Ce dimanche 10 décembre, Laurent Wauquiez a été élu à la présidence du parti Les Républicains (LR). Obtenant, dès le premier tour, près de 75 % des voix des presque 100 000 militants qui se sont exprimés (moins d’un inscrit sur deux), il a largement devancé Florence Portelli et Maël de Calan. Avec Wauquiez, LR assume donc le choix d’une droite dure.
La victoire de Laurent Wauquiez ne relève pas du phénomène spontané ou isolé : elle s’inscrit dans un mouvement de fond qui affecte l’ensemble de l’échiquier politique national et européen (voire au-delà). Le discours du repli national s’affirme dans un monde globalisé, dont la dynamique à la fois dissout les cadres anciens et traditionnels et nourrit une « réaction conservatrice ».
L’effacement des frontières, le démembrement des territoires, le délitement des liens sociaux, l’effondrement des référentiels idéologiques nourrissent une « panique morale », selon l’expression de Ruwen Ogien. La société française n’échappe pas à ce puissant sentiment de peur de l’absorption de l’irréductible spécificité du village français dans le village global.
LA RÉAFFIRMATION HISTORIQUE D’UNE DROITE IDENTITAIRE
En France, la thématique de « l’identité nationale » a rejailli avec force dans les années 1980, comme l’a montré Vincent Martigny dans on ouvrage Dire la France. Culture(s) et identités nationales, 1981-1995, paru en 2016) L’identité nationale a été mobilisée à la fois par les socialistes (pour défendre la culture française face à l’impérialisme culturel américain), avant d’être récupérée et instrumentalisée par l’extrême droite, puis la droite parlementaire, non plus au nom de la diversité culturelle, mais pour mieux justifier le discours anti-immigration qui prendra ensuite la forme d’un discours contre l’islam.
Nicolas Sarkozy porte ici une lourde responsabilité historique dans la réhabilitation de la thématique de l’identité nationale. C’est sous son leadership que la droite a progressivement (ré)intégré ce discours dans son propre corpus idéologique, lors d’une campagne présidentielle de 2007 marquée par le triptyque immigration-identité-intégration : « Je continuerai à parler de notre identité nationale car je crois que l’identité, pour un peuple, c’est quelque chose d’essentiel » (meeting à la Martinique en mars 2007) ; « La France est un pays ouvert, mais ceux que nous accueillons doivent prendre en compte nos valeurs. (…) On ne peut pas parler d’intégration sans dire ce que nous sommes, ce qu’est la France » (meeting à Caen, le 10 mars 2007).
Les amalgames entre musulmans et islamistes, entre islam et terrorisme, entre croyants et fondamentalistes, s’encombrent de moins en moins de précautions oratoires. L’ennemi identitaire est clairement désigné, il est intérieur, il est en France. Nicolas Sarkozy reprend le slogan que d’autres à l’extrême droite proféraient avant lui : « La France, on l’aime ou on la quitte. » Et d’ajouter : « Mais, quand on habite en France, on respecte ses règles : on n’est pas polygames, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement » (discours du 7 février 2007, à Toulon).
Dès le soir de sa victoire au second tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy annonce qu’il veut « remettre à l’honneur la nation et l’identité nationale », qu’il entend « rendre aux Français la fierté d’être français. » Si la stratégie du chef de l’État vise à conquérir un espace politique occupé par l’extrême droite (et à « siphonner » l’électorat du FN), la création en mai 2007 d’un ministère accolant dans son intitulé les termes « immigration », « intégration » et « identité nationale » est un acte historique et symbolique fort, un acte de cristallisation institutionnelle de l’avènement d’une République identitaire qui tente de se définir par la stigmatisation de certains de ses propres citoyens.
Cette consécration institutionnelle ne met pas fin à la dynamique idéologique et politique, au contraire, elle l’entretient. Ainsi, à mi-mandat, Nicolas Sarkozy juge « nécessaire » l’ouverture d’un débat sur l’identité nationale lors d’un discours prononcé à La Chappelle-en-Vercors, haut lieu de la Résistance. Il sera lancé par l’ancien secrétaire national du PS et député socialiste, Éric Besson, ministre en charge de l’Identité nationale et successeur de Brice Hortefeux (auteur du fameux apophtegme : « Quand y’en a un, ça va, c’est quand y’en a plusieurs qu’il y a des problèmes. »)
La reconfiguration de l’espace politique provoquée par « La République En Marche ! » a conforté Wauquiez dans une dérive droitière qui l’inscrit dans le sillage d’un FN tendance Maréchal-Le Pen.
Sa circulaire du 2 novembre 2009 ordonne aux préfets et sous-préfets d’organiser et d’animer des débats locaux dans chaque arrondissement du territoire. Ponctué de dérapages xénophobes au sujet de l’islam et des minorités ethno-culturelles, le « débat » a tourné court, clos au bout de trois mois, sans avoir pu dégager une quelconque définition positive de l’« identité nationale » : ce qu’elle est substantiellement. Le ministère de l’Identité nationale est supprimé en novembre 2010 lors du remaniement gouvernemental, quand l’idéologie identitaire a continué, elle, d’accaparer le discours politiques de la droite.
Ainsi, la victoire écrasante de François Fillon à la primaire de l’élection présidentielle de 2017 s’est appuyée sur un discours identitaire d’essence catholique, conservatrice et provinciale, se voulant ancré dans une France cléricale des cathédrales et des parvis, d’une France fille aînée de l’Église, encore rétive à une forme de modernité inhérente à la révolution philosophique (de 1789) et culturelle (de 1968).
François Fillon n’a pas hésité à invoquer sa foi chrétienne pour justifier son attachement aux valeurs traditionnelles de la famille, du travail et de la patrie. Son discours identitaire participe à une vision d’une identité nationale étriquée, émaillée de vides et de trous de mémoires dans le récit fantasmé du roman national. Il contribue aussi au dévoiement de la laïcité. François Fillon en appelle à une laïcité stricte — à l’égard des seuls musulmans s’entend.
L’IDENTITARISME DE LAURENT WAUQUIEZ
Laurent Wauquiez est l’héritier de cet identitarisme de droite, mêlant sarkozysme et fillonisme, teinté de lepénisme, dénonçant le multiculturalisme, la mondialisation, l’immigration, l’islam, le communautarisme (pas le sien, naturellement)…
Il l’a répété telle une antienne, notamment le 25 octobre dernier à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), à l’occasion de son premier meeting de campagne : il entend diriger une droite qui « ne s’excuse plus », qui « s’émancipe » enfin de la « pensée de gauche » (alors que celle-ci est largement dominée dans la bataille culturelle). Il souhaite aussi incarner le retour aux « valeurs centrales de la France (…), ce vieux pays si émouvant » qu’il préfère « au triste village global qui n’est que la vitrine déshumanisée d’un monde sans racine. »
Produit de l’élitisme républicain qu’il fustige par ailleurs, le président du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes multiplie les références « intellectuelles » qui nourrissent aujourd’hui le discours de l’extrême droite : Finkielkraut, Houellebecq, Tribalat, LeGoff… à l’origine d’une diffusion de représentations et d’expressions («Français de souche», «racines chrétiennes de la France», «racisme anti-blanc») constitutives d’une vision monolithique et immuable d’une identité française plus fantasmée que réelle.
Venus d’horizons divers, ils n’en participent pas moins à un même mouvement de droitisation de l’intelligentsia française aspirée par une même névrose crépusculaire. Dogmatiques, leur pensée est structurée par des vérités intangibles au sujet d’un malaise identitaire qu’ils ne font qu’entretenir. Manichéens, ils installent des divisons factices animées par une logique conflictuelle : les « Français de souche » et les autres nationaux ; un « centre » et une « périphérie » ; le peuple français et le peuple – des minorités visibles – présumé étranger (exclues au moins tacitement de la communauté nationale) ; des couches populaires majoritaires et une élite minoritaire cosmopolite, « mondialisée » ou « boboïsée » adhérant au multiculturalisme ; l’immigration nouvelle, à prédominance musulmane et d’origine subsaharienne et maghrébine, et l’immigration ancienne, plutôt européenne, « blanche », catholique…
Malgré l’impasse intellectuelle et politique de cette obsession identitaire et la faiblesse des propositions de sortie du déclin fustigé (soit essentiellement le retour aux frontières closes et à la doctrine assimilatrice d’antan), ces maîtres de l’« invention de la réalité » demeurent hantés par la peur du « grand remplacement » prophétisé par le penseur d’extrême droite Renaud Camus…
Si Laurent Wauquiez s’affirme, au nom du parti « Les Républicains » (!), comme l’idéologue de la nouvelle droite identitaire, c’est qu’il estime qu’il s’agit là d’une question de vie ou de mort politique/électorale… La reconfiguration de l’espace politique provoquée par l’irruption et l’hégémonie de La République En Marche ! – bras organique d’un macronisme qui a préempté les intonations centristes et libérales de la droite parlementaire -, l’a conforté dans une dérive droitière qui l’amène aujourd’hui à s’inscrire dans le sillage d’un FN tendance Maréchal-Le Pen. Au point d’insister sur une question que Wauquiez tente vainement de neutraliser : le retour au pouvoir n’est-il pas conditionné par une sainte alliance LR-FN… ?
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