Les dernières élections législatives allemandes ont marqué le retour de l’extrême droite au sein du Bundestag. Et avec elle, l’idée de « race », qui avait connu son heure de gloire durant la période nazie…
Mardi 24 octobre 2017. Ce sont 92 députés d’Alternativ für Deutschland, le parti d’extrême droite, qui font leur entrée au Bundestag. C’est la première fois, depuis l’époque hitlérienne, que la droite nationaliste retrouve le chemin de l’enceinte parlementaire fédérale.
Parmi les nouveaux venus, on relève des profils à première vue fort différents : nationaux-conservateurs, libéraux anti-euro, nostalgiques de la RDA ou encore de la Wehrmacht… Il est également des personnages plus atypiques, comme le Berlinois Götz Frömming, ancien sympathisant écologiste et social-démocrate, qui se présente comme un « Biodeutsch. »
« Biodeutsch » : une certaine idée de la nation
Ce néologisme n’est pas sans faire écho à la notion de « pureté de la race », défendue par les hérauts du IIIe Reich, et à l’idée de « nation », telle qu’elle s’est construite en Allemagne au XIXe siècle, et dont l’acception est sensiblement différente selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre du Rhin. Le concept de nation s’est forgé, en Allemagne, sous la forme d’un antagonisme, entre un nous et cette altérité radicale qu’ils représentent.
Au tournant du XIXe siècle, avec l’essor du Sturm und Drang puis du romantisme, réapparaissent avec force les mythes préchrétiens germaniques — et principalement le mythe aryen —, qui vont très tôt conduire les théoriciens de la nation allemande à penser leur peuple comme une race à part. En 1801, déjà, le poète Schiller évoquait le peuple allemand comme le « noyau du genre humain… élu par l’esprit universel pour œuvrer éternellement à l’éducation humaine. »
Finalement, c’est l’idée que les Allemands forment un peuple élu et une « race » supérieure, qui se dessine alors. Fait intéressant à remarquer, quand on sait que Götz Frömming est professeur d’allemand et d’histoire, et qu’il envisage de créer un « cercle historique » au Bundestag pour réfléchir aux « racines de l’AFD » (Alternativ für Deutschland) qui remontent, selon lui, au début du XIXe siècle, précisément au moment où « s’est affirmée l’idée d’un État national allemand. »
Götz Frömming est surtout docteur en études germaniques médiévales, et son engagement politique a d’abord été écologiste. Ces deux informations sont plus importantes qu’il n’y paraît. D’abord, les notions de « peuple élu » et de « race supérieure », consubstantiels à la construction de la nation allemande, sont directement issues d’une relecture romantique de l’héritage médiéval germanique : ce moment particulier du XIXe siècle où se construit le mythe du peuple aryen, dont les Allemands seraient les plus purs héritiers.
De la « pureté de la race » au XXIe siècle
À la fin du XIXe et au début du XXe siècles, c’est cette fois-ci une conception « scientifique » de la race qui émerge, dans le but de « prouver » rigoureusement la supériorité du peuple allemand et, en retour, la vilité des autres peuples, en particulier du peuple juif. Cette hiérarchisation des peuples en fonction de leur « race » commence avec le biologiste allemand Ernst Haeckel et l’invention du concept d’évolution darwinienne, qui extrapole les résultats des recherches de Charles Darwin à la sphère sociale. Cette « évolution darwinienne », plus connue sous le nom de «darwinisme social », cherche alors à rendre compte de l’inégalité des races — donc des êtres humains — et justifie l’idée d’une « lutte à mort entre espèces humaines. »
« Quand ils ne sont que cinq ou six dans une classe, ça va, explique un nouveau député. Mais quand il n’y a que deux ou trois ‘Biodeutsche’ sur vingt-cinq élèves, cela favorise le développement de sociétés parallèles et on ne peut l’accepter. »
De cette idée que l’humanité serait hiérarchisée dérive l’intuition selon laquelle le droit à l’existence de certaines « races » serait moins légitime, comme l’affirme, en 1912, le médecin allemand Paul Rohrbach, dans son ouvrage La Pensée allemande dans le monde : « Qu’il s’agisse de peuples ou d’individus, des êtres qui ne produisent rien d’important ne peuvent émettre aucune revendication au droit à l’existence. » D’autres, à la même époque, comme le docteur Ernst Rodenwalt, font du « péril juif » le risque majeur d’une corruption de la « race », qui impose la mise à l’écart de tous les « métis » (Mischlinge).
Ces études pseudo-scientifiques vinrent appuyer les intuitions des intellectuels germaniques sur la soi-disant pureté biologique de la « race » germano-aryenne, tandis qu’elles renforcèrent la crainte du métissage, de la « contamination » de la « race », par essence parfaite, du peuple élu au contact des « races » subalternes, soit au premier chef, des juifs. En 1933, Hitler est nommé chancelier, et on connaît la suite.
Aujourd’hui, dans le discours d’un Götz Frömming, les musulmans semblent avoir remplacé les juifs, et la culture, la « race » : « Quand ils ne sont que cinq ou six dans une classe, ça va, explique le nouveau député. Mais quand il n’y a que deux ou trois ‘Biodeutsche’ sur vingt-cinq élèves, cela favorise le développement de sociétés parallèles et on ne peut l’accepter. » Mais, parler de « Biodeutsch », n’est-ce pas très exactement revenir à une différenciation biologique des hommes ? N’est-ce pas tout simplement légitimer à nouveau ce que l’Allemagne s’est efforcée d’éradiquer ces soixante-dix dernières années, à savoir le racisme ?
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