Notre diplomatie ne saurait faire fi ni des circonstances de l' »élection » du président algérien, ni de la défiance totale dont il fait l’objet de la part de son propre peuple. Après avoir prêté serment lors d’une cérémonie officielle à Alger, le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune succède à Abdelaziz Bouteflika, dont il fut le Premier ministre. Par ailleurs, la disparition soudaine de l’homme fort du régime, le général Gaïd Salah, remplacé au pied levé par le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Saïd Chengriha, désigné par Abdelmajid Tebounne, ouvre une recomposition interne qui favoriserait le nouveau président. Pour autant, notre diplomatie ne saurait faire fi ni des circonstances de son élection, ni de la défiance totale du peuple algérien à l’égard de celui qui incarne désormais un système corrompu et sclérosé.
Porté par un simulacre de scrutin démocratique précédé d’une parodie de campagne, l’ancien premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune, aurait été élu dès le premier tour avec 58% des voix grâce à un taux de participation officielle de 39,9%. L’usage du conditionnel est de mise compte-tenu de l’absence totale d’impartialité dans la tenue de ce scrutin et de contrôle international, la régularité du scrutin est donc en cause. Succédant à une série de procès condamnant pour corruption d’anciens hiérarques du régime, cette mascarade démocratique ne saurait faire illusion, ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord la nature même du Hirak (mise en mouvement) qui bat le pavé d’Alger, de Tizi-Ouzou, d’Oran, de Constantine vendredi après vendredi, sans que l’intensité des manifestations ne baisse. Or, comme tout processus révolutionnaire, ce mouvement, non-violent, jeune et féminin, brasse l’identité plurielle du peuple algérien que le régime en place s’obstine à nier depuis l’indépendance en 1962. Ces deux éléments qui ont contribué à abattre le mur de la peur hérité de la décennie sanglante et instrumentalisé par l’Etat algérien, font qu’aucun terrain d’entente ne peut être trouvé avec un système clanique que les résultats délégitiment sur tous les plans.
La nature de ce système, et c’est la deuxième raison, qui n’a fait que se relégitimer en interne, ne semble envisager autre chose qu’un vague compromis avec le Hirak. Et pour cause, le pari du général Gaïd Salah repose originellement sur le déni, le déni d’un mouvement qui embrasse le peuple dans sa diversité, le déni de réalité consistant à gouverner avec des institutions dont la vacuité est consubstantielle au régime. Or, compte-tenu de l’ampleur du processus révolutionnaire en cours, seule une transition, avec une plate-forme aboutissant à une constituante en bonne et due forme, est envisageable. De fait, le régime agonisant ne peut avoir d’autre rôle que de faire en sorte que ce processus ait lieu.
Eu égard aux relations complexes que la France entretient avec Alger, ou plutôt avec le régime, Paris n’a aucun intérêt à reconnaître la victoire d’Abdelmadjid Tebboune, là encore pour plusieurs raisons. La première est formelle et repose sur l’irrégularité du scrutin, celui-ci ne peut tenir de prétexte à une reconnaissance ou à un quelconque blanc-seing. La déclaration du Président de la République, Emmanuel Macron, qui a « pris note » de l’élection d’Abdelmadjid Tebboune va dans ce sens : « Je souhaite simplement que ces aspirations exprimées par le peuple algérien trouvent une réponse dans le dialogue qui doit s’ouvrir entre les autorités et la population (…) Il appartient aux Algériens d’en trouver les voies et moyens dans le cadre d’un véritable dialogue démocratique et je leur dis, avec respect et amitié, que dans ce moment crucial de leur histoire, la France se tient à leurs côtés. » Les réactions de l’Union européenne et de bien d’autres capitales devraient être de la même teneur.
Jusque-là, le rapport de la France au monde est resté guidé par la realpolitik, un mode de fonctionnement consistant à ajuster les relations de deux États à l’aune de leurs seuls intérêts. Cette conception courtermiste et étroite appréhende avec beaucoup de difficultés les tendances lourdes façonnant les relations internationales et tend à ignorer les aspirations des peuples. Qui peut dire aujourd’hui que ce qui se passe en France ne concerne en rien les pays européens, les pays d’Afrique du Nord ou subsaharienne et inversement ? Pour avoir évacué la question des valeurs au nom d’une certaine realpolitik, la France n’a pas su accompagner les premiers Réveils arabes et soutenir par exemple les démocrates en Tunisie alors que près de 721 000 d’entre eux résident en France, et par excès inverse, a lamentablement échoué en Libye.
Afin de ne pas reproduire ces mêmes erreurs, la France doit donc accompagner ce mouvement populaire, très semblable à la révolution tunisienne de 2011, aspirant à un cadre démocratique sincère et à un Etat de droit. Il n’est évidemment pas question d’ingérence dans les affaires algériennes, mais d’interagir avec les aspirations populaire d’une société avec laquelle la France partage une histoire, des liens économiques, intellectuels et migratoires, et dont deux millions de ressortissants ont un pied ici et un autre là-bas. Dans un monde globalisé où la question identitaire anime bon nombre de crises, la question des valeurs a vu son importance s’accroître et devient fondamentale pour la France dont l’image est traditionnellement associée aux droits de l’homme et la voix souvent considérée comme alternative au sein des enceintes internationales. C’est donc au nom des valeurs, de sociétés civiles qui interagissent, d’une histoire et d’un avenir communs, que la France doit se positionner. La France et l’Algérie, avec d’autres, ont la Méditerranée en partage. L’histoire de celle-ci ne peut s’écrire sans ces deux grands pays.
William Leday
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