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2017, l’année zéro des appareils politiques (1)

L’année 2017 marquera d’une empreinte indélébile l’histoire politique de notre pays en ce qu’elle signe la défaite sans appel des appareils politiques classiques. En effet, face à l’émergence d’En Marche et de la France insoumise, mouvements inexistants il y a encore deux ans, les formations traditionnelles n’ont pas su trouver des stratégies idoines pour leur faire pièce.

Près de six mois après une série de défaites cinglantes, les réponses des partis politiques à la crise qui les frappe peinent à convaincre. Le parti socialiste tente une énième refondation adossée à des assises citoyennes, afin de proposer au tout-venant la redéfinition de sa ligne opacifiée par un quinquennat idéologiquement déstructurant. Le parti Les Républicains s’apprête pour sa part à rejouer un mauvais drame shakespearien autour de l’élection de son nouveau président. Force est de constater que les maux qui rongent ces formations ne datent pas d’aujourd’hui et que les voies empruntées sont très en-deçà des défis à relever.

LES FORMATIONS POLITIQUES TRADITIONNELLES NE FONT PLUS RECETTES DEPUIS LONGTEMPS
Au contraire d’autres pays européens, le militantisme politique n’a jamais été un phénomène massif en France. Le parti socialiste a rarement dépassé le seuil des 200 000 adhérents – 280 000 en 2006 au moment des primaires internes. Seuls la droite républicaine et le parti communiste des années 40 et 50 ont dépassé un temps 500 000 adhérents. Les traditions militantes ne sont pas de même nature selon que l’on se situe au sein d’un parti de gauche, qui a longtemps cultivé l’idée d’une avant-garde couplée avec la quête d’un parti de masse, ou bien à droite, où les écuries personnelles ont toujours prédominé – phénomène qui a progressivement contaminé un PS pris au piège du présidentialisme propre à la Vème république. À l’exception notable du parti communiste qui a pu compter jusqu’à 800 000 adhérents en 1946 puis 700 000 jusque dans les années 70, les partis politiques ne font plus recette en France depuis plusieurs décennies. En témoigne la baisse tendancielle des effectifs puisque le PS, le PC et LR ne plus comptaient respectivement plus que 134 000, 78 000 et 170 000 adhérents à jour de cotisation en 2015, très probablement moins aujourd’hui.

Si l’on prend la peine de regarder au-delà de nos frontières, on constate qu’il y a une forme de pudeur à l’engagement politique et syndical qui serait devenu propre à la culture politique française. En effet, il faut rapporter les chiffres ci-dessus aux 450 000 membres du SPD et aux 600 000 de la CDU-CSU en Allemagne ; aux 575 000 adhérents pour le Labour britannique ; aux 400 000 pour le Parti démocrate italien pour en prendre conscience. La difficulté des formations politiques traditionnelles à polariser les individus est une singularité française devenue structurelle et problématique car elle touche au cœur de leur légitimité.

Ce manque d’appétence des Français pour le militantisme politique fait écho à la faiblesse du taux de syndicalisation en France (8% des salariés) et dit quelque chose sur le rapport qu’ils entretiennent au politique et à l’engagement militant, alors même que l’appétit de nos concitoyens pour la/le politique ne se dément pas, comme la participation aux différentes primaires le montre.

LES PRIMAIRES : DE LA RE-LÉGITIMATION DES APPAREILS POLITIQUES À LEUR DÉSTRUCTURATION
En 2008, conscient que cette faible audience devenait un handicap majeur, le PS, au sortir de sa récente défaite aux présidentielle, a tenté d’y remédier (il est vrai de mauvaise grâce) en révisant ses statuts qui intégrèrent alors l’obligation de désigner le (la) candidat(e) aux présidentielles par l’intermédiaire de primaires citoyennes. S’inspirant des expériences américaine et italienne, l’idée portée et popularisée par la fondation Terra Nova visait non seulement à combler le déficit de légitimité du parti socialiste mais aussi à mettre la culture politique du PS au diapason d’un électorat de gauche désireux de participer à une dynamique collective, mais pas au point d’intégrer une structure au fonctionnement opaque.

Le PS avait tenté une première expérience de primaire semi-ouverte en 2006 – la possibilité de devenir adhérent du PS pour 20 euros avec comme contrepartie la participation à la primaire – avait donné un élan non-négligeable à Ségolène Royal. Son ouverture à l’ensemble des Français en 2011 puis en 2017 allait donc bien au-delà de la simple sélection du candidat à la présidentielle. Il s’agissait aussi, par le truchement d’un candidat, de choisir une orientation politique. En effet, il existait bel et bien plus que des nuances entre les projets portés par François Hollande, Arnaud Montebourg ou Manuel Valls en 2011. Pour autant, la dynamique engrangée au cours de cette primaire a été décisive à la victoire de François Hollande face à Nicolas Sarkozy, les dissensions idéologiques étant provisoirement escamotables.

Au lieu de remplir la mission qui leur était assignée, à savoir re-légitimer des formations politiques à bout de souffle, les primaires ont conduit à une déstructuration des appareils.

Pourtant, les primaires organisées en 2012 n’ont été qu’un pis-aller. En effet, en mettant au jour les fractures internes au parti, les infléchissements libéraux du quinquennat de François Hollande ont alimenté les forces centrifuges qui travaillent le PS depuis les années 90 et dont la fronde n’a été que l’écho le plus visible. Dans le même temps et de façon mimétique, à droite, le parti Les Républicains a également opté en faveur de ce mode de désignation alors même que des lignes inconciliables (« l’identitaire » versus la « classique ») traversaient déjà tant son appareil que son électorat.
Ce n’est donc qu’en quelques mois, au cours de l’hiver 2016-2017, que les éléments d’une mécanique déstructurante se mettent en place. En témoignent les projets des finalistes aussi bien socialistes (Benoît Hamon et Manuel Valls) que de droite (Alain Juppé et François Fillon), aux contenus divergents. En effet, quoi de comparable entre le projet de restauration de la puissance étatique d’Alain Juppé et celui pétri d’identitarisme de François Fillon ? Comment était-il possible de concilier la vision néo-républicaniste et gestionnaire de Manuel Valls avec le réformisme radical porté par Benoît Hamon ? Au lieu de remplir la mission qui leur était assignée, à savoir re-légitimer des formations politiques à bout de souffle qui n’ont su conjuguer leur organisation et leur fonctionnement avec la modernité politique, les primaires ont conduit à une déstructuration des appareils.

Ni des assises citoyennes doublées d’une énième révision statutaire au PS, ni l’élection d’un nouveau président LR ne permettront aux deux grandes formations d’appréhender les changements en cours, car ceux-ci touchent directement au rapport que les individus entretiennent au politique.

© Photos : Wikimedia

William Leday

William Leday

est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.
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est diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et titulaire d’un DEA en histoire. Ancien conseiller parlementaire, il est spécialisé en affaires stratégiques qu'il enseigne à Sciences-Po et en communication politique.

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