qui sont pressenties comme les seules entités capables d’assurer leur bien-être.
Les prochaines élections européennes auront lieu en 2019. Les équilibres actuels vont bouger, du fait des résultats des derniers scrutins nationaux.
Par ailleurs, un autre élément qui doit inquiéter est la remise en cause croissante de la démocratie libérale. Si, en soi, ce n’est pas une nouveauté, la dimension massive est assez inédite depuis les années 1930. Le mouvement a été initié par les pays du « Groupe de Visegrad » à savoir la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, etc., qui ne se reconnaissent plus dans les valeurs démocratiques des pays de l’Ouest de l’Europe.
Marqués par la corruption forte dans les années post-communistes, ces pays affichent une volonté d’être « maîtres chez eux » et prônent un retour à une Europe des nations avec une pression limitée des institutions européennes.
Dans ce contexte, le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, pourrait jouer un rôle d’arbitre entre l’Est et l’Ouest. S’il a écarté que son pays rejoigne le « Groupe de Visegrad », il ne faut pas oublier qu’en 2015, au moment de l’afflux massif de réfugiés, il s’était montré, en tant que ministre des Affaires étrangères, plus proche du hongrois Viktor Orbán que l’allemande Angela Merkel.
Les prochaines élections européennes auront lieu en 2019. Les équilibres actuels vont bouger, du fait des résultats des derniers scrutins nationaux. Le bloc d’extrême droite va se renforcer, celui des autres eurosceptiques aussi et la question qui reste en suspens est de savoir quelles alliances vont se construire. Actuellement, l’Union européenne bénéficie des difficiles collaborations entre ces différents partis. Actuellement…
© Photos : Pixabay et Max Pixel
Les derniers articles par Anaïs Voy-Gillis (tout voir)
- De la désindustrialisation à la renaissance industrielle ?* - 3 octobre 2021
- Crise du Covid-19 : fin du projet d’Union européenne ? - 23 avril 2020
- Stratégie industrielle européenne : de nouvelles perspectives ? - 14 mars 2020