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Une langue, une nation, une identité : une devise française ?

La langue est un enjeu politique dans un pays comme la France. Elle est au cœur de l’évolution de la conception de la nation et de la montée d’un discours identitaire transpartisan qui rejette la réalité du fait multiculturel.

Lors des récentes journées du patrimoine, le président Emmanuel Macron en visite au château de Monte-Cristo a présenté une interprétation troublante de l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée en 1539 par François 1er. Celle-ci commandait, selon lui, « que tous ceux qui vivaient dans son royaume devaient parler français ». Or, en réalité, cette ordonnance dispose seulement que les actes légaux et notariés soient désormais rédigés en français, sans imposer le français comme langue des populations du royaume…

Un raccourci présidentiel qui ne saurait s’expliquer par la nature de l’auditoire – nos enfants méritent mieux que ce type de leçon simpliste de l’Histoire -, mais qui dénote une tendance de la représentation de la nation et de l’identité françaises.

LA NATION N’EST PAS RÉDUCTIBLE À LA LANGUE

Cadre privilégié d’une nation, l’État est aussi le garant de valeurs communes, d’une identité nationale. Des conceptions différenciées de la relation entre l’État et la nation se distinguent néanmoins. Les critères d’appartenance à l’État-nation peuvent s’inscrire dans une logique ethnoculturelle et déterministe (prévalence du critère de la tradition et/ou de la filiation via la langue maternelle) ou politique et volontariste (prévalence de l’adhésion à des valeurs).

En France, avant même l’avènement de la République, la royauté française a œuvré à l’unité politique et culturelle au-delà de la structuration sociale en trois ordres. La langue française, langue du roi, s’impose progressivement au cours des XVe et XVIe siècles – pour les actes officiels (y compris ceux des parlements de province), puis les actes juridiques privés. Par la célèbre « ordonnance de Villers-Cotterêts », la langue française est reconnue comme la langue officielle et exclusive des actes de l’administration et de la justice en lieu et place du latin. Pendant la période révolutionnaire, la décision de faire du français la seule langue de la nation est confortée : l’État assume la fonction de propagateur d’un « imaginaire collectif ».

Reste que la Révolution insuffle une nouvelle conception des critères d’appartenance à la nation, qui déroge au modèle ethnoculturel et privilégie le principe volontariste de l’adhésion citoyenne et politique. Influencés par Sieyès, les révolutionnaires français identifient ainsi cette nation abstraite à la liberté politique. Au XIXe siècle, Ernest Renan consacre la conception volontariste de la nation. Celle-ci se définit alors par opposition à la conception organiciste inspirée par le romantisme allemand. Si « la race, la langue, les intérêts, l’affinité religieuse, la géographie » contribuent à forger des liens forts entre les individus, « [l]’existence d’une nation est le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » en l’enrichissant et en le transmettant de génération en génération ; c’est « un plébiscite de tous les jours comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie » (Conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882). Cette conception universaliste et volontariste de la nation autorise le jus soli (droit du sol) pour l’acquisition de la nationalité. Elle se distingue clairement de la vision culturaliste, ethnique et déterministe fondée en Allemagne sur la « race » et la « langue ».

LA LANGUE COMME PROTECTION DE L’IDENTITÉ NATIONALE

Cette opposition théorique est de plus en plus dépassée. Le droit des étrangers et de la nationalité en France s’inscrit dans une évolution globale caractérisée par l’introduction de prérequis linguistiques et l’usage de tests de langue formels comme conditions pour l’obtention d’un visa d’entrée, d’un permis de séjour et/ou de la nationalité. Dans le monde occidental, et en Europe en particulier, l’augmentation de la multiculturalité et du multilinguisme dans les pays d’accueil qui en découle est désormais perçue comme une menace pour l’identité nationale.

Le repli identitaire hexagonal est la manifestation d’un désarroi face à la « diversité culturelle » infranationale, transnationale et supranationale.

Autre signe de cette tendance, l’intervention du pouvoir constituant en 1992 pour préciser à l’article 2 de la Constitution de 1958 que « la langue de la République est le français ». Cette révision constitutionnelle fut adoptée au moment de l’accélération de l’intégration européenne (ratification du Traité de Maastricht) dans un monde en voie de globalisation. L’effacement des frontières, le démembrement des territoires, le délitement des liens sociaux, l’effondrement des référentiels idéologiques nourrissent une « panique morale » et le sentiment d’avoir perdu toute prise sur son propre destin (individuel et collectif).

La société est en proie à un puissant sentiment de peur de l’absorption de l’irréductible spécificité du village français dans le village mondial. En cela, le repli identitaire hexagonal est aussi la manifestation d’un désarroi face à la « diversité culturelle » infranationale, transnationale et supranationale.

La montée d’un discours identitaire transcende le vieux clivage extrême-droite/droite/gauche, tentant d’imposer une représentation de l’identité française réduite à une identité majoritaire. Celle-ci est érigée en identité unique, supérieure, immuable, figée, réifiée. L’identité française renvoie aujourd’hui à un noyau dur monolithique, hérité d’un temps ancien, irréductible.

Cette idéologie de la supériorité identitaire de l’identité majoritaire charrie une mise en accusation du pluralisme/plurilinguisme, source présumée de menace de l’unité de la nation et de la République. Il suffit ici de rappeler l’état indigne de l’enseignement de la langue arabe dans les établissements publics…

© Photo : Flickr

Nabli Béligh

Nabli Béligh

est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.
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est universitaire et essayiste. Après des études en droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut Universitaire Européen (Florence), il a enseigné (de 2009 à 2017) les « Questions européennes » et les « Questions internationales » à Sciences Po Paris. Ses travaux et réflexions portent essentiellement sur des problématiques juridiques, politiques et institutionnelles françaises, européennes et méditerranéennes.

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