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Algérie : l’acte de rupture

Au pouvoir depuis 1999, le président algérien Abdelaziz Bouteflika est officiellement candidat à un cinquième mandat consécutif. Ni son âge (81 ans), ni son invalidité (depuis un accident vasculaire cérébral en 2013), n’ont empêché une décision aussi ubuesque que tragique. On se souvient de la dernière campagne présidentielle, surréaliste, avec les images d’un président fantomatique, condamné au mutisme et absent de ses propres meetings électoraux. .. avant d’être réélu « dans un fauteuil », avec près de 81,5% des voix. C’est en toute logique que cette nouvelle candidature fait face aujourd’hui à une « fin de non recevoir » populaire et pacifique. Paradoxalement, cette même décision a peut-être marquée à la fois un acte de rupture et de renouveau pour le peuple algérien.

Certes, la force et la soudaineté des manifestations ont surpris les observateurs et les acteurs politiques. Toutefois, derrière l’apparence d’un prétendu phénomène spontané, les récentes manifestations ont des racines profondes et structurelles d’ordre politique, démographique, socio-économique et sociétal. L’apparente stabilité et le semblant de paix civile ne sauraient masquer une réalité plus sombre. La tension sociale est nourrie par une corruption et un chômage structurels dont la principale victime est une jeunesse désespérée par l’inefficacité d’un « modèle de développement » caractérisé par une dépendance continue aux hydrocarbures. Si la rente pétrolière a permis la construction d’infrastructures et de logements, la crise du logement demeure une réalité sociale algérienne. Que dire des services sociaux-sanitaires…

Une colère sourde et souterraine traverse la société algérienne, ce depuis des années. Le pacte social de l’après « décennie noire » s’est progressivement fissuré. Le « réveil algérien » ne date pas d’aujourd’hui. Dès la fin 2010, dans la foulée du peuple tunisien, la jeunesse algérienne s’est rebellée comme l’atteste les émeutes urbaines qui avaient alors touché le pays, sans ignorer une série d’immolations en janvier 2011. Finalement, le souvenir traumatique de la guerre civile, le désarroi général et la déliquescence des partis politiques d’opposition ont permis au régime d’acheter à nouveau la paix sociale et de maintenir un statu quo de façade. La colère sourde, elle, demeurait au cœur du corps social.

C’est ainsi que pour la première fois depuis près de 20 ans, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens ont laissé éclater leur refus du fatalisme à travers des manifestations pacifiques dans les grandes villes du pays. Est-ce le signe d’un acte de rupture annonciateur d’un « nouveau contrat social algérien » ? Car au-delà de la figure de Bouteflika, c’est le « système » qui est visé par les manifestants. En effet, derrière la façade présidentielle et gouvernementale, le(s) détenteur(s) du pouvoir réel reste(nt) difficile à identifier. Ce système opaque est responsable de la défaillance économique et sociale du pays, confronté au fléau de la corruption qui mine l’administration comme l’ensemble du tissu économique et social.

Quoiqu’il en soit, l’après Bouteflika risque d’ouvrir une période d’instabilité nourrie par les éléments constitutifs du drame algérien : un pays riche de sa jeunesse et de ses ressources naturelles, mais gangrené par la corruption et les inégalités sociales. Or la question de l’Algérie post-Bouteflika ne concerne pas que les Algériens : c’est la stabilité de la région de l’Afrique du Nord et sub-saharienne qui se joue en partie à travers l’avenir d’un pays central,  à la fois le plus grand et l’un des plus peuplés (près de 44 millions d’habitants) du monde arabe…

 

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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