Les mesures annoncées par le Président de la République le 11 décembre dernier agiront tel un opiacé calmant un mal dont les racines profondes sont hors des écrans radars d’un exécutif aux abois. Certes, quelques dizaines d’euros viendront améliorer le quotidien de ceux et celles de nos concitoyens en difficulté, certes le rétablissement de la défiscalisation des heures supplémentaires permettra à certains salariés de récupérer un pouvoir perdu en 2012, une erreur que la gauche au pouvoir n’a pas su rattraper, mais c’est au prix de cotisations sociales et de rentrées fiscales moindres qui affaiblira à terme les services publics et la sécurité sociale. Services publics qui manquent déjà cruellement dans certains départements où les gilets jaunes sont mobilisés. Sur ce point comme sur l’injustice fiscale on est loin du compte.
Par-delà les difficultés quotidiennes des Français, la crise du régime.
Parce que la réponse n’est pas à la hauteur, parce que les smicards vont vite se rendre compte de la supercherie, le mouvement risque au mieux de devenir erratique et s’étioler, au pire se prendre d’autres formes… en effet, s’il perdra immanquablement de son ampleur, il peut gagner en radicalité. Au cours de cette crise, beaucoup de ces Français en gilet jaune viennent de faire l’apprentissage des luttes sociales et du militantisme dont ils étaient parfois très éloignés culturellement et idéologiquement. Beaucoup ont appris, beaucoup ont pris goût, nul doute qu’ils renouvelleront l’exercice dans les années à venir.
Mais au fond, si le Président de la République a tenté de répondre à la question du pouvoir d’achat, a-t’il saisi la mesure de la crise de régime que traverse notre modèle républicain ? Le lien qu’il a souhaité bâtir avec les Français est aujourd’hui quasi-irrémédiablement abîmé et met en lumière les habits trop larges d’une 5ème république dont la dimension providentielle ne s’est avec le temps, ni atténuée, ni rationalisée, au point, qu’à bien des égards, elle semble souffrir d’une immaturité à rebours de ce qu’est notre société. S’il faut bien concéder que la constitution permet à notre pays d’affirmer une politique extérieure forte, elle ne parvient pas à prendre la mesure de la crise du système représentatif dont on connait les travers depuis longtemps.
Certes, une majorité absolue à l’Assemblée nationale autorise l’adoption d’un train de réformes, mais la faiblesse de nos corps intermédiaires, syndicats et partis politiques confondus, ne permet plus d’obtenir un consensus suffisant autorisant leur mise en œuvre dans de bonnes conditions … la taxe sur le diésel, un élément périphérique de la politique de transition écologique, n’étant que l’avatar de la taxe carbone, de la réforme du code du travail … Emmanuel Macron interprétant, à tort, le vote du second tour des présidentiels comme un blanc-seing, il n’est pas étonnant qu’une majorité de Français, notamment ses électeurs du lendemain, lui fasse un procès en illégitimité, et qu’une majorité de nos concitoyens ne se sentent représentés ni par lui, ni par leurs parlementaires. Le dégagisme rationnel qu’ont incarnés les scrutins de 2017 a donc d’ores et déjà atteint ses limites, et la prochaine élection n’étant que dans trois ans et demi, le Président actuel n’a d’autre choix que de dissoudre ou de réformer profondément les institutions s’il souhaite reconquérir une légitimité et faire œuvre utile.
Dissoudre ou réformer ? Une équation à trancher.
La dissolution présente l’avantage théorique d’obtenir une majorité conforme aux attentes des Français, avantage théorique parce que les attentes sont aujourd’hui à la fois complexes, nombreuses et couvrent des domaines divers au point que le scrutin uninominal à deux tours ne saurait toutes les répercuter. Ainsi, un exécutif renouvelé et re-légitimé peut rapidement se retrouver confronté aux mêmes errements. Beaucoup de Français vivent mal de ne pas être représenté en intérêts et en idées. Aussi contestables que soient certaines de ces dernières, celles-ci doivent pouvoir être représentées, souvent pour être mieux combattues, ainsi va le jeu démocratique. Or, le mode de scrutin actuel, qui n’a que la seule vertu de renforcer l’exécutif, conduit à pratiquer un déni devenu insupportable aux yeux de nombreux Français. A ce jeu, le quarté gagnant sont les partis populistes, l’abstention, le complotisme et … le radicalisme, quand ce n’est pas une alchimie de plusieurs de ces éléments.
Reste donc la carte de la réforme des institutions entravée cet été par l’affaire Benalla. Or, à ce stade, les propositions avancées sont insuffisantes sur la forme comme sur le fond. Sur la forme, le processus est resté par trop institutionnel car elles n’ont été discutées qu’au sein d’un cercle restreint composé de représentants institutionnels et de sachants. Aucune appropriation citoyenne du débat n’est venue nourrir le débat, tout juste évoque-t-on la possibilité d’un référendum si un compromis n’est pas trouvé entre les partie-prenantes… insuffisante sur le fond, car ce n’est pas une proportionnelle à dose homéopathique qui viendra résorber le déficit de représentativité du Parlement … lequel voit son pouvoir d’amendement limité. Une réforme à la hauteur de la crise que traverse notre régime républicain, car c’est bien de cela qu’il s’agit, devra se faire avec nos concitoyens à travers des processus participatifs, classiques ou numériques, … intégrer une réforme en profondeur des corps intermédiaires, réviser les procès de légitimation d’une expertise publique aujourd’hui remise en cause…. Au regard de la violence et du potentiel de radicalité couvant au sein de notre société depuis des années, et à l’aune de la colère et de l’angoisse des classes populaires et moyennes, il en va de la paix civile.
Rien dans l’allocution présidentielle du 11 décembre ne laisse transparaître une compréhension de la crise de régime que nous traversons. Or, ni un acte de contrition, aussi sincère soit-il, ni le match retour sur le débat sur l’identité nationale, qui a déjà instillé le germe de la division, de la xénophobie et de la fragmentation, y répondront. Le mal est ailleurs et, curieusement, par un détour dont seule l’histoire a le secret, les Gilets jaunes ont envoyé un nouveau monde, à peine né, tout juste pubère, dans l’ancien… qui a bien tort de ricaner. Comme le politologue François Cusset l’explicite bien, les Gilets jaunes provoquent le retour de la politique, la vraie. Ce n’est pas en puisant dans les recettes d’un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, en mal de revanche, qu’une martingale politique ira résorber cette crise de régime.
William Leday
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