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Paris 2024 impose une vision politique du sport

On ne dira plus, désormais, « la candidature de Paris 2024 » mais les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Depuis 2014, quand a débuté la phase de concertation sur l’opportunité de cette candidature, jusqu’à l’officialisation de la victoire française par le président du CIO, le 13 septembre dernier à Lima, « Paris 2024 » n’a jamais cessé d’être, au moins autant qu’un projet sportif, un projet politique. Discours angélistes et critiques de principe se neutralisent, l’enjeu étant de savoir ce que les JOP de 2024 vont apporter à la société française, et plus particulièrement aux banlieues Nord et Est de Paris. Les promesses en termes d’emplois, d’écologie, de logement, d’accès aux équipements sportifs seront-elles tenues ? Les attentes sont grandes et les responsables auront des comptes à la société française.

De fait, l’organisation des Jeux n’a de sens que si elle répond à un besoin sociétal et économique global. Paris 2024, c’est tout d’abord un récit collectif, un storytelling de la jeunesse (la « génération 2024 » ne se limite pas aux champions en herbe), du multiculturalisme vu comme une richesse, et du développement durable. Ce n’est pas anodin, alors même que les discours déclinistes attisant les clivages sociaux, culturels et genrés continuent de dominer et de faire des succès de librairie. Formuler ce que sont les atouts de la France de demain, c’est la première étape pour les faire exister, et pour les légitimer.

Comprendre que le sport est un levier d’innovation

Garantir le développement de territoires pour l’heure ségrégués, « oubliés », défavorisés, avec la création de 250 000 emplois pérennes, de 50 nouveaux centres sportifs et d’un campus dit « solidaire » capable d’accueillir 25 000 jeunes Franciliens pour leur proposer un accompagnement alliant sport, éducation, insertion professionnelle et entrepreneuriat… Est-ce réaliste ? Ce ne sera possible qu’à la condition que le sport soit appréhendé, dans notre pays, comme un véritable levier d’innovation. On ne peut plus compter sur les recettes éculées, pour ne pas dire surannées tout autant que naïves d’« insertion par le sport » dont tant d’acteurs opportunistes, avides de subventions publiques mais incapables de renouvellement, se prévalent aujourd’hui. Qui peut croire que l’enjeu est encore de créer quelques milliers de postes d’éducateurs sportifs ? N’est-il pas plutôt d’anticiper les besoins de formation et professionnels de demain, d’inventer des liens entre le sport, l’intelligence artificielle, le big data, en ne sous-estimant pas les jeunes concernés ?

Le sport ne peut pas tout mais les potentialités dont il est porteur restent sous-estimées, et même méprisées en France.

Paris 2024 impose une nouvelle vision politique du sport. Le temps d’une candidature, il a contraint le sport à une gouvernance élargie qui sera poursuivie car elle est l’une des clés du succès à Lima. Le « mouvement sportif » s’est enfin ouvert au reste de la société. La candidature a été pensée par les fédérations, les sportifs de haut niveau, les responsables politiques – avec une implication interministérielle forte et par-delà les clivages partisans -, mais aussi par des chercheurs, des associations dont un think tank spécialisé, des citoyens, des entreprises. Parce qu’elle met la jeunesse en avant, elle a été portée, en particulier, par l’Éducation nationale, les universités et les grandes écoles. Paris 2024 a mis au jour certains facteurs-clés de succès de la démocratie participative dont d’autres projets pourront s’inspirer, dans le sport ou ailleurs.

Un vecteur d’émancipation pour tou(te)s

Étant donné que Paris 2024 devra rendre des comptes à la société française, c’est donc l’occasion de montrer que le sport est un véritable levier d’action publique. Le financement d’un programme de recherche publique interdisciplinaire pour estimer les retombées matérielles et immatérielles de la compétition, grâce à la mise en place d’indicateurs et d’une véritable méthodologie d’évaluation ex post, aurait du sens. Une autre illustration serait l’intensification de la responsabilité sociétale des entreprises : pour chaque euro investi dans le sponsoring sportif, un euro serait engagé dans la RSE (santé des salariés, exemplarité écologique, politique de lutte contre les discriminations à l’embauche et dans les progressions de carrières, en évitant le gender- et le diversity-washing).

On pourrait également imaginer que Paris 2024 soit l’occasion de faire en sorte que les savoir-faire acquis dans le bénévolat sportif, extrêmement développé dans les banlieues et dès l’adolescence, soient reconnus comme des compétences transférables dans les cursus scolaires et universitaires, comme dans la sphère professionnelle. La loi Égalité et Citoyenneté de 2017 a posé les jalons de la reconnaissance de l’engagement citoyen des étudiants, mais le retard français en la matière demeure important par rapport aux États-Unis ou au Royaume-Uni, entre autres.

Le sport ne peut pas tout mais les potentialités dont il est porteur restent sous-estimées, et même méprisées en France, que ce soit dans la santé, l’éducation, la recherche, l’économie, alors qu’il est partout : c’est le spectacle le plus médiatisé, le divertissement le plus partagé, l’un des soft powers les plus influents dans le monde. Il est présent dans la vie quotidienne des gens. Il importe de mettre le sport au service de l’intérêt général et du fonctionnement démocratique.

Aux États-Unis, des sportifs célèbres ont fait reculer les discriminations contre les LGBT dans certains États fédérés. En Europe, le sport est depuis 10 ans pris en compte, de manière transversale, dans de nombreuses politiques publiques – aujourd’hui, dans l’insertion des réfugiés. La vision politique imposée par Paris 2024, c’est celle d’un sport citoyen, émancipateur, ouvert dans sa gouvernance, inventif dans son appréhension du réel. C’est celle d’un sport qu’il est opportun de prendre politiquement au sérieux.

© Photo : capture d’écran paris2024.org

 

Marie-Cécile Naves

Marie-Cécile Naves

Marie-Cécile Naves est docteure en science politique, chercheuse associée à l’IRIS et vice-présidente du think tank Sport et Citoyenneté. Ses travaux portent principalement sur les Etats-Unis, le sport, l’égalité femmes-hommes. En savoir plus ...
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