João de Oliveira est brésilien et titulaire d’un doctorat en Cinéma et Audiovisuel de l’Université Sorbonne-Nouvelle. Il réagit à la condamnation et à l’incarcération de Lula, qui émanent selon lui d’un complot des conservateurs.
Chronik.fr : L’ancien président Lula a été définitivement condamné pour corruption et vient d’être incarcéré pour purger sa peine de prison. Au-delà de son cas personnel, la corruption représente-t-elle un fléau endémique, généralisé dans le pays ?
J. de O. : Au Brésil, on a l’habitude de dire que la corruption aurait commencé avec la lettre sur la découverte du Brésil, écrite par Pero Vaz de Caminha au roi portugais Manuel. Caminha, écrivain de la flotte du navigateur Pedro Alvares Cabral, y décrit les premières impressions sur le futur Brésil, mais n’oublie pas, à la fin, de demander au roi un emploi pour un membre de sa famille.
Oui, il est possible de parler d’une corruption endémique au Brésil. Une véritable culture à laquelle n’échappe aucune classe sociale. Une turpitude qui n’épargne pas les « papes » de la moralité brésilienne du moment, tels que le juge brésilien Sérgio Moro et d’autres magistrats du pays. Moro, ainsi que les autres juges, reçoit une aide au logement mensuelle d’environ 1100 euros. Le problème est qu’il est propriétaire de son appartement. Interrogé sur le problème, il a répondu que cet argent servait à compenser les faibles augmentations salariales des juges, alors que leur rémunération dépasse parfois les 10 000 euros par mois, tandis qu’un travailleur gagne seulement 300 euros…
Au Brésil, la corruption est un problème culturel, éducationnel et moral qui prendra encore des décennies pour être totalement éradiqué.
Lula a été condamné pour suspicion de corruption passive. Il est accusé d’être propriétaire d’un triplex qui aurait été acheté par l’entreprise OAS, l’un des grands groupes du BTP, cité dans l’opération « Lava Jato » (lavage express). En échange, l’ex-président lui aurait facilité la tâche dans l’obtention de plusieurs marchés publics liés à la Petrobras. Le problème est qu’il n’existe aucune preuve matérielle et objective de ce crime. Plusieurs juristes brésiliens, toutes tendances confondues, ont ouvertement condamné le caractère partiel et l’aspect punitif de la sentence judiciaire (1).
Curieusement, en plus de 500 ans d’histoire, dans un pays avec une telle tradition de corruption, chaque fois qu’un gouvernement progressiste est parvenu au pouvoir – c’est arrivé seulement trois fois –, il n’a pas pu terminer son mandat, interrompu par un putsch fomenté par le camp conservateur. La farce du jugement et l’incarcération de Lula constituent, à n’en pas douter, un acte politique.
Est-il possible d’incarcérer un homme qui ne représente aucune menace pour la société avant que tous les recours aient été analysés ? Je ne pense pas. Sauf si on veut l’humilier. Lula n’a pas été jugé, mais condamné par une opinion publique manipulée par les grands groupes médiatiques, de véritables représentants des élites ploutocratiques brésiliennes qui n’ont jamais toléré les tentatives de réduction des inégalités.
Chronik.fr : Dans quel contexte politique s’inscrit l’incarcération de l’ancien président Lula, qui demeure populaire auprès des couches défavorisées ? Le spectre d’une « crise à la vénézuélienne » est-il à craindre ?
J. de O. : Je ne pense pas que le Brésil coure le risque de tomber dans une situation semblable à celle du Venezuela. L’économie brésilienne est largement plus solide et diversifiée que celle de son voisin, sur-dépendante du cours du pétrole. Cela aurait pu être, peut-être, le cas si le putsch avait échoué, et Dilma Rousseff serait restée au pouvoir. Le spectre qui menace le Brésil est plutôt celui d’une « italianisation » de sa politique. Après l’opération « mains propres » en Italie, qui, telle la Lava Jato brésilienne, a conduit en prison des hommes politiques et des personnalités importantes de la société civile (et que le juge Sérgio Moro considère comme sa principale source d’inspiration), l’Italie a vécu une période de droitisation avec l’émergence de Forza Italia, de Silvio Berlusconi. Les progrès des forces réactionnaires et conservatrices au Brésil font craindre le pire.
L’emprisonnement arbitraire de Lula a permis l’union des divers groupes de gauche, même de ceux qui, auparavant, critiquaient le Parti des Travailleurs. Le plus probable est que cette union, pour la défense de la démocratie et de l’État de droit remis en cause par la condamnation sans preuves de l’ex-président, sera ponctuelle.
Si la gauche ne s’allie pas autour d’un agenda programmatique, il sera très difficile de contenir cette poussée totalitaire qui monte dans le pays.
Soit la gauche s’unit, soit le Brésil courra le risque d’avoir un président de droite avec le soutien de l’extrême droite, ce qui fragilisera le camp progressiste et conduira à la destruction des droits sociaux pour les plus démunis et les minorités sociales. Même si les élections ont lieu dans seulement six mois, sans la candidature de Lula, l’horizon politique reste encore très obscur et indéterminé.
Chronik.fr : Comment pourriez-vous qualifier la crise que traverse le Brésil ? Quels en sont les causes et ressorts fondamentaux ?
J. de O. : Le Brésil vit une crise politique, économique et morale sans précédent. Outre l’instabilité politique, le pays traverse une crise économique sévère avec des chutes successives de son PIB, un taux de chômage autour de 12 % qui entraîne une réduction des revenus et de la productivité. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose pour équilibrer le déficit public, pour retrouver le chemin de la croissance de manière à pouvoir régler le déficit extérieur, qu’il faut investir massivement dans les infrastructures, parmi tant d’autres urgences. Le problème est que tout cela doit être fait dans une perspective d’inclusion sociale et non pas dans la logique d’exclusion qui anime l’exécutif en place.
Avec un peu de compétence et de la bonne volonté politique, le pays pourra, à court terme, régler la crise économique, mais la corruption est un problème culturel, éducationnel et moral qui prendra encore des décennies pour être totalement éradiqué. La corruption est un choix pour chaque individu. Tant que la population ne se rendra pas compte que c’est la principale plaie du pays et qu’elle est responsable, pour l’immense majorité, de ses problèmes sociaux, ces derniers continueront à revenir comme un boomerang et à nous exploser violemment au visage.
(1) Voir le livre, écrit par une centaine de juristes brésiliens, Comentários a uma sentença anunciada – O Processo Lula (« Commentaires sur une sentence annoncée – Le Procès Lula »).
© Photos : Wikimedia Commons et Pixabay
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