Rencontre avec Lyes Hakem, Président du RCD Europe (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), pour évoquer les enjeux de l’histoire et de la mémoire franco-algériennes, ainsi que l’avenir politique et le développement économique de l’Algérie. Une interview largement teintée de pessimisme, du fait de la corruption et du conservatisme politiques algériens.
Le Président de la République a effectué, le mercredi 6 décembre, un déplacement en Algérie. Au regard du soutien plus ou moins affiché d’Alger au candidat d’En marche lors de la présidentielle française, ce déplacement n’est-il finalement pas trop tardif ? Est-ce la fin de l’axe privilégié que le Président Hollande s’était attaché à bâtir?
En premier lieu, je note que le président français est jeune, en phase avec un monde en mouvement, et, par-dessus tout, légitimement élu par une majorité de Français en toute transparence. Faut-il pour autant penser que ce déplacement tardif exprime un moindre intérêt de la France pour l’Algérie ? Non, je pense que l’état de santé du chef de l’État algérien n’a pas permis jusque-là de le recevoir plus tôt… C’est dire si sa santé pèse sur les affaires de l’État. Je rappelle qu’il ne s’est pas adressé publiquement au peuple algérien depuis 2012 ! Dans quel régime réputé démocratique voit-on cela ?
Néanmoins, même si le soutien des autorités algériennes au candidat d’En Marche a été clair dès le début, on note de la part d’Emmanuel Macron la volonté de poser la relation de façon différente. Contrairement à lui, François Hollande entretenait une relation étroite, à la fois par l’internationale socialiste et à titre personnel, avec les hommes forts du FLN, y compris d’anciens présidents comme Ben Bella qu’il avait rencontré lors de la campagne présidentielle de 2012.
Pour ma part, j’ai le sentiment que le nouveau président de la République française ne fera pas fondamentalement évoluer cette relation; d’ailleurs, le discours a posé les jalons d’une continuité. Le système FLN pilote totalement cette relation de façon non transparente, notamment sur le plan économique et commercial.
La dimension mémorielle reste à la fois ce qui fait le sel et l’élément principal de crispation des relations franco-algériennes. Missionné par François Hollande, l’historien Benjamin Stora a fait un travail considérable pour une politique mémorielle à la mesure des liens entre les deux pays. Comment est-elle perçue par les Algériens?
Les Algériens sentent une sincère volonté française de passer à autre chose. Néanmoins, le régime algérien continue de diffuser un récit national tronqué, dans lequel les parts d’ombre restent nombreuses. Certaines dates-clés font l’objet de manipulation comme la question de la fin du conflit, l’assimilation de ma formation politique, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), comme étant un parti de l’étranger, participe de ce registre.
L’histoire récente de l’Algérie est falsifiée du côté algérien afin de nourrir l’idéologie du FLN.
Il est évident que notre histoire commune doit être écrite à nouveau, sans passion, par des historiens des deux côtés de la Méditerranée. Il y a, en revanche, un préalable prépondérant qui consiste en une volonté politique réelle d’écrire ces pages afin de pouvoir, enfin, les tourner et ainsi engager la construction d’un avenir qui ne peut être que commun. Grâce au changement générationnel au sein de la classe politique française, cette volonté est affichée et elle est vraisemblablement sincère.
C’est une autre histoire du côté algérien, si je puis dire. En effet, les dirigeants ont été partis prenantes de ce conflit. Ils parlent toujours de légitimité révolutionnaire afin de conserver le pouvoir. En d’autres termes, l’histoire récente de l’Algérie est falsifiée du côté algérien afin de nourrir l’idéologie du FLN.
Un rapport de l’Agence internationale de l’énergie rappelle que les recettes pétrolières et gazières de l’Algérie sont passées de 51,4 milliards de dollars en 2011 à 18,3 milliards de dollars en 2016. La dépendance aux énergies fossiles est autant une force, par les recettes qu’elle dégage, qu’un handicap, puisque la puissance publique y est adossée. Comment voyez-vous les années à venir ? Quel type de transition économique l’Algérie pourrait-elle emprunter pour sortir de ce qui apparaît comme une impasse?
1000 milliards de recettes pétrolières sont partis en fumée en quelques années, à l’exception de quelque 10 milliards pour acheter la paix sociale et quelques autres pour les infrastructures. Nous avons tiré la sonnette d’alarme dès 2008. Vous imaginez que le prix du kilomètre de l’autoroute qui traverse le pays d’Est en Ouest est le plus cher au monde !
Au même moment, nos voisins marocains ont réalisé une infrastructure similaire en un temps record avec des moyens bien plus limités. Il y a évidemment un système de corruption généralisée qui gangrène l’appareil d’État et les entreprises avec de véritables scandales d’État, comme la Sonatrach 1 ou la Sonatrach 2 (selon un système classique de rétro-commissions…). L’avenir est noir car aucun investissement n’est orienté sur l’énergie verte, l’agro-alimentaire (avec le blocage d’un gérant comme Cevital), alors que les moyens sont là. Il y a plus de 60 fonds spéciaux sous la responsabilité du chef de l’État qui ne sont pas contrôlés par le parlement. En résumé, c’est un euphémisme de dire que la situation ne prête pas à l’optimisme.
En novembre, le Premier ministre a évoqué publiquement l’incapacité de l’État à honorer les salaires des fonctionnaires sans recourir à un financement « non-conventionnel ». C’est une belle formule pour parler de la planche à billets ! Il n’y a pas besoin d’être un grand économiste pour savoir que cela se traduira par une inflation dont les effets commencent déjà à apparaître sur les produits de grande consommation. Sachez que le prix de la baguette de pain est passé de 10 à 15 dinars il y a de cela quelques jours.
Après quasi deux décennies de mandats et en dépit d’un contexte économique favorable, le président Abdelaziz Bouteflika ne semble pas avoir transformé la société algérienne. Comment les jeunes Algériens – les moins de 30 sont majoritaires – vivent-il cette situation? Quels changements espèrent-ils ? Quelles sont leurs aspirations ?
La jeunesse algérienne est seule face à elle-même et vit la situation comme une impasse. Bien souvent, le jeune Algérien préfère prendre le risque de se noyer en traversant la Méditerranée que de rester sur le sol national où l’inactivité le conduit soit à l’alcoolisme, soit à l’intégrisme. La crise migratoire touche aussi cette jeunesse de plein fouet.
Elle n’a plus confiance en ses dirigeants depuis longtemps. Elle aspire à un changement de régime. Il y a, cependant, des jeunes qui se battent quotidiennement, notamment au sein du RCD ou au sein d’organisations le plus souvent ostracisées. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour leur rendre un hommage appuyé pour leur courage et leur dévouement.
En qualité de responsable d’un grand parti d’opposition, comment envisagez-vous une transition politique en Algérie ? Vous militez en faveur d’une plus grande autonomie des régions, cela nécessite une réforme institutionnelle d’envergure, quelles en seraient les grandes lignes ?
Il faut que l’Algérie retrouve l’esprit et les principes du Congrès de la Soummam, que l’on peut comparer au Conseil National de la Résistance. Sans un État unitaire régionalisé et une gouvernance locale, l’Algérie continuera à connaître des problèmes de gouvernance découlant de sa superficie et de ses identités locales. L’Algérie n’est pas une nation unitaire comme le FLN a longtemps voulu le faire croire. Plutôt que de mettre en avant l’UMA (Union du Maghreb Arabe) et la ligue arabe, au RCD, nous préférerons militer en faveur d’une fédération des pays nord-africains. Les échanges intra-maghrébins ne représentent que 2 % des échanges totaux entre ces pays. Les potentialités sont énormes.
Vous vivez en France depuis bientôt 15 ans, vous connaissez donc bien la vie publique française. Comment analysez-vous les grandes ruptures qui bouleversent l’échiquier politique de notre pays ?
Pour faire écho à vos précédentes questions, le jour où le jeune Algérien sera convaincu qu’un individu de moins de 40 ans, comme c’est le cas en France et ailleurs, pourra prendre démocratiquement le pouvoir pour insuffler une nouvelle orientation à notre pays, les choses commenceront à évoluer. Les grands bouleversements que nous avons constatés au sein de la classe politique française sont l’œuvre d’un peuple qui a exprimé une volonté de changement de paradigme. Les clivages traditionnels ont, semble-t-il, laissé la place à une nouvelle façon de faire de la politique. En cela, tous les peuples se ressemblent. La grande différence consiste en la possibilité, ou non, qui leur est donnée d’être acteurs de leur destin par l’intermédiaire d’élections libres et transparentes. Force est de constater qu’en Algérie, nous sommes encore loin du compte.
© Photo : Pixabay
William Leday
Les derniers articles par William Leday (tout voir)
- E. Macron, candidat de la discorde civile et de la France censitaire ? - 6 janvier 2022
- France, Algérie, Afrique : le poids géopolitique de la question mémorielle - 13 octobre 2021
- Un an après, le confinement - 18 mars 2021