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L’arabité, une identité complexe

Le fait d’être ou d’apparaître comme « arabe » charrie encore une forte charge symbolique. Une représentation actuelle héritière, en grande partie, d’un discours orientaliste et d’un passé colonial d’autant plus prégnant qu’il est étouffé sous le poids d’un roman national plus fantasmé que réel, dans un pays aux prises avec la montée de la passion identitaire. Pourtant, l’identité (« française ») ne se conjugue pas au singulier. En atteste la part d’arabité de notre société.

Comme tous les individus, les Arabes ne sont pas des êtres monolithiques. Même si elle repose essentiellement sur « une » langue commune, l’arabité est une construction identitaire complexe, évolutive. Le sentiment d’appartenance est lui-même pluriel : l’identité d’un Arabe ne se réduit pas à sa part d’arabité. De plus, les Arabes ne sont pas assignés à un territoire donné : « être Arabe » ne suppose pas de vivre dans le « monde arabe. »

L’arabité a progressivement dépassé le cadre ethnico-racial. Les Arabes ont des racines anciennes ancrées dans un territoire originel, la Péninsule arabique, peuplé de Bédouins, dont la majorité parle une langue « sémitique » : l’arabe. Or, avec l’expansion de l’Empire arabo-musulman aux VIIe et VIIIe siècles, le critère ethnique ne suffit plus à qualifier l’arabité. Les premières conquêtes musulmanes par les Arabes s’accompagnent de brassages des populations et de vagues d’arabisation. La diffusion de l’islam et celle de la langue arabe sont ainsi étroitement liées.

LA LANGUE AVANT LA RELIGION

Progressivement, la langue arabe s’est imposée comme un puissant ferment identitaire. Trait majeur de la culture arabe classique et populaire (chanson, cinéma, poésie, …). Le fait de parler arabe s’est affirmé comme le principal élément constitutif de l’arabité. La question linguistique charrie souvent des débats politiques et idéologiques liés aux rapports au passé colonial, au sacré coranique, aux minorités, et qui animent la crise et le renouveau identitaire des Arabes entre tradition et modernité.

La langue arabe, classique ou littéraire s’est enrichie au fil du temps au point de s’éloigner de l’arabe ancien des tribus originelles et de l’arabe coranique. Sa modernisation résulte d’un mouvement de réflexion sur l’arabité né à la fin du XIXe siècle, insufflé par des Arabes de toutes confessions. Il s’agit alors de « désislamiser » l’arabité sans nier la dimension religieuse dans les éléments constitutifs de l’identité arabe. Sous l’impulsion de Chrétiens d’Orient, la « Nahda »(« Renaissance ») entend en effet fonder l’idée moderne d’arabité et de « nation arabe » sur la prévalence du critère linguistique (sur le critère religieux).

Rappelons l’état indigne de l’enseignement de la langue arabe dans les établissements publics en France.

Au sens postislamique, les Arabes comprennent des populations arabisées et donc arabophones. De fait, la religion musulmane vient structurer l’identité arabe. Pourtant, l’assimilation des Arabes aux musulmans est abusive. L’islamisation n’est pas synonyme d’arabisation automatique et systématique. Le second phénomène est bien plus lent que le premier (voir les Berbères au Maghreb), et il arrive que l’islamisation se poursuive dans une autre langue que l’arabe (en l’occurrence le persan et le turc dans une partie de l’Asie). Cette réalité se vérifie encore aujourd’hui : un Arabe n’est pas forcément musulman et les frontières du monde arabe n’épousent pas celles du monde musulman.

BRISER LA CHAÎNE DE SOUPÇONS

Être Arabe ne suppose pas de vivre dans des frontières particulières. Il y a des Arabes en Occident, des « Arabes d’Occident » ou « Araboccidentaux ». Il s’agit essentiellement des descendants d’exilés et surtout d’immigrés (économiques) issus des pays arabes et installés en Amérique du Nord et en Europe. L’immigration arabe en Occident a connu plusieurs phases en Europe et en Amérique, avec des spécificités propres aux relations entretenues avec les anciennes puissances coloniales. Si les minorités sont traditionnellement sujettes à l’émigration (cas des « chrétiens d’Orient » du Liban ou d’Irak en particuliers), les flux migratoires demeurent animés par une jeunesse défavorisée en quête d’une condition meilleure et de perspectives nouvelles/réelles.

     Aller plus loin : Une langue, une nation, une indentité : une devise française ?

En France, la présence arabe et plus largement musulmane – les deux catégories étant allégrement confondues dans l’imaginaire collectif – est par trop perçue comme une menace identitaire. Ce phénomène connaît même un « versant linguistique. » Il suffit ici de rappeler l’état indigne de l’enseignement de la langue arabe dans les établissements publics, ou encore les déclarations tenues par le président Emmanuel Macron lors des récentes journées du patrimoine, présentant une interprétation troublante de l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée en 1539 par François 1er : celle-ci commandait, selon lui, « que tous ceux qui vivaient dans son royaume devaient parler français », alors qu’en réalité, ce texte dispose seulement que les actes légaux et notariés soient désormais rédigés en français, sans imposer pour autant le français comme langue des populations du royaume…

Plus largement, les débats lancinants et pesants sur « l’intégration » et sur la laïcité témoignent d’une chaîne de présomptions ou de soupçons – Arabes/musulmans, musulmans/islamistes, islamistes/terroristes – dans laquelle divers éléments se sont amalgamés avec le temps. C’est précisément cette chaîne qu’il convient de briser.

© Photo : Pixabay

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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