Clémentine Autain a été élue en juin dernier députée de Seine-Saint-Denis sous l’étiquette de La France insoumise. Pour Chronik, elle a accepté de revenir sur ses premiers mois de mandat, les relations de son groupe avec les autres composantes de l’hémicycle, ses priorités en tant que parlementaire, mais aussi sur quelques thèmes d’actualité qui touchent aux engagements qui sont les siens depuis de nombreuses années.
Quelle est votre actualité en tant que députée ?
Comme tous les députés de mon groupe, je suis mobilisée contre le gouvernement des riches, contre tous les mauvais coups contre les droits et protections. Je suis également investie sur le territoire de Seine-Saint-Denis (Sevran, Tremblay, Villepinte) que je suis fière de représenter, pour défendre le Parc de la Poudrerie menacé, exiger des moyens pour le RER B ou encore défendre les emplois aidés.
Plus spécifiquement au Parlement, c’est le CETA qui m’occupe, en ma qualité de membre de la commission des affaires internationales, et puisque l’on mène en tant que groupe une bataille contre ce traité de libre-échange nouvelle génération dangereux notamment pour la santé, l’environnement, l’agriculture et la démocratie. Nous souhaitons que cette question prenne place dans le débat public. Le Parlement n’a pas été sollicité alors que le CETA s’applique désormais à 90% de façon provisoire ! Un traité équivalent avec le Japon vient d’être signé, dans le plus grand secret également. Où est la souveraineté populaire ? Ces textes ont pourtant des incidences majeures sur nos vies.
Le deuxième sujet qui me tient particulièrement à cœur est celui des universités. Dans l’hémicycle, nous nous battons contre la sélection à l’université que veut imposer le gouvernement et les députés LREM. Par ailleurs, je suis aussi très impliquée contre la baisse des budgets pour l’aide au développement. Et enfin, sur la situation en Palestine : les déclarations terriblement dangereuses de Donald Trump nous obligent à intervenir fortement.
Vous avez été par le passé élue apparentée communiste, quelles sont les synergies qui existent entre votre groupe et celui de la « Gauche démocrate et républicaine », qui rassemble les députés communistes ?
D’abord elles sont réelles, ces synergies, et essentielles face à Emmanuel Macron et la majorité de La République en marche. On s’applaudit régulièrement d’un banc à l’autre de l’hémicycle. On a les mêmes critiques à porter envers ce gouvernement et, pour une large part, des propositions alternatives à lui opposer qui convergent. Après il y a des identités de groupes qui sont différentes, mais moi j’ai plutôt l’impression qu’on allie nos forces de fait face à la majorité.
Nous sommes dix-sept députés au sein du groupe de La France insoumise, et même en ajoutant les parlementaires GDR nous restons fort peu nombreux pour affronter cette majorité large. L’Assemblée n’est pas à l’image des rapports de force politiques réels dans le pays. Nous incarnons un mouvement beaucoup plus massif dans le pays. N’oublions pas que Jean-Luc Mélenchon a récolté 19,5% des voix à l’élection présidentielle. D’où le fait que le système uninominal à deux tours s’avère assez insupportable pour des forces politiques comme les nôtres. Le problème n’étant pas de faire entendre notre voix car je pense qu’on incarne la véritable alternative, on a même l’impression que les députés LREM instaurent le dialogue en priorité avec nous. D’ailleurs ils nous le disent, leur véritable opposition, c’est nous. Il faut dire que la droite est un peu démonétisée avec les mesures de Macron, comme les ordonnances travail ou la suppression de l’ISF, dont ils ont toujours rêvé. Les idées de la droite sont de fait mises en œuvre par Emmanuel Macron. Nous en revanche n’avons pas besoin d’inventer des désaccords : nous portons une toute autre voie.
De quelle nature sont vos relations avec le groupe de la Nouvelle Gauche, anciennement socialiste ?
Disons que c’est un peu compliqué de les saisir. Ils ne sont pas très nombreux, et ils ont adopté trois positions de vote différentes lors de la motion de confiance au gouvernement – « pour », « contre », « abstention ». Donc c’est un peu difficile de savoir où ils habitent, et je crois qu’eux-mêmes ne le savent pas toujours très bien. En même temps, leur position est difficile à l’Assemblée. Dès qu’ils prennent la parole pour contester, ils sont renvoyés à leur bilan. Tout en étant assez déboussolés et éclatés, ce qui n’aide pas pour incarner une opposition qui soit audible. Mais la main doit rester tendue pour faire force commune dans notre travail d’opposition.
Qu’avez-vous pensé, en tant que militante féministe, de la prise de parole d’Emmanuel Macron à l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes le 25 novembre ?
Je pense qu’il a tenu un discours solennel en posant des mots sur les violences faites aux femmes, qui sont franchement bienvenus. Évidemment il le fait suite à un mouvement de libération de la parole des femmes qui part de la société, mais en tout cas il n’est pas passé à côté. Pour autant, il ne suffit de poser des mots, il faut aussi des actes qui permettent de lutter concrètement contre ces violences. Et là franchement, on n’y est pas, mais alors pas du tout. Il annonce une enveloppe de 420 millions qu’il recoupe de manière transversale avec d’autres budgets qui n’ont parfois strictement rien à voir avec les violences faites aux femmes. C’est une goutte d’eau, les mesures d’austérité touchent les moyens des tribunaux, le lien social à travers le tissu associatif malmené, tous les personnels qui peuvent accompagner les femmes, les hôpitaux… Il y a un décalage énorme entre la prise de parole d’Emmanuel Macron et son budget qui empêche concrètement d’agir.
Etiez-vous favorable à la création d’un ministère plein consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Bien sûr, on le demande depuis toujours.
Quel est votre sentiment quant à l’action menée par Marlène Schiappa à la tête de son secrétariat d’état ?
Je crois qu’elle a des convictions sur ces sujets, je ne les remets pas en cause. Je pense aussi qu’elle a conscience des contradictions entre l’énoncé et les moyens.
Vous avez participé à « L’émission politique » du 30 novembre, dont Jean-Luc Mélenchon était l’invité fil rouge, programme qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a depuis inspiré à votre président de groupe l’idée d’un tribunal médiatique. Comment réagissez-vous à cette proposition et plus généralement au discours que Jean-Luc Mélenchon formule sur les médias ?
D’abord il n’est pas question de tribunal, le mot était mal choisi, il s’est repris depuis et a employé l’expression de « conseil de déontologie ». Il s’agit simplement de dire qu’à un moment donné tout n’est pas permis, tant il est vrai que l’émission de France 2 nous a énormément choqués. Trop c’est trop. La deuxième partie à laquelle j’ai participé était à certains égards pire encore que la première. Tellement outrancier, à charge, qu’à un moment, cela suscite de fait une réflexion. Personnellement j’étais déjà très excédée au sortir des deux heures avec Jean-Luc Mélenchon, tout en me disant que ça ne valait pas la peine de s’énerver, ne serait-ce que pour les téléspectateurs. Il y a aussi comme un effet de sidération. Je me suis dit après que j’aurais dû calmement me lever et quitter le plateau, mais auquel cas je n’aurais sans doute pas dû y aller du tout, bref c’est très compliqué de savoir quelle attitude adopter. Quand j’évoque les attaques de Manuel Valls à mon propos, prétendant que j’ai noué des alliances avec les Frères musulmans, et que Léa Salamé me répond « c’est une affaire personnelle ». Quelle curieuse idée de prendre en référence du débat public Manuel Valls et de poser notre affrontement sur un terrain personnel alors qu’il est profondément politique.
Après est-ce que j’ai été d’accord avec Jean-Luc Mélenchon à chaque fois qu’il a critiqué un média ? Non… Mais sa position part d’une analyse de fond que je partage. Je pense qu’il est sain d’entretenir un rapport critique aux médias, de connaître leurs sources de financement, de contester une prétendue objectivité. Nous avons besoin des médias dans une démocratie. Les grands médias ne représentent pas tous les médias et une poignée de journalistes dominants, qui assènent la pensée dominante, ne représentent pas tous les journalistes. Mais les Français sont globalement en colère contre les « médias », qui se trouvent globalisés dans un tout et plus détestés encore que les politiques. Leurs questions, leur agenda, leurs buzz, leurs breaking news… Quelque chose ne tourne pas rond. En prendre conscience, dénoncer les mécanismes économiques qui empêchent le développement de médias libres et critiques, voilà une urgence démocratique !
Soizic Bonvarlet
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