Le 12 octobre dernier, sans même attendre l’issue d’un scrutin interne du parti socialiste (PS) statuant sur la ligne à adopter pour les élections européennes, le leader de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, et ses proches ont décidé d’officialiser leur départ. Loin d’être anecdotique, cette démarche, après celui de Benoît Hamon et de bon nombre de cadres le 1er juillet 2017, achève de disloquer le PS issue d’Epinay et présage son positionnement au centre gauche.
Qualifiée de scission par leur leader Emmanuel Maurel – héritier du poperenisme dont l’union de la gauche était un des combats –, cette démarche est minimisée par un premier secrétaire aux abois, dépendant de l’aile droite menée par Stéphane Le Foll. Ce que certains considèrent comme un microséisme, est en réalité une clarification idéologique qui ne dit pas son nom mais qui intervient à contretemps et s’inscrivant dans la recomposition de la gauche.
Une victoire posthume (et à la Pyrrhus) du rocardisme des années 80 ?
Qu’importe qu’ils soient 100 ou 500 à partir, l’aile gauche du parti socialiste n’est plus. La dimension quantitative de la saignée n’a finalement que peu d’importance dans la mesure où elle est surtout symbolique. En effet, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, chef.fe.s de file de cette sensibilité, qui structuraient le débat interne et l’orientation politique et stratégique du parti, s’en vont pour d’autres cieux. Celles et ceux qui restent, affaiblis, ne pourront participer à la redéfinition d’une ligne que d’aucuns veulent pleinement sociale-démocrate, voire sociale-libérale. Depuis les défaites de 2017, celle-ci était jusque-là définie entre celles et ceux qui souhaitent une opposition frontale aux réformes du gouvernement et celles et ceux qui plaident pour une opposition à la carte et ainsi transformer ce qui reste du parti en force d’appoint.
Entre les forces centrifuges survivantes il est fort à parier que le PS fasse, ce que les solférinologues appellent, l’équivalent d’un Bad Godesberg du nom d’un congrès du PSU allemand. En 1959, se défaisant des oripeaux du marxisme, les sociaux-démocrates allemands avaient alors résolument opté pour un programme, certes ambitieux sur le plan social, mais s’accommodant du fonctionnement de l’économie de marché… ce que le PS n’a acté, avec beaucoup de précautions dans ses statuts qu’en 2008, bien que l’ayant avalisé dans les faits avec le tournant de la rigueur de 1983.
C’était la vision que portait alors un certain Michel Rocard, animateur de ce que l’on appelait la deuxième gauche, de culture autogestionnaire, qui défendait une conception transformatrice de la société par la voie du contrat avec les corps intermédiaires – face à la première gauche qui plaidait la transformation de la société par la Loi.
Or, au regard des forces survivantes au sein du parti, c’est bien cette vision qui est appelée à faire office de ligne directrice idéologique, et transformera immanquablement le PS en force de centre-gauche, accentuant ainsi le risque de marginalisation. S’il s’agit bien d’une victoire posthume du rocardisme, c’est celle du rocardisme des années 80 et 90 qui n’a que peu à voir avec le Michel Rocard du crépuscule de sa vie comme en témoigne son essai testamentaire, Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?
C’est également une victoire à la Pyrrhus parce que cette clarification intervient trois fois tard.
Une clarification à contretemps.
Trop tard, parce qu’elle aurait dû intervenir dès après l’effondrement du mur de Berlin. Michel Rocard, dont l’héritage se trouve aujourd’hui revendiqué par de nombreuses sensibilités et personnalités, à commencer par le président actuel comme par son prédécesseur, avait en son temps tenté, à longueur de congrès, cette clarification entre deux lignes antagonistes sur lesquelles les socialistes s’affrontent depuis … toujours. Entre première et deuxième gauche, entre les tenants de la ligne social-démocrate (voire sociale-libérale), privilégiant la lutte contre les dérives du capitalisme, et se limitant à des politiques visant à corriger les dérives du système, et celle, plus radicale, portée par l’idée de transformation sociale. Or, les congrès ne se sont préoccupés que de partage de responsabilités et de candidatures. La refondation idéologique étant renvoyé aux calendes grecques.
Trop tard si l’on considère que la crise de 2008 offrait une opportunité inespérée aux gauches, non encore irréconciliables, si tant est qu’elles l’aient été un jour, de mettre à la plat les différends idéologiques pour faire émerger des politiques alternatives face aux néo-libéraux affaiblis. Or, il n’en a rien été, toutes les sensibilités partageaient pourtant le même diagnostic sur la mue d’un capitalisme financier et de ses dérives … mais aucune ne souhaitait s’accorder sur une perspective alternative.
Trop tard enfin parce que cette clarification, au niveau du PS français, aurait dû intervenir lors du dernier congrès. Or, le congrès d’Aubervilliers n’a pas tranché au fond, et a renvoyé à une vague convention nationale en décembre 2018 la question pour le moins cruciale de l’inventaire du quinquennat de François Hollande … et donc de la ligne. En outre, en persistant à afficher un compromis entre une volonté d’opposition et des sympathies avec le pouvoir, comme l’illustre l’accession à la direction de cadres du parti ayant affiché leur proximité avec la majorité actuelle pendant les scrutins de 2017, le parti joue une ambiguïté politique pour le moins déplacée en ces heures de recomposition et de clarification.
Il est donc fort à parier que même si le PS parvient à redéfinir sa ligne, celle-ci restera inaudible faute d’un inventaire crédible du précédent quinquennat sur le modèle de celui réalisé par Lionel Jospin, alors premier secrétaire en 1995. Quid du CICE dont les retours sont plus que limités ? Quid de l’Europe sur laquelle l’ancien Président de la République n’a pesé en rien ? Quid de la réforme fiscale abandonnée dès les premiers mois du quinquennat ? N’est pas Lionel Jospin qui veut, et l’inventaire comme la clarification resteront inaudibles aux oreilles d’un électorat de gauche en proie à des interrogations et au désarroi face l’absence d’unité de la gauche, et dont l’envie d’engagement et de transformation sociale se heurte au mur du néolibéralisme gestionnaire et en apparence immuable. Pour paraphraser comme beaucoup Antonio Gramsci, l’ancien monde tarde à disparaître, la décomposition à laquelle le PS et la gauche sont confrontées, participent du clair-obscur qui précède le jeune monde à naître.
William Leday
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