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Nicolas Sarkozy, président de la « République du soupçon »

« Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes mauvais. » Nicolas Sarkozy est-il un grand homme au sens où l’entend la maxime de Lord Acton ? À défaut de réponse définitive, le personnage symbolise incontestablement l’ère du soupçon dans laquelle notre « république démocratique » se retrouve piégée. 

Le 21 mars 2017 fera date dans cette chronique singulière mêlant le politique et le judiciaire, si caractéristique d’une Ve République qui vit de plus en plus au rythme de « scandales » et autres « affaires ». À l’issue de sa garde à vue dans les locaux de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) à Nanterre, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a été mis en examen, notamment; pour « corruption active et passive » et « détournement de fonds publics », dans le cadre de l’enquête sur des soupçons de financement libyen de sa campagne électorale de 2007. Or, dans la nuit du 1er au 2 juillet 2014, ce dernier avait déjà été placé en garde à vue pour une autre affaire, avant d’être déféré devant les juges qui lui alors ont signifié sa mise en examen pour « corruption active »…

LE SOUPÇON DE CORRUPTION NOURRIT LA DÉFIANCE CITOYENNE

Non seulement Nicolas Sarkozy demeure présumé innocent, mais il assure n’avoir « jamais trahi la confiance des Français. »  Pourtant, sa mise en cause dans une série d’enquêtes et de procédures judiciaires contribue à nourrir la présomption de corruption qui pèse sur les responsables politiques ; sa situation judiciaire, les faits pour lesquels il est poursuivi et « le tragique de répétition » contribuent à saper un peu plus la confiance des citoyens dans la probité de leurs propres représentants. Toutes les enquêtes publiées par le Cevipof depuis la création du « baromètre de la confiance » en 2009 témoignent d’une même tendance structurelle : la confiance dans les institutions démocratiques et celles et ceux qui les représentent est pour le moins dégradée.

Une crise de confiance, voire une défiance, nourrie elle-même par une présomption de corruption des responsables politiques. Les Français jugent majoritairement que les élu(e)s et les dirigeant(e)s politiques sont « plutôt corrompu(e)s », perception qui n’a cessé de se renforcer durant ces trente dernières années. La proportion de Français qui estiment que les membres du personnel politique sont (plutôt) corrompus croît sans discontinuer. Elle a pratiquement doublé entre 1977 (1) (38 %) et 2018 (2) (71 %). Dans un sondage publié en pleine campagne présidentielle de 2017 (3) – marquée par les « affaires Fillon » -, les Français considéraient à 85 % que la plupart des hommes et femmes politiques sont d’abord guidé(e)s par leurs intérêts personnels…

La restauration de la confiance dans la République démocratique suppose une réponse d’ensemble à un problème de nature systémique, plutôt qu’une accumulation de « lois de moralisation ».

Même si l’ampleur du phénomène de corruption politique est difficile à mesurer, il semble inhérent à toute société politique. Dans le cadre d’une République démocratique, la question se pose néanmoins avec une acuité particulière, en ce sens où elle heurte frontalement les fondements axiologiques de notre contrat social.

Les pratiques déviantes et autres comportements délinquants de nos responsables politiques participent à la démythification de la « République » et affectent l’adhésion collective au projet politico-moral qu’elle sous-tend et qui se voulait en rupture avec les vices de la corruption…

Le dévouement à la chose publique ou à la « vertu civique » est un principe structurel d’un État républicain, dans lequel la société cultive la passion pour l’égalité devant la loi. Or, la révélation des « affaires » donne cette impression que la politique est « par nature » un espace de compromission et d’arrangements occultes, où les abus de fonction et de « la corruption » sont le prix du système politique.

LE SENTIMENT D’IMPUNITÉ : CAUSE ENDÉMIQUE DE LA CORRUPTION POLITIQUE

Comment en est-on arrivé là ? L’exemplarité n’est pas innée, la confiance non plus. Il importe d’aller au-delà de l’analyse casuistique des différentes affaires qui rythment notre vie politico-médiatique. La corruption politique et le non-respect de la probité publique ne sauraient être ramenés à des cas isolés : le malaise est plus profond, car de telles transgressions ont des racines culturelles et structurelles.

La restauration de la confiance dans la République démocratique suppose une réponse d’ensemble à un problème de nature systémique, plutôt qu’une accumulation de « lois de moralisation ». Or, pour l’heure, ces lois de moralisation ont été adoptées dans l’urgence, ne permettant pas le développement d’une réflexion approfondie sur les causes endémiques de la corruption politique.

On pense notamment au sentiment d’impunité. Celui-ci nourrit des pratiques/mœurs politiques qui s’inscrivent en dehors de la légalité et de l’éthique : les logiques de réseaux, clientélistes ou claniques, les confusions/conflits des intérêts publics et privés, la culture de l’entre soi entretiennent l’opacité, le culte du secret, ainsi qu’une forme de « solidarité » (au sein) de (la) classe (politique).

Béligh Nabli vient de publier La République du soupçon, aux éditions du Cerf, mars 2018, 16 euros, 192 pages.

© Photo : Flickr

[1] Frédéric MONIER, Corruption et politique : rien de nouveau?, Armand Colin, 2011.

[2] Institut Opinionway pour le Cevipof, Baromètre de la confiance en politique / Vague 9 – janvier 2018.

[3] Sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France, publié le 5 avril 2017 et réalisé les 30 et 31 mars par internet auprès d’un échantillon de 1 005 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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