Le président de la République, Emmanuel Macron, a confié une mission sur « la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet » à Karim Amellal, écrivain et enseignant à Sciences Po, mais aussi membre de l’équipe de Chronik.fr. Il nous explique ici en quoi va consister cette mission, qu’il mènera avec Gil Taïeb, vice-président du CRIF, et Laetitia Avia, députée LaREM.
Chronik.fr : Quels sont les contours et les objectifs de votre mission ? Un rapport avec des préconisations précises est-il prévu ? Une loi est-elle envisageable ?
K. A. : La mission que le président de la République nous a confiée est centrée sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, deux fléaux qui minent le vivre-ensemble et ciblent particulièrement les jeunes et les personnes les plus vulnérables. Cela consiste à lutter plus efficacement contre les propos et les contenus haineux sur le plan racial et religieux, ce qui inclut bien sûr les contenus anti-musulmans.
La haine se déploie sur internet sous toutes ses formes ; elle est brutale, extrêmement violente. Elle se diffuse très vite et fait beaucoup de mal. Ce n’est pas acceptable. Concernant le fonctionnement de notre mission, nous allons rencontrer et écouter attentivement tous les acteurs pertinents dans ce domaine, sans exclusive, sans dogmatisme, mais avec la conviction qu’il est important de lutter davantage contre ces contenus haineux qui prolifèrent sur le web, souvent dans une totale impunité, et face auxquels il est urgent de réagir, efficacement, mais en respectant aussi nos libertés individuelles dès lors que l’exercice de celles-ci ne contreviennent pas à nos lois.
Il existe déjà un dispositif législatif important, qui permet de faire beaucoup de choses. Peut-être celui-ci est-il suffisant, peut-être faut-il le renforcer, nous verrons.
En outre, beaucoup de travail a déjà été fait par de nombreuses associations qui étudient ce sujet depuis longtemps : nous prendrons évidemment appui sur ces précieuses ressources. Toute aide est la bienvenue. Nous formulerons enfin des propositions concrètes, susceptibles d’être mises en œuvre à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne.
Il est bien trop tôt pour dire si une nouvelle loi est nécessaire ou pas. Il existe déjà un dispositif législatif important dans ce domaine, qui permet de faire beaucoup de choses. Peut-être celui-ci est-il suffisant, peut-être faut-il le renforcer, nous verrons.
Ce qui est certain, c’est que nous écouterons tous ceux qui interviennent dans ce domaine afin de formuler nos propositions. Le sujet est essentiel, mais aussi complexe et très sensible : nous veillerons à œuvrer, dans cette mission, dans un esprit d’ouverture, en essayant de traiter tous les aspects du sujet – et ils sont nombreux – et en pensant d’abord aux victimes de ces contenus.
Chronik.fr : Quels sont les moyens mis à votre disposition ? Avec quels acteurs comptez-vous travailler ? Avez-vous une totale liberté d’action et de décision en la matière ?
K. A. : Cela commence à peine, mais un cadre se dessine. Nous pourrons compter sur quelques ressources, humaines et matérielles, mais surtout nous aurons une totale liberté d’action et de décision. C’est du reste en toute indépendance que nous ferons notre travail, au terme duquel nous remettrons nos conclusions au président de la République.
Chronik.fr : Quel est votre diagnostic sur l’expression et la propagation des contenus racistes et antisémites sur Internet ? Peut-on parler d’échec des plans d’action qui ont été lancés jusqu’alors et, si oui, pour quelles raisons ont-ils échoué, selon vous ?
K. A. : Il me semble qu’il y a un problème manifeste avec ce type de contenus sur internet, qui se propagent depuis longtemps, pour de nombreuses raisons. Il me semble que nous avons beaucoup attendu avant de prendre ce problème à bras le corps. Heureusement, des acteurs de terrains, des associations agissent depuis longtemps – les associations anti-racistes et luttant contre l’antisémitisme en particulier – mais ce n’est pas suffisant. Les acteurs du web ont une responsabilité, qu’ils doivent assumer.
Il faut cependant en définir les modalités, car les plateformes, si elles ont une responsabilité, ne sont pas les seules. Elles sont un vecteur, un véhicule, et c’est à ce titre qu’il y a sans doute une forme de régulation à déterminer. Je crois que la société civile, les associations, ont un rôle déterminant à jouer, et elles le jouent déjà, mais les collectivités publiques, l’État, l’Union européenne doivent s’investir davantage, peut-être définir un cadre général d’action, ce qu’elles semblent aujourd’hui prêtes à faire.
Nous avons sans doute trop attendu, collectivement, avant d’agir. Nous avons peut-être sous-estimé l’ampleur et l’impact du problème, pendant longtemps. La prise de conscience actuelle est certes tardive, mais salutaire.
Karim Amellal vient de publier La Révolution de la servitude : Pourquoi l’ubérisation est l’ennemie du progrès social, aux éditions Demopolis.
© Photos : Flckr (Jackson Pollock) et Karim Amellal