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Focus sur la stratégie politique du Hezbollah

La genèse du Hezbollah – « Parti de Dieu » – souligne la centralité et la primauté de son appareil militaire, sur ce qui deviendra son « aile politique ». Une réalité encore prégnante dans l’équilibre interne du mouvement politico-militaire libanais. Une hybridité qui rend son analyse d’autant plus difficile. L’autre difficulté réside dans la relation de l’entité chiite avec la puissance iranienne, dont il convient de relativiser le lien organique et idéologique. Enfin, des siècles quiétistes aux épisodes révolutionnaires en passant par la période mystique des Assassins, le Hezbollah contient en lui toute l’histoire du chiisme. L’herméticité du parti, l’exigence impérative d’intégrité de ses membres, l’omniprésence d’un discours tiers-mondiste et anti-impérialiste; tous les fondements du mouvement sont consubstantiels à l’historicité du chiisme.

Après les affres de la guerre civile libanaise, le mouvement chiite a pu se focaliser pleinement sur ses objectifs internes, à savoir : s’intégrer dans une société libanaise fragmentée par le biais d’un processus électoral dès 1992, asseoir son leadership dans les régions chiites via un maillage associatif qui pallie les déficiences de l’État libanais, et enfin essayer de normaliser ses relations avec les autres communautés.

D’un point de vue extérieur, le Hezbollah s’est adapté à la conjoncture pour faire valoir ses droits et sa reconnaissance à l’échelle régionale. Il ne dément aucunement son attache fraternelle avec Téhéran. Les liens sont affichés et avérés. L’Iran agit de concert avec le Hezbollah pour étendre son réseau d’influence au Levant. La dialectique du parti fait écho aux discours iraniens. Ainsi, la hiérarchisation des menaces permet de mieux déceler les objectifs du camp chiite. La lutte contre « l’ennemi sioniste » s’avère être le fer de lance d’une volonté émancipatrice à l’échelle de la région. Nonobstant les rivalités confessionnelles, cette lutte se veut fédératrice. Avoir le « passeport palestinien » outrepasse de loin les barrières étatiques et idéologiques au Levant. De manière concomitante, Téhéran et les cadres du parti chiite rappellent l’importance de cette lutte pour l’ensemble des populations. Si la sémantique s’adapte à la réalité des peuples de la région, la Palestine a vocation à jouer un rôle fédérateur. De surcroît, pour entrevoir un affranchissement idéologique et économique des pays de la région, l’agenda politique du Hezbollah est également dominé par la lutte contre ce qui est identifié comme des « velléités impérialistes de Washington ». Ici, le Hezbollah s’avère être plus qu’un  pion dans la politique pan-chiite de Téhéran.

C’est un paradigme qui reprend les thèmes du panarabisme des années 50. Les similitudes et les convergences d’intérêts laissent à croire que le mouvement chiite se mue en un parangon des nostalgiques de l’époque nassérienne. La victoire en 2006 a insufflé un espoir nouveau dans la région, un souffle catalyseur et fédérateur. La lutte contre « l’ennemi/entité sioniste » reste une cause populaire. Suite à cette « victoire divine », le Hezbollah était devenu l’émanation des aspirations panarabes. Les « rues arabes », de Damas à Alger en passant par Khartoum, ont été le baromètre de la valorisation politique et symbolique du mouvement, y compris dans le monde sunnite. Hassan Nasrallah devenait, le temps d’une guerre, le nouveau Nasser. Culte de la personnalité et héroïsation des combattants, le Hezbollah était au paroxysme de sa gloire.

Néanmoins, pour certains ils demeuraient un parti chiite qui défendait les intérêts iraniens. Les mêmes qui luttaient contre le nationalisme arabe, luttent aujourd’hui contre l’influence régionale du Hezbollah. La résistance contre le sionisme et contre l’intégrisme sunnite, théorisée par le fondateur du parti Baas Michel Aflak, étaient les deux mamelles de la politique extérieure panarabe. Aujourd’hui ces deux thématiques sont les objectifs vitaux du mouvement. Contrairement à la lecture confessionnelle imposée par l’Arabie Saoudite, Hassan Nasrallah tend à déconfessionnaliser les actions entreprises par son parti. Par pragmatisme et surtout par logique géopolitique, le Hezbollah cristallise les attentes de plusieurs déçus du monde arabe. Les socialistes déchus, les chrétiens persécutés, les partisans du nationalisme arabe et tous les sympathisants de la cause palestinienne soutiennent officiellement ou officieusement le parti chiite. Cependant, son action en Syrie a terni quelque peu son image de résistance. Des chiites qui s’opposent à des sunnites. La presse dominante, aux ordres de Riyad et des chancelleries occidentales, avait enfin son écran de fumée pour incriminer un peu plus le Hezbollah. En effet, ses victoires militaires ne se sont pas soldées par des scènes de liesse dans le monde arabe. La confrontation avec Israël demeure le seul sujet qui rassemble toute une région. Aujourd’hui plus que jamais, les tensions restent vives avec Tsahal. En raison de l’accalmie latente autour de la question d’Idlib, plusieurs contingents du Hezbollah retournent au Liban, ce qui inquiète au plus haut point les autorités de Tel-Aviv. En effet, depuis début décembre, l’armée israélienne a lancé l’opération « Bouclier du Nord » pour détruire tous les tunnels transfrontaliers du parti chiite. Ces manœuvres militaires cherchent ni plus ni moins à annihiler toutes les possibilités d’actions offensive de la part du Hezbollah. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou incrimine une fois de plus Beyrouth d’être à la solde du parti chiite. Il n’hésite pas non plus, à menacer de représailles l’intégralité du Liban en cas de conflit. De son côté, le Général Aoun, président de la République libanaise et allié du Hezbollah, affirme que l’armée du Liban protégera ses frontières.

Le mouvement chiite constitue ainsi un syncrétisme, un élément fédérateur qui dépasse les frontières nationales en essayant de gommer les divergences initiales. Lorsque Jacques Benoist-Méchin avait demandé à Nasser « Vous pensez créer un Empire panarabe. N’est-ce pas une forme d’impérialisme ? » Le Raïs rétorqua « Du tout, je ne veux pas forger un Empire, je veux amener une nation à prendre conscience d’elle-même (…) je ne veux rien conquérir d’étranger à la nation arabe. Je veux en rassembler les membres qui, une fois rassemblés, n’auront pas besoin d’un espace vital supplémentaire… Je ne suis pas un conquérant »1 . Le mouvement chiite s’inscrit dans cette démarche en reprenant les desseins areligieux de la pensée nassérienne. La composante du Hezbollah est majoritairement chiite avec les influences de Téhéran, mais sa rhétorique est portée par une idéologie panarabe qui dépasse l’axe du temps.

1 – Jacques Benoist-Méchin, Un printemps arabe, Paris, Albin Michel, 1959.

– Par Alexandre Aoun, diplômé de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

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